Algérie - Revue de Presse

La fête du bijou à ath yanni nous plonge au cœur de notre civilisation millénaire



La fête du bijou à ath yanni nous plonge au cœur de notre civilisation millénaire
PUBLIÉ LE 04-08-2022 dans le quotidien Le Soir d’Algérie
Par Yasmine Graïne, secrétaire générale de l’A.A.S.P.P.A
Le bijou traditionnel reflète un rayonnement fondamental du patrimoine culturel. Il est aussi prestigieux qu’un monument, par sa glorieuse histoire humaine et séculaire, sa valeur immatérielle, et sa forte charge symbolique à décoder. Autrefois, Ath Yanni, bastion de l’orfèvrerie et des armuriers, rayonnait par son savoir-faire, son bijou berbère a voyagé à travers les temps pour revenir notamment enrichi du pays de l’Andalousie – selon Slimane Hachi, il est temps de le labelliser de même que tous les produits de haute gamme que compte le terroir !
Ath Yani, fleuron de la Kabylie connue pour ses joyaux d’argent, est située non loin de Tizi-Ouzou. Cette bourgade discrète conserve ses atouts, en dépit des feux qui ont dévasté sa flore dense et ses forêts. Ses bourgs juchés sur des crêtes matent les sinueux ravins qui se perdent dans des circonvolutions.
À l’évidence, la topographie montagneuse a fortement façonné la singulière conception architecturale. En visite guidée à Ath Yanni, le passage d’un vieux manoir lève le voile sur une casbah typique jalousement dissimulée et cuirassée où un enchaînement d’habitations, d’un côté comme de l’autre, suit un lacet de venelles, subitement met nez à nez le visiteur avec une coquette fontaine au look pierre nature s’ouvrant sur un petit bassin, émaillée aux motifs locaux, invite le passant à se rafraîchir, tantôt la venelle dévie vers un curieux dédale qui en fin de course s’ouvre vers un panorama aussi sauvage que vertigineux côtoyant un autre versant.
Ath Yanni, autrefois bastion de l’orfèvrerie et des armuriers, célèbre comme à l’accoutumée la Fête du bijou, du 28 juillet au 6 août, soit la 16e édition, placée sous le sceau de Monsieur le Ministre du Tourisme et de l’Artisanat, intitulée «Bijou d’Ath Yanni, algérianité et authenticité». Des festivités auxquelles ont pris part l’APW de Tizi-Ouzou, la diaspora établie en France représentée par Hamid Hachi, ainsi que tous les comités de villages et associations Asafu, Taziba, Azar, Izem et Taouirirt Issoulas. Cette alliance démontre le puissant pouvoir du bijou sur l’humanité — Ce joyau porteur d’une sémiotique reflète un rayonnement fondamental du patrimoine culturel et atteste, de surcroît, d’une identité et d’une civilisation.
En effet, les différentes sciences restituent l’histoire de l’environnement et des vestiges en étudiant les nombreuses tribus et personnalités à travers d’anciens ornements ; ce qui a permis, antérieurement, à Aïcha Hanifi, docteure en archéologie, d’affirmer en faisant parler une armure de bijoux : «Inutile d’interroger la femme algérienne d’antan, on peut deviner son statut et sa condition sociale à travers le port de bijoux.»
En somme, le bijou traditionnel berbère offre une image culturelle de la société. Il s’agit de décoder la symbolique des motifs de ses décorations à travers les images, les formes et les couleurs : c’est en somme, communiquer avec un système de signes, par exemple «L’éclat du verre au centre de la fibule protège du mauvais œil».
À l’évidence, le bijou a été de tous les temps symbole d’amitié et de paix, autrefois offert aux rois en guise d’amitié. Également offert en symbole d’une nouvelle relation de paix après une guerre. En cette circonstance exceptionnelle, les bijoutiers à l’honneur n’ont pas épargné leur effort pour faire reluire leur vitrine soignant les couleurs et l’éclairage.
L’ouverture de la fête du bijou a été marquée par l’arrivée du ministre du Tourisme et l’afflux des visiteurs venus de différentes régions dont la présence de divers groupes «The International Association Of Lions Club» a brillé par la couleur symbolisant le soleil. Des tentes, en forme de coupole, alignées tout au long du sol donnaient un air de kermesse. D’autres établissements exposaient, dans de grands espaces, des assemblages de bijoux de toutes formes : grands, petits, fins, délicats, discrets, mais suffisamment rayonnants et tape-à-l’œil !
