Algérie

«L'humain en ce qu'il a de plus âpre»



«L'humain en ce qu'il a de plus âpre»
Vivre et créer à Barbès, c'est la vie de Jeanne Labrune. Dans un roman, elle raconte ce quartier parisien...LyonDe notre correspondantBarbès, on n'y fait que passer. La cinéaste et romancière, Jeanne Labrune, y vit mais ne s'est jamais posé de questions sur ce quartier jusqu'à la mort de Richard, son compagnon, des suites d'une maladie et qu'elle a accompagné jusqu'au bout. Dans la pause du deuil, elle raconte dans son roman, Visions de Barbès, les derniers jours auprès de son ami. Très vite, le roman dérive joliment sur un portrait sans distance aucune de Barbès. «Barbès est le lieu où nous vivions depuis 18 ans. Nous voyagions beaucoup, mais c'était notre port d'attache», nous dit-elle dans un entretien, pour expliquer l'attachement à cet endroit très particulier de Paris : «Je regardais les gens comme des personnages secondaires et le quartier comme le décor de notre histoire personnelle. Après sa mort, j'ai repris mes promenades dans le quartier. La solitude m'a conduite à regarder, à écouter davantage encore et à vivre le quartier comme un point d'appui familier, le reste étant mon travail d'écriture.»Une démarche dépouillée, simple, sans fioritures inutiles et honnête jusqu'au bout des ongles lorsqu'il n'y a plus rien à perdre après la perte de l'être aimé. «La douleur que j'éprouvais s'accordait aussi avec la vie à cru et à vif de Barbès. Mais c'est un monde où il faut savoir demeurer droit, sans concessions, sans se laisser prendre aux pièges qu'il tend, ni se laisser emporter par la colère ou la complaisance. Cela oblige à faire preuve de compréhension, de clarté, de vigilance et cela oblige à tenir bon», nous a-t-elle confié.De cette histoire dont elle aurait pu faire un vrai film, tellement attendu sur ce quartier cosmopolite, elle a préféré mettre les images en mots, simplement, avec justesse : «L'écriture suggère des images, mais elle n'impose rien. L'image filmée emprisonne parfois le regard du spectateur et sa pensée. Ici, les portraits que je fais des gens sont comme des méditations à partir des images que je vois et sur lesquelles je m'interroge. Chaque texte est une petite histoire. Cela part du réel observé, mais ensuite se pose la question : qu'est-ce donc cette vie que l'autre vit ' C'est faire ce chemin, ce chemin vers l'humain en ce qu'il a de plus âpre, de plus éloigné de nous en apparence, jusque dans ses figures les plus désespérées ou désespérantes. Un chemin de méditation sur la vie.»«Pour avoir une vision juste de Barbès, il faut y vivre»Barbès, dans l'actualité de ces dernières années, c'est le coin de Paris montré du doigt, ostracisé et mis au ban, le furoncle étranger. Jeanne Labrune lui redonne légitimité et vie avec des personnages humains, sans jamais céder à l'angélisme, disant ce qui est et ce qui fait mal. Elle ressort plus humaine, indemne, c'est-à-dire non raciste, de cette virée quotidienne dans Barbès. Elle ne s'en cache pas : «Il serait stupide et vain de dire que Barbès est un paradis. Pour ceux qui ne font qu'y passer, c'est un quartier pittoresque ou un quartier à fuir. Pour avoir une vision juste de Barbès, il faut y vivre, observer, savoir à qui l'on peut se fier ou pas, ne pas tout confondre, ne pas tout assimiler.C'est, objectivement, un lieu de trafics en tous genres. Les pickpockets y sont nombreux et organisés, les dealers aussi. Les touristes et ceux qui sont étrangers au quartier en font les frais. Les ?printemps arabes', mais aussi les guerres en Libye, en Syrie, etc., ont densifié la population. Cette densité de population, dont une partie est aux abois, peut inquiéter. Au moindre incident, on peut être pris dans des mouvements de foule. Ce n'est donc pas un quartier ordinaire.Les trafics (qui ne sont pas le fait des seuls immigrés récents, mais bien souvent aussi de personnes installées en France depuis plusieurs générations) et l'utilisation qui est faite par les extrémistes dits ??religieux'' de la culture musulmane, conduisent à une posture de rejet qui peut, en effet, devenir un racisme englobant toute la population de culture musulmane. Dans un quartier de foule intense, voir dans chaque individu croisé une personne, et n'avoir de jugement sur elle que par rapport à ses paroles et ses actes, est un effort constant. Si on le fait, on peut vivre en bonne intelligence, mais il arrive malgré tout qu'on ait de mauvaises surprises. Il convient de ne pas succomber à un angélisme qui, par déni de réalité, conduit aussi au racisme.»Pour elle, tout est question de lucidité, avant tout face à la déraison qui donnerait plutôt envie de hurler face au racisme multiforme. «Quand une voiture accélère puis freine à cinq centimètres de ma jambe, alors que je traverse au passage clouté et que son conducteur me crie : ??Qu'est-ce que tu fous dans mon quartier ' T'es pas chez toi''. Je vais lui parler. S'il est sot, ce qui arrive, il m'insulte, exactement comme le font d'autres racistes. Mais parfois, malgré tout, on parvient à engager une discussion. Pas toujours, hélas. Cependant, il faut persévérer dans cette voie de la raison, de l'humour et du non-ressentiment. Et cela de quelque origine que l'on soit.» Tous ceux qui passent sans regarder dans ce quartier devraient se rendre à la librairie la plus proche pour feuilleter cet ouvrage qui réveille de l'indifférence. * Visions de Barbès, roman, Jeanne Labrune, éditions Grasset, Paris, avril 2014.





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