Algérie

LA CASBAH D'ALGER Cinquante ans d'indépendance et puis après '


Quand Léo Ferré chantait «Paname » en parlant de Paris, il disait «ils foulent tes pavés, vivent chez toi sans savoir qui tu es». Ainsi en est-il de La Casbah d'Alger, noyau urbain de la capitale. La Citadelle ou Médina était un comptoir phénicien au IVe siècle avant J.-C. Elle est passée ensuite entre les mains des maîtres d'Alger carthaginois, romains puis chefs de tribus berbères et arabes. Forteresse ottomane dès 1529, et ce, pendant trois siècles.
Occupée par la colonisation française dès 1830, elle subira l'agression et la dénaturation au profit des occupants. De cinquante hectares, il n'en restait plus que dix-huit. Elle fut totalement reconstruite après le tremblement de terre de 1716. Elle n'a cessé d'être agressée depuis l'indépendance et vouée à un délabrement honteux. A l'érosion naturelle s'ajoute l'érosion morale alimentée par l'indifférence, la parlotte, les commissions sans lendemain… Des gorges chaudes l'ont chantée, des cœurs froids l'ont jugée, des affairistes y ont mis les mains pour puiser dans ses richesses à l'instar des De Sellière. Et bien avant eux les conquérants ottomans répondant aux ordres de la Sublime Porte. Ceux qui y sont nés et vécu sont des artisans, des poètes, des peintres, des révolutionnaires, des hommes de religion…. Elle n'a pu échapper à la prédation nourrie par l'exode rural massif qui a détruit son urbanité, voire même sa citadinité. La situation sécuritaire de la décennie noire ou rouge, selon nos goûts pour les couleurs de la violence, a drainé des compatriotes venus s'y réfugier s'ajoutant à l'exode rural incessant depuis les années quatre-vingt. Mais certains n'ont pas respecté son histoire et sa charge sentimentale et ont contribué à son viol avec le malin plaisir d'être relogés ailleurs. On y a introduit une conception contre nature de l'habitat avec de nouveaux matériaux : plomberie, plâtrage, destruction de colonnes majestueuses … Je ne suis pas natif de La Casbah mais j'y ai consommé quelques tranches de mon enfance et adolescence en foulant ses marches et emprunté ses ruelles étroites. Je me suis baigné dans les atmosphères des cafés maures où le chaâbi germait. J'ai connu le fromage de brebis vendu sur des étals de fortune. J'y ai embrassé la fraîcheur de ses terrasses et la vue imprenable sur les yeux bleus de la mer. J'y ai bu l'eau des ses fontaines à pleines mains et fréquenté ses hammams. Me restent en mémoire les youyous stridents qui ponctuaient la fête ou les faits d'armes de nos hommes héroïques. Les cliquetis des dinandiers résonnent encore dans ma tête. C'est pourquoi son état actuel soulève en moi des sentiments de dépit et que dire alors de ceux qui y sont nés et vécu toute leur vie ' Quand on la compare à ses sœurs des pays voisins, caressées elles par des mains expertes et passionnées, on finit par la regarder, les yeux humides, comme une reine déchue et abandonnée. Pendant la bataille d'Alger de 1957, on dénombre plus de 10 000 disparus. La Casbah a été le bourbier de l'armée française. Des héros y ont laissé leurs corps mais leurs âmes y sont toujours. Une poignée d'hommes avait ébranlé la toute-puissance militaire conquérante. Est-il utile de remettre en mémoire Hassiba Ben Bouali, Ali la Pointe, Ben M'hidi, Petit Omar et Yacef Saâdi et combien de téméraires inconnus ' Bien sûr qu'il ne faudrait pas passer sous silence la période où le terrorisme fauchait des innocents, ajoutant au drame de la destruction. Mais aujourd'hui, cinquante ans après l'indépendance, faut-il parler de La Casbah d'Alger dans une litanie mélancolique ' Il est trop tard pour La Casbah, elle vient de mourir, a dit M. Mebtouche Ali, président d'honneur de la Fondation Casbah. Quand on sait que les portes centenaires ont été volées, des faïences irremplaçables arrachées, des colonnes de marbre détournées, le thuya bois indestructible arraché, on comprend pourquoi les maisons ne se soutiennent plus et croulent comme des châteaux de cartes. Il ne reste plus rien de la centaine de fontaines, des lieux symboliques sont couverts d'un tas d'ordures et offrent l'image de dépotoirs. Des mémoires architecturales entières sont ensevelies. Même des lieux saints n'ont pas été épargnés. A travers le monde, les sites historiques sont préservés et protégés quelquefois de la folie destructrice des hommes. Ils sont la source vivante de l'Histoire et de l'Identité d'un pays. La curiosité touristique est source de dividendes. Aujourd'hui, cinquante ans après l'indépendance, le bilan des efforts de restauration reste maigre. Tandis que le temps fait son œuvre. Le travail sera de plus en plus ardu. A qui la faute ' Au ministère de la Culture qui doit faire naturellement autorité, aux natifs de La Casbah qui se sont démobilisés, à d'autres encore. Mais il faut faire appel à l'avenir et à l'amour du pays pour un sursaut salutaire. Les finances n'y feront rien sans la volonté. Il est donc impératif de faire un diagnostic exhaustif, de dresser un état des lieux. Cela doit mobiliser des compétences en architecture, en urbanisme, en histoire, des natifs de La Casbah… Le relogement de certains occupants doit être réfléchi et contrôlé pour laisser place à un véritable site architectural. Alors nous pourrions imaginer des œuvres sur support médias fidèles à la réalité. Il ne faut plus se gargariser de remodelage ponctué par l'humeur ou les sursauts de bonne volonté éphémères. On parle de restauration qui pourrait être imaginée selon un calendrier concernant îlot par îlot. Le mot patrimoine doit retrouver son véritable sens pour qu'enfin les pulsations du cœur de la capitale reprennent.
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