Algérie

La chéchia, peut-elle déformer le crâne ?


Il pourfendait l?Etat, le régime et tous ses démembrements sans aucune exception et tout ce qui peut évoquer même de loin une quelconque autorité.Rien à ses yeux de guevariste invétéré ne semblait mériter le respect ou même un peu d?indulgence au vu de la persistance, voire de l?aggravation des problèmes que traverse la société et dont la résorption n?a pas l?air d?être le souci majeur des décideurs.A part un bon coup de pied dans la fourmilière pour l?avènement d?une autre ère où ses théories alambiquées trouveraient leurs applications sur le terrain et nous sortiraient du marasme, il ne voit aucune possibilité de salut pour ses concitoyens. La devise « par le peuple et pour le peuple » doit être la principale philosophie de la Nation qui a trop souffert de la mauvaise gouvernance malgré son génie, ses efforts, sa patience et ses sacrifices et ne peut endurer indéfiniment une situation qui se précarise chaque jour davantage.Il avait la certitude maladive de détenir la panacée pour la soulager de tous les méfaits causés par l?oppression d?affreux tyrans et défendre, sabre au clair, la veuve et l?orphelin.Magnifiant à l?excès les vertus du peuple et de sa révolution, il aime se prévaloir d?être l?adepte d?un ordre spartiate où, la vie d?un être humain digne de respect, doit être vouée entièrement à la préservation des grandes valeurs spirituelles basées sur la dignité de la personne, même si cela doit exiger une grande sobriété dans les ambitions des conquêtes matérielles. Il vouait aux gémonies toute personne qui tolérerait le moindre des écarts à la morale.Tel Diogène, il manifestait un profond mépris pour les richesses de ce monde, surtout celles dont l?origine peut paraître douteuse. Parmi ses amis, quelques-uns l?ont même affublé du surnom de Abou Dher Elghifari.Malgré un profil intellectuel et professionnel des plus ordinaires et un caractère aigri par une série d?échecs dans tout ce qu?il a entrepris dans sa vie, il a gardé intact son discours sur la dialectique même s?il commence à désespérer de voir un jour la dictature du prolétariat rayonner sur le monde.Il pouvait rester des heures à déblatérer aussi bien sur la possession des moyens de production que sur la corruption, le favoritisme, le trucage des élections, l?occupation des postes stratégiques par des pseudo-analphabètes... etc. D?ailleurs, de tous les maux sociaux qu?il stigmatise à longueur de journée, le plus lâche d?après ses théories reste sans conteste l?utilisation de l?influence conférée par la fonction pour coopter ses proches au détriment des compétences injustement écartées et ses conséquences dramatiques sur la gestion de la chose publique. Sa culture d?ancien gauchiste ne l?empêche pas d?être un fervent partisan de l?élitisme dans la sélection des ressources humaines. Il disparut un certain temps de son habituel circuit quotidien entre les tasses de café siroté jusqu?à la lie et la cigarette consommée jusqu?au mégot et on apprit, médusés, qu?il a été pris sous l?aile protectrice d?un ancien camarade de classe gravitant dans les hautes sphères apitoyé par la débine qui le menace et catapulté vers une fonction à laquelle il n?a jamais rêvé tant ses capacités ne pouvaient l?y prédisposer.Sans manifester aucune hésitation, même de circonstance, ni de scrupule, il plonge la tête baissée dans l?opportunité ainsi offerte, abjurant ainsi ce qu?il a toujours prétendu défendre. Les raisins étaient donc simplement par dépit trop verts comme le disait la fable, parce que inabordables avec les moyens qu?il avait !Abasourdi un moment par la rencontre du Père Noël, lui qui avait, depuis longtemps déjà, accepté son sort avec une retraite minable, il retrouve ses esprits laborieusement de peur de descendre brutalement de ce nuage et commence doucement à explorer prudemment un autre monde. Il remercie la bonne étoile lorsqu?il découvre l?