M. Abbad azedine, surpris en train de ciseler un collier, agrémentant ses intercalaires, en présence d’un assistant captivé par la célérité et la dextérité impressionnantes de ses gestes, nous accueille avec le sourire. A ce tour de magie se greffe l’esprit pratique de l’artisan qui n’a pas hésité spontanément à poser le collier sur mon buste pour ajuster son joyau. Interrogé sur sa passion pour le métier, il confie franchement : «Ma première motivation était l’argent mais le bijou a fini par me conquérir pour me faire changer de cap : une évolution vers le souci de la perfection, bien entendu, avec cet esprit de compétition liée aux commerces mitoyens.»
M. Abad rappelle la circonstance dans laquelle le métier d’artisan a été transmis à Ath Yanni, par les Ath Abass venus de Béjaïa. Des conflits auraient opposé leurs tribus qui avaient décidé alors d’envoyer une section de leur armurier vers Ath Larbaâ (d’Ath Yanni) pour éteindre le tison mortifère de leur rivalité.
Par ailleurs, selon M. Hellal, doyen des artisans, les orfèvres d’Ath Yanni fabriquaient des armes et même de la monnaie, à l’époque de la régence ottomane. A cet effet, les familles Ogal et Abib comptent quelques experts dans la tribu. M. Hellal exerce ce métier d’art depuis 1978. Sorti de l’école primaire pour se diriger droit vers l’atelier. Depuis, il est formateur, toujours campé dans sa forteresse. Sa fille Ouiza, infirmière, lui prête quelquefois main-forte : une activité qu’elle exerce de manière récréative.
Interrogé quant aux perspectives de formations pour devenir un bon artisan et aux problèmes auxquels il est confronté, M. Hellal répond : «il existe des CFPA, à Agni Ahmed, à Oued Aïssi et à Aïn el Hammam, mais je crois que rien ne vaut le passage indispensable du stage pratique dans l’atelier et l’apprentissage sur le tas» où la transmission du patrimoine se fait soigneusement et sans faille.
Quant aux épreuves, elles sont légion. En plus de l’isolement et de la rigueur du climat, nous avions traversé des crises successives : pandémie, incendie, misère, une véritable descente aux enfers, quand bien même, nous sommes-nous accrochés avec beaucoup de détermination et de courage pour continuer à exercer ce métier qu’on aime — Avions-nous vraiment le choix ? On ne devient pas lâche lorsqu’au commencement on a été des Hommes. Je déplore aussi le manque de matière première pour fabriquer le bijou, par exemple, autrefois les portes étaient ouvertes aux artisans. Nous étions enthousiasmés et heureux de travailler. Nous prenions le taxi périodiquement pour aller vers El Kalâa querir jusqu'à 4 kg de corail, il suffisait d’exhiber le registre de commerce d’artisan. Aujourd’hui, non seulement la récolte du corail a été interdite, mais les malheureux artisans pris en possession de corail sont traités comme de vulgaires trafiquants.
Le corail en ce moment en vogue, on ne peut le quérir qu’au marché noir, et c’est bien dommage. On ne nous explique jamais rien de sorte que quelquefois, on est totalement découragé. Avant, l’interaction entre artisans et négociants était bien meilleure, nous étions d’ailleurs, nous-mêmes des fournisseurs ponctuels pour le Constantinois et l’Oranie.»
Selon M. Hellal, en dépit de tous les aléas, le bijou traditionnel garde ses lettres de noblesse et n’a rien à envier au bijou moderne. La différence est dans le style. L’ancien est massif et lourd, mesure 12 cm et plus, par conséquent, il est plus cher ; tandis que le bracelet moderne, il est fin et mesure entre 1 et 5 cm. Quelquefois, on affine les anciens modèles pour diversifier et innover les styles !
L’après-midi, alors que les visiteurs se dispersaient vers la restauration, les uns prenaient la direction du Bracelet d’argent, tandis que d’autres se dirigeaient vers le restaurant le Tadjine où les chefs de salle s’afféraient, tentant de satisfaire la nombreuse clientèle.
