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L'incroyable destin des privilèges d'assises en Algérie


L'incroyable destin des privilèges d'assises en Algérie
Il suffit parfois de mettre un cageot ou trois parpaings superposés contre un mur, qu'aussitôt un Algérien viendra s'asseoir dessus. Le jour même de l'inauguration d'un magasin, quelque part dans une ville, en sa banlieue ou dans un village, il se trouvera forcément des riverains, de n'importe quel âge, pour venir s'installer sur le rebord de la devanture, se mettre bien à l'aise avant de lire le journal, s'affairer au téléphone ou discuter un bon coup. Et puis lorsque cette boutique commence à s'habituer à une clientèle, admettons un bureau de tabac, lorsqu'il n'est pas question d'aller au-delà du cacheté et pas sorcier à compter, le vendeur ne s'embarrasse pas de l'ordre d'arrivée pour servir et il ne fait guère attention au client qui vérifie sa monnaie en obstruant l'entrée. L'Algérien, en général, est fasciné par la structure du seuil, de l'entité spatiale entrée-sortie. les multiples conquêtes du pays, associées aux cycles de la transhumance et de la sédentarisation, l'obligent, en quelque sorte, à la sacralisation de la porte et de ses attributs dans l'agglomération, le désordre social et la bureaucratie, aujourd'hui, exacerbent cet état d'esprit.Autrement dit, l'Algérien est un«occupateur» invétéré, le mâle quasiexclusivement. Dans l'autobus ou dans le train, dans n'importe quel moyen detransport, même un tracteur, une grue, un élévateur ou une brouette mécanique, il est capable d'utiliser comme siège tout ce qui possède une géométrie d'accueil pour son substrat. Ou, pour le minimum de ramassement de son corps, de piquer un somme. Même debout il rate rarement une occasion pour occuper quelque chose. Il ne trouve aucun inconvénient pour s'adosser depuis sa raie fessière jusqu'à la nuque à la barre verticale, afin d'empêcher ses voisins usagers de mettre une main pour tenir l'équilibre jusqu'à leur destination. Et il ne lui est guère interdit de s'asseoir sur le barreau de sécurité à la porte de devant, faisant ainsi écran total au passager assis sur le premier siège. Surtout si la glace n'a pas été passée à l'eau depuis une saison et qu'il faut éviter de l'ouvrir parce qu'il givre dehors. Mais de nos jours, les jeunes receveurs ont plus d'un tour dans leur sac. Ils se mettent à disposition un petit tabouret, tellement minuscule qu'on peut caser dans une musette. Au dernier ticket encaissé le tabouret est installé sur l'estrade à côté du conducteur et ça se met à discuter à bâtons rompus, avec force gesticulations, coups de klaxons, braiments àl'intention du minibus croisé, crissements de freins et grincement de la portière qui s'ouvre pour de l'air frais ou pour happer un passager au vol.La pontifiante garantiedu genreDans les jardins publics, et il n'en existe pas à foison pour se laisser snober dans l'embarras du choix, maints visiteurs -les mâles toujours, ou en couple, la fille emmenée dans l'élan- préfèrent de loin le tronc de l'arbre ombragé et le gazonencadrant les belles fleurs fraîchement arrosées et entretenues, le trottoir qui clôt la parcelle jardinée ou alors, pour faire rap et être plus que la race des gentils, carrément sur le rebord du dossier du banc, les pieds sur l'assise. Et nous avons la providence de l'escalier. Dont le principe de son occupation a poussé un imam célèbre à dire à un entrepreneur chargé de contacter les architectes pour un projet de bâtisse d'une mosquée de quartier, de faire le nécessaire de ne pas envisager quelque escalier d'accès, afin d'éviter sa «colonisation» par les fidèles, entre les moments de prières, c'est-à-dire, dans l'ensemble de toute la journée, depuis l'aube jusqu'à la nuit du regroupement familial définitif. Dans l'escalier laïc aussi, de la cage de l'immeuble, de l'habitation ou de l'institution administrative, commerciale ou pédagogique, l'Algérien est comme chez-lui dans ce beylik de prédilection. Pour une partie de dominos, de flirt rapide, pour en griller une quand il est interdit de le faire au bureau ou en salle d'étude ou parce qu'on est femme la cigarette risque des doutes sur l'intégrité morale. L'Algérien adore naturellement, pour son plaisir intrinsèque, s'asseoir sur des concepts illicites de propriété et d'acquisition, il a pris cette habitude à la maison depuis sa naissance. Il a désormais saisi le pli. D'inné, imprégné de la loi protégeant ses privilèges innés, il n'y a pas de barrière à ses désirs et il a droit à tous les plaisirs. Et par conséquent il devient un jeune homme mal élevé et comme il n'est pas le seul mâle dans son existence avec autrui, il va y avoir beaucoup de mal élevés dans la rue, dans la société. Et donc tout le monde va estimer les obligations du monde envers lui comme la récompense solennelle pour le seul mérite de sa nature générique. D'aucuns interféreront sur le concept de l'hypertrophie du moi chez certains et n'hésiteront pas alors à traiter de la théorie du siège de la responsabilité. Mais là, il ne s'agit déjà plus de tenter de chercher dans au parpaing ou au billot, peut-être, dans un discours d'allégorie, considérer la place sur les marches d'escalier. Et la nature de l'escalier.N. B.


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