Algérie

La croissance... et le progrès !



Il est clair que le progrès demeure aujourd'hui plus que jamais indispensable dans notre société comme dans toutes les sociétés, pauvres ou riches, mais le taux de croissance globale avec des revenus financiers en augmentation ne constitue pas un critère pertinent pour les stratégies de progrès. Il est important de dire que l'exigence essentielle et cruciale consiste désormais à renouveler la réflexion politique sur les finalités de ce progrès, parmi lesquelles l'accumulation de marchandises, les dépenses et la distribution monétaire sans suite, qui devraient céder progressivement la place à d'autres préoccupations. Autrement dit, les discours des politiciens et même l'opinion publique ne remettent jamais en cause la nécessité de croissance économique, tant il paraît incontestable que l'amélioration du niveau de vie, la régulation des prix, la création d'emplois, la lutte contre les inégalités et la dynamique générale du progrès, sont conditionnées par l'augmentation indéfinie du Produit intérieur brut. Mais on est en droit de se demander comment faire, en pratique, pour chercher cette vraie croissance économique et comment la transférer en bonheur public. Dans le même sens, l'évidence qui s'impose de manière de plus en plus claire opte pour que la croissance économique retrouvée soit synonyme de bien-être et d'harmonie sociale. Cette croissance doit se révéler en outre fondatrice, constructrice et praticable en longue période. Mais face à ce paradoxe d'une véritable croissance nécessaire et impossible avec son éventuel transfert à un progrès réel, n'existe-t-il pas d'autres issues et d'autre avenir que de renoncer au progrès, c'est-à-dire à ce progrès des pays développés ? Car ce progrès qui existe ailleurs, dans un champ appelé pays développés, attire tant de convoitises de nos concitoyens et notamment des jeunes, qui sont prêts à se jeter en mer pour atteindre les rives de ce progrès. La réponse en termes de stratégies de développement ne suffit pas à masquer notre incapacité profonde à changer le modèle de développement dominant mais aussi le cadre existant dans ce pays. D'où la confrontation qui persiste entre la recherche d'autres solutions avec la poursuite acharnée d'une croissance véritable et indéfinie, et le transfert de cette richesse à un progrès réel. C'est le défi auquel l'Algérie sera confrontée au cours des prochaines années ! Solutions obligent ! Il s'agit de réaliser une « économie humaine » par laquelle nous entendons exprimer l'adhésion à une finalité qui est celle de la société organisée. Dans ce sens, Jacques Généreux, cité par Christian Comeliau, disait que la seule finalité légitime de l'économie est le bien-être des hommes, à commencer par celui des plus démunis. Et, par bien-être, l'auteur souligne qu'il faut entendre la satisfaction de tous les besoins des hommes, pas seulement ceux que comblent les consommations marchandes (par exemple, les dépenses et les projets d'infrastructures...), mais aussi l'ensemble des aspirations qui échappent à toute évaluation monétaire : la dignité, la paix, la sécurité, la liberté, l'éducation, la santé, le loisir, la qualité de l'environnement, le bien-être des générations futures, etc... Il faut arriver, comme disait le même auteur précité, à atteindre une économie humaine qui est l'économie d'un homme complet (dont l'individu maximisateur de valeurs marchandes sous contrainte n'est qu'une caricature), d'un homme qui inscrit son action dans le temps (et donc dans l'histoire), sur un territoire, dans un environnement familial, social, culturel et politique ; l'économie d'un homme animé par des valeurs et qui ne résout pas tout par le calcul ou l'échange, mais aussi par l'habitude, le don, la coopération, les règles morales, les conventions sociales, le droit, les institutions politiques, etc... Ce que l'on souhaite pour notre pays est aussi d'asseoir un projet contemporain qui constitue le dénominateur commun de bien des approches (post-keynésiens, institutionnalistes, progressistes, régulation, socioéconomie, philosophie politique, stratégie productive...). Le transfert de la croissance économique à un progrès est l'obsession de notre temps dans notre société. Si l'on est responsable de la stratégie d'un pays comme le nôtre, il est question d'en accélérer la croissance du revenu national avec un passage à la politique et l'action publique. Si l'on se pose la question de la croissance et du progrès ailleurs, cela nous poussera à considérer, par exemple, celle de la Chine : pourquoi la Chine est-elle aujourd'hui en train de s'imposer comme une grande puissance, au moins potentielle ? Il s'agit d'observer ce modèle de plus près et d'étudier ses performances de croissance et de progrès dans la dernière décennie. Nous pourrons alors peut-être tirer profit des expériences ayant réussi, ou au moins en tirer des enseignements pour la conception de politique de développement dans notre pays. On peut commencer, entre autres, par agrandir le gâteau à partager et penser d'abord à élargir la base fiscale en favorisant l'activité productive, tout cela dans un environnement esthétique où l'individu bénéficie de ses droits tout en étant « discipliné ». En effet, le progrès social dépend des comportements d'acteurs multiples et des règles institutionnelles établies. Et si la définition de ces règles relève largement des pouvoirs publics, les comportements sont ceux de l'ensemble des acteurs concernés par les problèmes existants, donc ceux de toute la population. Il est particulièrement nécessaire d'établir au sein du pays une certaine équité sociale qui est toute aussi importante que les exigences de la croissance. En effet, comment prétendre au progrès de la société si cette dernière fonctionne à deux vitesses, avec la présence persistante d'une classe extrêmement aisée, qui bénéficie largement des fruits de la croissance (et notamment de l'anarchie du marché : parfois par exemple, un importateur ou exportateur n'a pas d'adresse fixe et d'imposition fiscale...), face à une population qui ne bénéficie pratiquement pas de la richesse nationale ? Enfin, dans un pays comme le nôtre, où les besoins élémentaires sont insuffisamment satisfaits, il est important, voire crucial, d'augmenter la production orientée directement vers les secteurs pouvant répondre aux besoins essentiels : l'agroalimentaire, l'infrastructure de base, les équipements de santé, l'éducation... Seulement, ces activités ne sont pas nécessairement celles qui permettent le plus l'accumulation du profit et l'augmentation du taux de croissance globale même si elles y participent beaucoup. C'est peut-être pour cela que ces priorités qui semblent évidentes ne sont pas toujours traduites d'une bonne manière dans les stratégies concrètes. Autrement dit, d'importantes sommes sont parfois dépensées pour finalement aboutir à des projets bâclés : car le progrès, c'est aussi la construction de projets bien finalisés touchant tous les secteurs de l'Etat. Il faut souligner aussi que la stratégie de l'augmentation de la production ne répond pas à l'ensemble des objectifs prioritaires, notamment en ce qui concerne l'élaboration d'un solide tissu industriel et le développement d'une attractivité forte des investissements... De plus, il existe beaucoup de contraintes au progrès social sur la longue durée : préoccupations liées à l'équité et à la réduction des inégalités, à l'épuisement des sources naturelles, à la dette intérieure, au souci de réduire la dégradation des territoires et de l'urbanisme... Force est de conclure qu'il n'est pas possible d'édifier une vraie croissance économique et de réaliser l'évolution de l'humanité, de la civilisation vers un terme idéal avant de mettre fin au « bouillonnement social ». Il s'agit de songer à un changement d'état qui consiste en un passage à un degré supérieur avec comme objectifs l'ordre pour base et le progrès pour but. *Docteur en sciences politiques (politologue)


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