Algerie - Patrimoine Culturel

La diligence en Algérie française : l’épopée du transport hippomobile (1832-1914)


La diligence en Algérie française : l’épopée du transport hippomobile (1832-1914)

Quand les Français prennent Alger en 1830, le territoire est immense (plus de 2 millions de km² à l’époque), les routes sont quasi inexistantes en dehors des anciennes pistes caravanières ottomanes, et les communications entre les points côtiers et l’intérieur sont extrêmement difficiles. Très vite, l’administration militaire et civile va organiser un réseau de transport par diligences pour relier les principales villes et postes militaires.

1. Les premières messageries (1830-1850)

  • Dès 1832, des « messageries royales » (puis impériales) sont créées sur le modèle métropolitain.
  • Les premières lignes relient Alger à Blida, Orléansville (Chlef), Oran, Constantine, Bône (Annaba), Philippeville (Skikda).
  • Les véhicules sont d’abord des chariots militaires ou des voitures légères tirées par des mules (le cheval étant rare et cher en Algérie).
  • Trajets très lents : Alger-Blida (45 km) prenait 6 à 8 heures ; Alger-Oran (400 km) nécessitait 8 à 10 jours avec relais toutes les 15-20 km.

2. L’âge d’or des grandes compagnies (1850-1880)

À partir des années 1850-1860, de puissantes compagnies privées se partagent le marché sous concession de l’État :

  • Compagnie Générale des Messageries Nationales (future Messageries Maritimes terrestres)
  • Compagnie Valéry Frères (la plus importante en Algérie)
  • Compagnie Bresson et Bey (Oranie)
  • Compagnie Pencha et Cie

Les véhicules types :

  • La diligence classique à 9-12 places (4 à l’intérieur « coupé », 4 en « rotonde », places sur l’impériale).
  • Construite sur le modèle Abbott-Downing ou par des carrossiers lyonnais et marseillais adaptés au climat (toiles, suspensions renforcées).
  • Attelage : 4 à 6 mules ou chevaux (les mules étaient préférées, plus résistantes à la chaleur et aux maladies).

Principales lignes en 1875 :

  • Alger – Oran (via Blida, Orléansville, Mascara, Tlemcen) : 430 km
  • Alger – Constantine (via Sétif) : 430 km
  • Alger – Biskra (porte du désert) : 460 km
  • Oran – Tiaret – Laghouat (première ligne saharienne, 1880)

Durée moyenne : 80 à 100 km par jour en terrain plat, beaucoup moins en montagne ou en saison des pluies.

3. La vie à bord et les dangers

Les voyageurs (colons, militaires, fonctionnaires, commerçants, rares touristes) décrivent souvent des conditions très rudes :

  • Chaleur écrasante l’été, froid glacial l’hiver dans le Tell.
  • Routes souvent de simples pistes empierrées, ravinées par les oueds.
  • Attaques de brigands (surtout avant 1870 dans l’Est et le Sud).
  • Relais tous les 15-25 km (appelés « maisons de messageries » ou « fondouks ») où l’on changeait les mules en 10-15 minutes.

Témoignages célèbres :

  • Guy de Maupassant (voyage en 1881) : « On est secoué comme dans une lessiveuse, couvert de poussière rouge, brûlé par le soleil. »
  • Eugène Fromentin, Isabelle Eberhardt, les officiers des Bureaux arabes laissent des descriptions hautes en couleur.

4. Le déclin (1880-1920)

  • 1857 : premier chemin de fer Alger-Blida.
  • 1879-1914 : développement rapide du réseau ferré (PLM Algérie, Compagnie de l’Ouest Algérien, etc.).
  • Les grandes lignes de diligence disparaissent progressivement :
    • 1890 : plus de diligence régulière Alger-Oran
    • 1900 : plus sur Alger-Constantine
    • Seules subsistent des lignes secondaires ou sahariennes (Biskra-Touggourt jusqu’en 1920 environ).
  • L’automobile (premiers cars Renault et Berliet dès 1908-1910) achève de supplanter la diligence.

5. Héritage

Quelques noms de rues ou de lieux-dits rappellent encore cet âge : « Rue de la Diligence » à Alger, « Relais des Messageries » à Aïn Sefra, etc. Des photos magnifiques (vers 1880-1900) montrent des diligences chargées devant l’Hôtel Continental à Alger ou devant la gare de Biskra.

En résumé, pendant près d’un demi-siècle, la diligence fut en Algérie le symbole même de la colonisation : un lien fragile, lent et coûteux entre la côte méditerranéenne et l’immense arrière-pays, entre la « civilisation » européenne et le monde arabe et berbère. Elle disparaît presque totalement avant la Première Guerre mondiale, remplacée par le train et bientôt la route carrossable.

Si tu veux des références précises (livres, photos d’époque, horaires de 1875, etc.), je peux t’en fournir !


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