Algérie

La création: les espaces libres et de convivialité perdus




Une ou deux choses encore de la nostalgie Les artistes et écrivains désertent la rue. Ni eux, ni même leurs œuvres, ne se montrent aux lieux de nos passages coutumiers. Seul le raï désormais tonitruant, enroué par les bruits des voitures et les clameurs des noces -jamais des fêtes du cœur-, parvient aux oreilles flâneuses qui se tendraient dans l’espoir d’accrocher des sons ou des paroles ou même l’éclat bruissant des couleurs qui monteraient de profondeurs, un tant soit peu subtiles. Quand ils arrivent à maturité, parfois plus tôt, les créateurs aujourd’hui se retirent ou encore « ne se mêlent pas de ce qui ne les regarde pas «. Loin de la foule tâtonnante des aspirants à la création, loin de la scène des débats de société (ou politiques) et absents des actions concrètes dans un domaine ou l’autre, ils attendent, recroquevillés sur eux-mêmes, frileux, parfois sourcilleux, bougons et solitaires, attendent d’être invités par des structures organisées et officiellement reconnues, c’est-à-dire par là où l’on s’est préparé à les recevoir, ayant dans le même temps déterminé (ou balisé pour le moins) le sujet de leur action ou de leur propos. Les échanges intercréateurs et des créateurs et le public sont maintenant circonscrits -ce que d’aucuns appellent organisés-, tellement circonscrits disons-nous qu’il ait peu de chance de débordement de leur semence sur le limon de la société et donc d’une fécondation alentour qui nous surprendrait par des nouveautés inouïes ou des éclats de vie. Le temps des idéologies avait cet avantage de pousser les artistes et hommes de lettres dans la lutte pour le pouvoir qui impliquerait la représentation esthétique; et, pourvu que le régime du pays qui les abritait ne fût pas totalitaire et policier, les conflits ou tensions qui s’ensuivaient engendraient souvent, au bout du compte, quelque renouveau, du moins une vitalité de la pensée et de l’imaginaire à une échelle beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui quand elle se produit. Totalitaire qui ne dit pas son nom - comme celui pseudo démocratique qui se drape dans une obligation d’état d’urgence - ou se déclarant implicitement comme tel, un régime qui, par quel que soit le détour, assèche la vie de la parole civile, ne peut qu’engendrer au sein de l’être des cocons d’imaginaire, qui pourriraient dans la morbidité, faute de pouvoir se nourrir entre eux par des liens aérés et spontanés, par des résonances conviviales et par les échos qu’ils se renverraient d’un être à l’autre. Un régime pareil, au-delà de ses vertus s’il en a, enfante le chagrin. Bref, voilà que nous nous mettons à penser à Madame de Staël, à Colette, avec leur salon littéraire ou artistique, aux rencontres du groupe Dada d’où sera issu le surréalisme, au Cénacle des plumes de Khalil Gibran, au groupe des gueux (El kharafich) autour du maître Naguib Mahfouz, ou encore, tout récemment chez nous, modestement, au groupe de Voix multiples en poésie, à Awchem en peinture etc. Tant de regroupements d’artistes et d’écrivains, formés et ayant activé hors de toutes institutions officielles ou légalisées, qui, grâce au sentiment de liberté qui les a engendrés et toujours animés, avaient instauré un débat fécond sur la création ; tant et si bien qu’il fut que certains d’entre eux ont semé les germes d’une vision esthétique qui participera à changer la vie, sinon, c’étaient des talents qui y furent façonnés à force d’échange. Le créateur n’apparaît plus à telle ou telle table publique (à moins qu’il en existerait tellement comme il en passe à la télé et qu’on ne sait plus qui est qui) : Il prend son café chez lui, son petit repas du resto - quand il le peut - en famille ; il discute de son art dans les universités ou écoles spécialisées ; très souvent, ses amis ne sont pas du métier de sa passion, tant la méfiance, la mauvaise foi et l’esprit utilitaire font rage. Donc plus de café ou de petit resto où l’on est presque sûr qu’à telle ou telle heure on trouverait tel groupe de créateurs. Et nous voilà encore nostalgiques des cafés de la Tahtaha où l’on rencontrait des poètes du malhoun et des chanteurs, du café du théâtre d’Oran où l’on retrouvait souvent le dramaturge Alloula et son ami universitaire M’Hamed Djellid, ou de ces cafés de Saint Germain des Près de Paris, ou encore du café El Fichaoui du Caire où s’attablait Naguib Mahfouz, écrivant. On pouvait ici ou là les entendre, les regarder, les sentir tout proches ces créateurs-là et, partant, rester à l’écoute ou dans l’attente de ce qu’ils allaient produire. Ce sont toutes ces absences, ces lieux désertés, ces ruptures consommées avec les simples gens (et autres choses encore) qui font que la communication sur (et de) l’art ne s’étende pas à la vie. Et voilà que nous pensons que dans tout le monde des médias, nous ne possédons pas d’une seule revue libre, non universitaire, qui en parle avec un langage accessible à un large public et qui nous fasse aimer la création esthétique comme à devenir plus beau, qui nous fasse vibrer d’un mouvement plus libre, plus large que le quotidien qu’on nous porte à assimiler au monde, ce quotidien par lequel nous assiègent ceux qui veulent nous faire croire que nous sommes aussi petits que ce qu’ils nous donnent à vivre.

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