Khenchela - Divers Zaouias

L’Histoire de la zaouïa de Kheïran


Localisation géographique
La zaouïa de Kheïran est située sur les rives de l’Oued el-Arab, un cours d’eau important de la région de l’Aurès, dans l’est de l’Algérie. Selon les descriptions historiques, elle se trouve à une dizaine de lieues (environ 40 à 50 kilomètres, une lieue variant entre 4 et 5 km selon les usages locaux) du défilé de Khanga Sidi Nadji. Ce défilé, situé dans les montagnes de l’Aurès, marque le point où l’Oued el-Arab quitte le massif pour déboucher dans les plaines sahariennes au sud. Géographiquement, cela place la zaouïa dans la wilaya moderne de Khenchela, probablement près de la commune de Kaïs ou de Chechar, où l’Oued el-Arab prend sa source et traverse le djebel Chechar, un massif dominant la région. Cette localisation montagneuse, à la frontière entre l’Aurès et le Sahara, en faisait un refuge stratégique pour les populations berbères et leurs leaders religieux.

Fondation et influence des Ouled Abd el-Hafid
La zaouïa de Kheïran était dirigée par les Ouled Abd el-Hafid, une lignée maraboutique dont l’origine exacte reste floue, mais qui semble liée à une confrérie soufie régionale, peut-être une branche dissidente de la Qadiriyya ou de la Chadhiliyya, courantes dans le Maghreb. Le grand marabout Abd el-Hafid, figure centrale de cet ordre, exerçait une autorité spirituelle et politique sur les tribus berbères chaouies du djebel Chechar, ainsi que sur certaines populations de l’Aurès et de la Tunisie voisine. Parmi ses adeptes figuraient les Beni Imloul, une tribu influente de l’Aurès, et diverses tribus tunisiennes, témoignant d’une influence transfrontalière. Contrairement à la zaouïa de Timmermassin, fondée par Si Saddok en rupture avec les Ouled Abd el-Hafid, celle de Kheïran dominait principalement les zones montagneuses, avec une emprise limitée dans les plaines sahariennes.

Le soulèvement de 1849
En 1849, deux décennies après le début de la conquête française de l’Algérie (1830), les Ouled Abd el-Hafid, sous la direction d’Abd el-Hafid, appelèrent les tribus du djebel Chechar et de l’Aurès à une révolte contre la présence coloniale. Ce soulèvement s’inscrivait dans une série de résistances locales face à l’expansion française dans le sud-est algérien. Abd el-Hafid prit la tête des contingents berbères et marcha sur Biskra, une oasis stratégique située à environ 100 kilomètres au sud de l’Aurès, dans l’actuelle wilaya de Biskra. Son objectif était probablement de perturber le contrôle français sur cette porte d’entrée vers le Sahara.

Cependant, l’insurrection fut écrasée lors de la bataille de Seriana (ou Sériana), à cinq lieues de Biskra (environ 20-25 kilomètres). Le commandant de Saint-Germain, chef du cercle militaire de Biskra, mena une contre-attaque décisive. À la tête d’une cavalerie composée de nomades des Ziban, réputés pour leur audace, il chargea les forces d’Abd el-Hafid, remportant une victoire au prix de sa propre vie. Cette "mort glorieuse" en fit une figure célébrée dans les annales coloniales. Battu, Abd el-Hafid s’enfuit avec les restes de ses contingents dans les montagnes de l’Aurès, où le terrain accidenté offrait un refuge naturel contre les poursuites françaises.

Une influence affaiblie après 1849
L’échec de 1849 marqua un tournant pour la zaouïa de Kheïran. Abd el-Hafid et ses fils, bien que survivants, adoptèrent une posture plus prudente vis-à-vis des autorités coloniales. Le texte décrit leur attitude comme "défiante, craintive plutôt qu’agressive", suggérant une volonté de préserver leur autorité spirituelle sans provoquer de nouveaux affrontements directs. Cette prudence les poussa à passer une grande partie de leur temps en Tunisie, probablement dans des régions comme Nefta ou Gafsa, où les confréries soufies maintenaient des réseaux transfrontaliers à l’abri de la surveillance française. Cette mobilité reflète une stratégie de survie dans un contexte de répression croissante.

Rivalités et comparaison avec Timmermassin
La zaouïa de Kheïran partageait des similitudes avec celle de Timmermassin, fondée par Si Saddok, un ancien mokaddem des Ouled Abd el-Hafid qui s’était rebellé contre leur autorité. Toutes deux dominaient les hauteurs de l’Aurès et s’appuyaient sur les tribus berbères, notamment les Beni Imloul et celles du djebel Chechar. Cependant, alors que Si Saddok lança une insurrection ambitieuse en 1859, défiant directement les Français et ses anciens maîtres, la zaouïa de Kheïran, après 1849, opta pour une approche moins confrontationnelle. Cette divergence illustre les tensions internes au sein des Ouled Abd el-Hafid et les rivalités entre zaouïas pour le contrôle des populations chaouies.

Contexte historique vérifié
Oued el-Arab et Khanga Sidi Nadji : L’Oued el-Arab est bien documenté comme un affluent majeur dans l’Aurès, prenant sa source dans le djebel Chechar et se dirigeant vers le sud. Le défilé de Khanga Sidi Nadji, bien que moins précisément cartographié dans les sources modernes, correspond à une passe naturelle reliant les montagnes au désert, cohérente avec la géographie de Khenchela.
Bataille de Seriana, 1849 : Bien que peu détaillée dans les grandes histoires coloniales, cette bataille s’inscrit dans les campagnes françaises pour sécuriser Biskra et les Ziban après la prise d’Alger. Le commandant de Saint-Germain reste une figure obscure, mais sa mort héroïque est typique des récits exaltant les officiers coloniaux.
Les Ziban et les nomades : Les Ziban, région autour de Biskra, étaient peuplés de tribus nomades qui collaboraient souvent avec les Français pour contrer les insurrections montagnardes, expliquant leur rôle dans la victoire de Seriana.
Actualisation jusqu’en mars 2025
Aucune mention explicite de la zaouïa de Kheïran n’apparaît dans les registres modernes des lieux soufis actifs en Algérie. Après 1849, son influence semble avoir décliné sous la pression coloniale et la montée de confréries plus structurées, comme la Rahmaniyya et la Tijaniyya. La wilaya de Khenchela, où elle était probablement située, abrite encore des vestiges de traditions soufies, mais les zaouïas locales sont aujourd’hui sous la supervision du Ministère des Affaires religieuses algérien, qui privilégie les grandes tariqas nationales. Si la zaouïa existe encore, elle pourrait subsister comme un petit lieu de culte ou un site patrimonial dans une commune comme Kaïs ou Chechar, bien que son nom ait pu être oublié ou modifié avec le temps.

Héritage
La zaouïa de Kheïran incarne une page méconnue de la résistance chaouie face à la colonisation française. Portée par les Ouled Abd el-Hafid et leur chef Abd el-Hafid, elle illustre le rôle des confréries soufies comme foyers de mobilisation spirituelle et politique au XIXe siècle. Son échec en 1849 et sa prudence ultérieure reflètent les défis auxquels furent confrontées les petites zaouïas face à la puissance coloniale et aux rivalités internes. Aujourd’hui, son histoire reste un témoignage des luttes berbères de l’Aurès, préservé dans la mémoire locale plus que dans des structures encore debout.

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