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l'informel hypothèque l'avenir de la profession Batna en tête de la filière orfèvrerie au niveau national


l'informel hypothèque l'avenir de la profession                                    Batna en tête de la filière orfèvrerie au niveau national
Azeddine «le bijoutier» est célèbre dans son quartier de la cité Chikhi, où se trouvent aussi des dizaines d'ateliers de bijouterie, parmi lesquels de nombreux clandestins.
Azeddine compte aussi parmi les 1041 artisans bijoutiers inscrits sur les registres de la direction du tourisme et de l'artisanat de Batna, un chiffre qui place cette wilaya à la tête de la filière au niveau national, détrônant ainsi la capitale. Cette concentration a poussé le ministère du Tourisme et de l'Artisanat à faire de Batna un pôle national avec la création du Centre technique d'orfèvrerie. Le projet, dont l'étude est en cours, prendra en charge toute la filière, en assurant l'approvisionnement en matière première, la formation, l'organisation des artisans et la recherche dans le domaine.
Le gouvernement n'a pas encore fait son choix entre les Espagnols, les Français et les Iraniens, qui seront partenaires du projet pour assurer l'accompagnement des artisans pour leur mise à niveau. L'Etat veut-il donc organiser et promouvoir la filière ' Azeddine n'est pas au courant de la nouvelle, d'ailleurs, à Batna, rares sont les artisans qui ont eu vent du projet. Il faut dire que le quotidien est morose au sein de la corporation abandonnée à son sort depuis des décennies. Azeddine a mis la clé sous le paillasson depuis trois ans.
«L'importateur m'a tué !»
Son atelier ressemble aujourd'hui à un vrai capharnaüm où s'entassent les machines-outils sous des tonnes de poussière. «Nous ne travaillons plus. L'importation nous a tués, c'est normal, les femmes préfèrent des bijoux bien faits, alors que notre produit est resté assez grossier.» Rabah Benmohamed confirme les propos de Azeddine. Pourtant, il est propriétaire d'un atelier de fabrication industrielle situé dans un immeuble à trois étages dans le lotissement résidentiel Benflis. Chelia Afak, la Sarl qu'il dirige depuis 1995, fait dans la prestation en fabriquant des bijoux pour les vendeurs. «Notre production locale ne dépasse pas les 20% de parts du marché national. Tout le reste est importé, c'est une catastrophe, et en plus, tout est importé au noir.» Au
noir ! Le mot est lâché. Voilà un secteur, le commerce de bijoux, qui se développe, prospère malgré l'envolée du cours mondial, offre de plus en plus de produits de qualité importés d'Italie, de Turquie, etc.
Cela dit, ce secteur livre peu de secrets et demeure à l'abri des regards curieux en dépit de graves dysfonctionnements. D'ailleurs, le ministère du Tourisme et de l'Artisanat tente, par le biais de son initiative à Batna, de mettre fin à l'anarchie en essayant de convaincre les clandestins à s'encarter, nous affirme M. Benabdelhadi, directeur de l'artisanat au niveau du ministère du Tourisme et de l'Artisanat. La stratégie menée par le département de Smaïl Mimoune peut-elle aboutir en marge d'une démarche gouvernementale globale ' Les outils entre les mains de la tutelle se suffisent-ils à eux-mêmes pour sortir la filière de sa crise '
En effet, la situation actuelle des bijoutiers et des maîtres-artisans dépend de plusieurs départements du gouvernement. Les artisans, que nous avons rencontrés, déplorent le démantèlement de la filière au profit des importateurs. Ils sont 2 à 3 importateurs à Alger couverts par de gros pontes, avoue timidement Rabah. Ces gens font entrer sur le sol algérien des quantités énormes de bijoux en contrebande et les écoulent sur le marché sans être inquiétés. Une totale impunité pour un commerce illégal et 100% de bénef ! Ainsi donc, les bijoux, qui ornent les vitrines de nos villes, sont-ils vendus au marché noir ' «Oui», répondent Azeddine et
Rabah ! «Ici, si on trouve chez toi de l'or, c'est l'interrogatoire et le tribunal, mais si on trouve des bijoux importés, on te laisse tranquille», souligne Azeddine.
«C'est pour casser la production locale qu'ils ont instauré ce système», renchérit Rabah. Mieux, les maîtres de la filière d'importation se sont emparés aussi de l'or de la casse pour l'expédier (illégalement) dans des ateliers à l'étranger, où il est réutilisé pour la fabrication de nouveaux bijoux, qui ensuite retournent sur le marché algérien, toujours en contrebande. Cette situation, en plus du manque à gagner qui touche le Trésor public, asphyxie la corporation. Contrairement aux apparences, la majorité écrasante pratique ce métier pour survivre. Même les plus nantis, comme Rabah, ont du mal à tenir face aux importateurs. «Avec toutes ces machines, je n'arrive pas à produire un kilogramme/jour, alors que l'importateur, lui, il peut écouler 20 kg/j», nous dit Rabah.
Le ministre est-il au courant '
Rabah sort de son coffre-fort un plateau rempli de chaînes en or de plusieurs sortes. «Il y a encore des années, les bijoutiers locaux n'étaient pas capables de réaliser de tels motifs», explique Azeddine, mais des ateliers, comme celui de Rabah, tentent de diversifier le produit. Et pour cela, Rabah reçoit périodiquement la visite d'un groupe d'Italiens qui viennent donner des cours à ses employés. «Si on a de l'or neuf, on peut faire mieux, et avoir un produit avec une couleur plus attrayante», ajoute notre bijoutier. Mais l'approvisionnement en matière première constitue un véritable obstacle. En effet, depuis le milieu des années 1980, les artisans bijoutiers ne sont plus fournis en matière première. «Depuis 1987, l'Etat n'a pas distribué d'or. On ne fait que recycler ce qui existe sur le marché (la casse), mais à force, l'or perd de son titre et on se retrouve à fabriquer des bijoux pâles», déplore Azzeddine. Jusqu'à cette période, les artisans pouvaient être approvisionnés d'environ un kilo par mois.
Mais depuis que Agenor a perdu le monopole en 1985, ni elle ni les privés autorisés à importer la matière première ne sont en contact avec les gens du métier, du moins, ceux de Batna ! Du côté de la tutelle, M. Benabdelhadi affirme qu'un accord a été signé entre le ministère et Agenor pour approvisionner les artisans. Mais du côté de l'Agence, on ignore un tel accord, et on avance que cette dernière fait toujours de la distribution, mais en quantités insignifiantes. «En fonction de ce que nous fournit l'ENOR», se défend M. Sadek, directeur commercial au niveau de l'agence. Pour ce dernier, le véritable problème d'approvisionnement est dû au prix de la matière première devenu inaccessible pour ces artisans, d'où, explique-t-il, le trafic en tous genres qui touche la filière.
En tout cas, les artisans chôment. Ils seraient environ 5000 à Batna, mais la moitié, au moins, a dû changer de métier. Il n'y a qu'à voir l'atelier de Rabah pour s'en rendre compte. L'établissement emploie seulement 25 employés, «alors qu'il est outillé pour en accueillir plus de 200», regrette le propriétaire. Nos deux interlocuteurs sont amers et prédisent le déclin de l'activité. «Aujourd'hui, on ne peut même pas léguer le métier à nos enfants, puisqu'il n'y a pas de travail !», s'exclame encore Azeddine.


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