Aux environs de quatorze heures, malgré l’inconfort du soleil qui était au plus haut, la gaieté se lisait encore sur les visages, mais aux alentours de seize heures, les visiteurs commençaient à suffoquer, cherchant des salles d’eau et un refuge pour se rafraîchir.
Enfin, vers le soir, tombe la fraîcheur et s’estompe toute la fatigue de l’après-midi qui tourne au délice, notamment avec le plateau de la radio chaîne 2, à laquelle le P/APC Monsieur Djenane Abdallah a convié d’honorables personnalités : les autorités de la wilaya, chef de daïra dont Slimane Hachi anthropologue (CNRPAH-Unesco), Mohamed Senhadj, entre autres, un membre actif du tourisme local.
Selon le professeur Hachi Slimane, le bijou a vécu dans le passé du tourisme international ; aujourd’hui, est développé le tourisme local, ce qui est bon aussi. Il faut savoir qu’il existe plusieurs types de tourisme : le tourisme rural, le tourisme d’élite, le tourisme gastronomique et autre, ce pourquoi, il faut développer le savoir-faire et les domaines d’expertise. «Il y a urgence à sauvegarder du patrimoine vivant et le garder à la consommation locale.» Il rajoute qu’on devrait aussi pallier la laideur et les dégâts provoqués par les incendies en rentabilisant la catastrophe : couper le bois, le récupérer pour usage, fabriquer du charbon — reconstituer avec l’aide de l’État ce qui a été impacté.
Labelliser le bijou, l’argent d’Ath Yanni, labelliser aussi le produit local : l’alimentation dont le couscous roulé à la main.
À l’évidence, le bijou a un aspect communicatif, l’artisan le fabrique suivant un vécu, une mode ou suivant un autre sentiment lié au contexte spatio-temporel.
Le bijou, le respect de l’époux envers son épouse. Il représente aussi une protection, une épargne : l’époux offre un bijou à sa femme dont la valeur est proportionnelle à l’intensité de son amour, ce qui représente la dot de la mariée, en cas de difficulté ou de crise, la femme peut vendre le bijou.
L’histoire du bijou tire ses racines des plus lointaines civilisations, de la préhistorique à l’ère des mythologies et des légendes ; de ces très belles reines dont les bijoux constituent les trésors des musées. Dans les sociétés africaines, dont le Maghreb, les bijoux sont très importants. Le bijou berbère tuareg est très raffiné. Du reste chaque région a son style de bijou.
Parures, colliers, fibules, boucles d’oreilles, bagues, diadèmes sont autant de bijoux qui portent une histoire, une date de naissance et souvent un carnet de voyage ; le bijou a une âme ; les Phéniciens n’ont-ils pas emporté les bijoux dans leur course vers le Maghreb, l’orient et occident ? Les joyaux les plus portés et les plus vendus à Ath Yanni sont le bracelet et le diadème. C’est normal, l’origine du règne des têtes couronnées est africaine.
L’histoire de l’humanité est vivante de ces rayonnements exceptionnels : des reines d’égypte, Cléopâtre à la couronne de fleur de lotus doré, au magique scarabée, joyau favori des pharaons, symbole de longévité. Des ornements dont se pare la reine de Saba pour visiter Salamon. Des ceintures agrémentées de diamants des déesses grecques. Du bouclier d’Achille qui remplit tout un chant poétique de l’Iliade dans l’odyssée d’Homère ; autant de démonstrations que le bijou apporte le bonheur, il a donc une âme intemporelle !
Y. G.

Bibliographie
- «La sémiotique des bijoux en Algérie». Conférence animée par Aïcha Hanifi, docteur en archéologie en avril 2022 à ENSCRBC (l’école nationale supérieure de conservation et de restauration des biens culturels).
- Sciences du langage le symbolique de l’image culturelle : étude sémiotique des bijoux algériens Grimet Hayette.
- Les pouvoirs du langage : la contribution de J. L. Austin à une théorie contextualiste des actes de parole. Bruno Ambroise.
- Slimane hachi, anthropologue (CNRPAH-Unesco «paroles recueillies sur place lors du plateau radio Chaîne 2 et après la séance qui a réuni l’assistance».
- CNRPAH : Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique.
Unesco : Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture.
ENSCRBC : École nationale supérieure de conservation et de restauration des biens culturels.
l’A.A.S.P.P.A : Association algérienne pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine

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