«L'ignorance amplifie la frayeur et provoque des comportements dangereux»

- Comment peut-on expliquer les réactions de panique qui ont suivi le séisme de vendredi dernier et qui ont causé quatre décès 'Les réactions de panique qui ont amené les sujets à se jeter par la fenêtre ou le balcon témoignent sans doute d'une réelle fragilité psychologique. La peur, dans ces cas, prend une allure disproportionnée, elle envahit l'esprit de l'individu et lui fait perdre toutes ses facultés intellectuelles. Il ne peut plus réfléchir, appréhender l'événement raisonnablement et réagir de façon adaptée à la situation : regrouper les enfants et se mettre à l'abri sous une table ou sous le chambranle d'une porte, par exemple. L'émotion est tellement violente que les capacités mentales du sujet sont dans un état de sidération totale.La fuite est une réaction réflexe et, comme tout réflexe, elle court-circuite le cerveau. Heureusement que tout le monde ne réagit pas de cette façon. Imaginez l'hécatombe ! Mais il n'y a pas que cela. Ne pas connaître ce qu'est un tremblement de terre et ne pas savoir comment s'en prémunir complique les choses en accentuant la réaction émotionnelle. Etre informé permet de mieux comprendre le phénomène et de mettre en place les stratégies efficaces pour se protéger.- Cette peur n'est-elle pas disproportionnée 'L'ignorance, par contre, amplifie la frayeur et dans le cas des phénomènes naturels comme les séismes, elle multiplie les comportements inadaptés et souvent dangereux. Comme se précipiter dans l'escalier ou se défenestrer. De ce point de vue, l'Etat a failli. Notre pays est traversé par une faille sismique, plusieurs séismes dévastateurs sont survenus dont deux très récemment, El Asnam et Boumerdès. Les pouvoirs publics n'ont pris aucune disposition pour éduquer la population à réagir de façon appropriée. Pas de programme dans ce sens dans les écoles ni à la télévision... quant au contrôle des normes de construction, il y a beaucoup à faire.- Cette peur dénote-t-elle aussi une rupture de confiance avec les pouvoirs publics 'Je pense que la population est consciente de l'incurie des pouvoirs publics, c'est pourquoi la peur est plus importante. Chacun sait que les quartiers d'Alger-Centre, de Bab El Oued, de La Casbah ont été bâtis avant l'avènement du béton armé. Des immeubles qui sont rongés par le temps et n'ont jamais été entretenus, qui menacent ruine et mettent en danger les habitants, car ils peuvent s'effondrer à la moindre secousse. Cela, les habitants le savent, les pouvoirs publics aussi. Mais que font les pouvoirs publics pour éviter la catastrophe ' Rien, ils laissent pourrir. Ils abandonnent les citoyens à leur sort.Les Algériens ont toutes les raisons d'avoir peur et de s'en remettre à Dieu pour les protéger, faute d'être protégés par l'Etat. Je pense que vous comprenez ce que je veux dire. Le fait que l'Etat ait déserté le terrain de l'information laisse la place à toutes les formes de spéculation et de charlatanisme. Les uns y vont d'une pseudo-connaissance scientifique pour faire des prévisions inquiétantes, les autres s'improvisent savants de la foi et utilisent le sentiment religieux des citoyens pour faire du prosélytisme.L'effet des uns potentialise l'effet des autres. Le résultat ' Les individus ne sont pas réellement informés. Eclairés ' Ils le sont encore moins. Mais tout cela est bon pour la réputation scientifique (') des uns et les desseins «apostoliques» des autres. Pendant ce temps, l'Etat reste absent.