Algérie - Architecture

L'histoire architecturale d'Alger
Interview de Imad Rahmouni* par Nadia Hamam pour le magazine Géo ( Numéro spécial Algérie).

L’architecte Imad Rahmouni retrace l’histoire d’Alger à travers ses bâtiments. Un splendide patrimoine,aujourd’hui menacé par l’urbanisme anarchique.

Géo : A quoi ressemblait Alger avant l’arrivée des turcs ?

I. R. : Alger était alors une ville minuscule blottie dans ses remparts. Maisons carrées comme des dés, façades blanchies à la chaux,galeries de terrasses…Ces constructions serrées formaient un triangle blanc qui descendait vers la mer.La population arabo-berbère appelait simplement la cité médina(ville en arabe).Elle avait certes, une position stratégique exceptionnelle, car elle était protégée par une baie profonde et quatres îlots, qui lui donnèrent son nom ( El Djezair signifie les îles). Mais une ville comme Tlemcen était alors bien plus importante.Quand les turcs se sont installés pour trois siècles en 1529, ils ont construit leur citadelle dans les hauteurs.La médina fût alors rebaptisées casbah(forteresse). Quelques mosquées y furent édifiées et les remparts déjà existants fortifiés. Les turcs relièrent surtout entre eux les fameux îlots pour créer la jetée d’Alger. Celle que l’on découvre aujourd’hui avec, au bout, son phare.

Géo : Comment,à leur tour, les français, sont-ils intervenus sur la ville ?

I. R. : Ils le firent en deux étapes. La première était surtout militaire: une grosse partie de la casbah fut rasée pour permettre d’y installer une place d’armes(l’actuelle place des martyrs); en 1865, la rampe Chassériau finit de bouleverser le paysage. Pendant que le génie militaire continuait à travailler sur cette rampe, sur les ponts et les premiers immeubles, les architectes civils prirent le relais pour la deuxième étape : loger les colons qui arrivaient par milliers.

Géo : Comment les architectes français se sont-ils adaptés à ce relief si abrupt ?

I.R. : Ils durent user de stratagèmes pour “monter” la ville et s’adapter à des pans de collines irréguliers.
Ainsi, on a vu apparaître des entrées de bâtiments sur plusieurs étages, un immeuble-pont sur le toit duquel roulent les voitures, des constructions aux angles pointus comme des proues. Quant aux jardins, descendants ou ascendants selon selon le point de vue, ils ont été modelés en coulées vertes, unifiant l’ensemble.

Géo : Alger s’est donc mise à ressembler de plus en plus à une ville européenne. Personne ne s’en est ému ?

I. R. : Si. Des plaintes s’élevèrent contre la tournure occidentale prise par la ville, qui ne collait plus avec la dimension artistique qu’on cherchait à donner à la colonie. Des touches orientales ont donc été réintroduites, au début du XXème siècle, donnant naissance au style néo-mauresque. Ses traits étaient plus grossiers que ceux des bâtis mauresques originaux, puisqu’ils étaient dessinés par des architectes totalement étrangers à cette culture.

Géo: Et puis, dans les années cinquante, Alger est devenue un laboratoire de l’architecture moderne. Pourquoi ?
I.R. : Les architectes poursuivaient leurs recherches et, les contraintes de la construction étant moins rigides qu’en Europe, des styles très difféérents ont pu s’exprimer. On y testa des idées, inspirées par le souffle créatif du moment appelé “l’école d’Alger”. La ville est devenue un laboratoire, dans le sens positif du terme, et le théatre de débats passionnés. Le Corbusier a dessiné des kilomètres de plans pour Alger, sans construire, par pure fascination.
Géo: Le départ des Français a-t-il laissé un vide sur le plan de l’architecture ?

I.R. : Absolument pas. En 1965, l’arrivée de Houari Boumédiène au pouvoir a coincidé avec l’avénement d’une d’une vision idéologique de l’architecture. Le président a choisi à cette époque l’architecte brésilien Oscar Niemeyer(le créateur de Brasilia) pour des raisons politiques, à savoir son rapprochement avec les pays non-alignés. Il lui a confié des projets gigantesques. Niemeyer a même dessiné une mosquée à bâtir sur l’eau. Boumédiène, effrayé de choquer les croyants, a répondu: “je ne peux pas, c’est trop.“

Géo: Et depuis ? Un architecte a-t-il marqué l’Alger de la fin du XXème siècle ?

I. R. : Non, je ne connais pas de batiments plus forts que ceux de l’époque Boumediene. L’Etat ayant été affaibli par le culte de l’argent sous la présidence Chadli, puis par le drame des années quatre-vingt-dix, le chaos règne sur l’urbanisme. L’Etat doit retrouver sa force et sauver la ville, tant qu’il est encor temps. Pour le moment, il réagit à des urgences, comme celle de désengorger les routes. Mais ce n’est pas facile car cette ville est en trois dimensions et non en deux. Une contrainte qui n’a pas changé au cours des siècles.

(*) Imad Rahmouni a grandi à Alger. A Paris, il a été élève de Philippe Starck.
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