étendue de ses futures possibilités et surtout la disponibilité de tout ce dont il a été sevré chez les masses laborieuses comme il aimait les appeler du temps de la camaraderie conviviale. Apprécier les fastes des grands salons et la fréquentation de la nomenklatura lui fait regretter le temps perdu à poursuivre des chimères en compagnie des miséreux et des laissés pour compte dont il vient juste de s?en délester sans aucun regret apparent !Du coup, il fait une grande croix sur les leçons de morale qu?il nous assenait et opère sans le moindre scrupule un virage à cent quatre-vingts degrés. Il évite son ancien environnement comme la peste et si jamais il est débusqué et embarqué malgré ses réticences dans une discussion, il s?abrite derrière le classique devoir de réserve qu?il trouvait, il n?y a pas si longtemps d?antinomique avec l?orthodoxie de la démocratie.Les mauvaises langues rapportent qu?il a commencé par donner des instructions à ses proches de garder leur distance avec la plèbe, dont il découvre soudainement toutes les tares, et d?adopter les manières qui conviennent le mieux à son nouveau standing d?où tous les signes de familiarité doivent être bannis, lui le spécialiste des tapes sur l?épaule.Reniant impudemment la chaleur des rapports humains propres à la culture des Méditerranéens, il essaie de frimer la froideur des Scandinaves à laquelle il trouve on ne sait quel attrait particulier. Les galéjades bruyantes et d?autres franches accolades entre amis ont été reléguées au rang de vielles reliques par des rictus de constipés et des mines de croque-mort.Avec un esprit de suffisance ne s?encombrant d?aucune discrétion et ridiculisé par un surcroît de prétention de mauvaise facture, il devient la risée de ceux qu?il veut snober.En attendant de retirer ses rejetons de notre populeux système scolaire que certains qualifient de sinistré, pour les inscrire dans les fameux centres culturels étrangers ou, pourquoi pas, les prestigieux établissements au-delà des frontières, il recommande aux pauvres chérubins de se détacher de leurs anciens camarades et privilégier la fréquentation des enfants issus de familles de même rang social.Pour une banale intervention chirurgicale sur les hémorroïdes que notre secteur sanitaire effectue magistralement à la chaîne pendant toute l?année sans aucun problème, il exige une prise en charge et préfère dévoiler son anatomie dans un hôpital européen. Personne n?oserait imaginer les conséquences de sa disparition, il est devenu tellement important et indispensable au lever du soleil !Miracle de l?heureuse mutation, après un Hadj et deux ou trois Omra de rigueur aux frais de la princesse, lui qui répétait sans cesse que « la religion est l?opium des peuples », il n?hésite plus, devant l?insistance de celui qui oserait connaître son avis sur la situation du pays, à affirmer sans aucune pudeur : qu?on ne risque pas d?aller loin avec un peuple composé de paresseux et de mécréants dont les moins mauvais d?entre eux ne vivent que de l?assistanat que procure l?Etat providence quand ce n?est pas de rapine ou de menus larcins ! D?ailleurs le bon Dieu, dans son immense Miséricorde, n?a donné à ce pays que ce qu?il mérite. La longue sécheresse qui accable le pays depuis longtemps déjà est le signe évident de son courroux. Le terrorisme et les harraga, les maux sociaux, la cherté de la vie et le chômage représentent pour lui et ses semblables, tout juste, des expiations divines pour des pécheurs impénitents, des sujets de discussion de salon entre deux gorgées de nectar.De ce côté de l?impassible fleuve du pouvoir et de la puissance de l?argent, qu?elle est devenue lointaine l?autre rive où existe, paraît-il, ce genre de problèmes !Dès que la situation professionnelle ou matérielle change, on se retrouve en face d?un autre personnage à l?antipode de celui qu?on croyait connaître.Ils commencent à mépriser la société d?où ils sont tout juste sortis, lui faisant endosser toutes les difficultés que rencontre le pays. En retour, celle-ci le leur rend bien en les accusant d?incapables et d?intrus doublés de prédateurs insatiables.Qui n?a pas eu connaissance du tapage et des vociférations d?un personnage de ce genre contre le régime et ce qu?ils qualifient de mauvaise gouvernance. Ils utilisent toute la panoplie de porte-voix pour assourdir les consciences de leurs interminables hurlements avant d?anesthésier les esprits avec leurs projets d?une société meilleure. Mais dès qu?ils parviennent à décrocher, ne serait-ce qu?un strapontin dans le dernier wagon du train du système, ils en deviennent les passagers les plus disciplinés, voire les meilleurs défenseurs en oubliant rapidement la finalité de leur « combat ». Ceux qui ont l?honnêteté intellectuelle d?être constants dans leur conviction font malheureusement partie d?une espèce en voie d?extinction et se comptent sur les doigts d?une seule main.La chéchia, malgré sa texture souple, est donc souvent traîtresse : elle peut déformer le crâne de celui qui la porte.


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