Algérie - A la une

Résumé : Il n'est pas facile d'être un homme. Mais chacun à sa manière essaye de l'être. Mon grand-père, lui, a choisi d'avoir sept femmes. C'était pour lui une façon d'avoir une grande famille à prédominance mâle.Il avait aussi cette particularité d'être égal envers ses femmes. L'aînée, à qui il avait donné le pouvoir hiérarchique, faisait régner l'ordre dans la maison, recevait les invités, partageait les tâches ménagères, distribuait elle-même les cadeaux et les offrandes. En somme, elle avait toute latitude de diriger l'intérieur de la maison à sa guise, mais mon grand-père suivait de loin. Il avait horreur du mépris et de la discrimination, et dans sa famille encore plus. Pour donner l'exemple, il partageait chaque nuit la chambre avec une de ses femmes. À chacune le privilège de l'avoir pour elle toute une nuit. Et, à chaque fois, il savait calmer les esprits et apaiser les peines. Quand l'une d'elles se plaignait de quelque chose, il savait donner la réplique qu'il fallait et la plaignante réapparaissait le matin détendue et le sourire aux lèvres. Comment faisait t-il pour ne pas se lasser de tant d'obligations ' Lui seul en possédait la recette. Bien des amis à lui, aisés et assez autoritaires, avaient tenté l'aventure, mais n'avaient jamais su obtenir de leurs femmes le respect et l'adulation qu'avait mon aïeul.
Il était pour nous un exemple si présent, si palpable, qu'on ne savait plus compter que sur lui. Même quand enfant l'un de nous tombait en jouant et s'écorchait la jambe, c'était vers lui qu'on se dirigeait. Il savait aussi bien panser les plaies du c?ur que celles du corps. Un mouchoir enroulé autour de la blessure, un bonbon, et nous voilà de retour à nos jeux, heureux et rassérénés. Mon grand-père était de cette étoffe qui ne se plaignait jamais. Mais savait encaisser sans sourciller. J'ai beau essayer de détecter la peur au fond de ses yeux foncés, en vain. Il ne montrait jamais ses états d'âme, ni la préférence amoureuse qu'il avait envers Zahra, sa troisième épouse. Non. Seuls parfois un petit geste ou un sourire évasif, surpris au hasard entre eux, dénotaient une certaine intimité. Sinon rien. Nous étions encore des gamins à cette époque. Nous aimions courir dans les champs et jouir de la brise des fins d'après-midis printaniers. Assis sur son siège devant le grand portail de la grande maison, il était toujours heureux de nous avoir auprès de lui. En fait, il était heureux de voir sa famille s'agrandir de jour en jour et de constater que Dieu lui a accordé une assez longue vie et une bonne santé pour nous voir tous réunis autour de lui. Ses trente garçons, déjà pères de famille pour la plupart (si l'on excepte les deux derniers qui étaient encore célibataires), avaient de leur côté une descendance à prédominance mâle. À sa grande fierté, il répétait à qui voulait l'entendre que c'était héréditaire dans sa famille.
Mais, comme il avait l'esprit d'équité, il n'avait pas une préférence particulière envers ses petits-enfants. Filles ou garçons, nous étions traités de la même manière. D'ailleurs, la plupart d'entre nous avaient déjà entamé un processus scolaire, et grâce à lui même les enfants des autres familles du village allaient à l'école. C'est dire que chacun prenait exemple sur nous.
J'étais la petite-fille de sa troisième femme, Zahra (chut ! sa préférée). Et je tenais de ma grand-mère les beaux traits de son visage et sa corpulence. Elle était bien faite. Encore d'apparence jeune, elle passait pour l'une des plus belles femmes du village, d'autant plus qu'elle était la fille unique d'un riche fermier émigré en France, qui n'avait que deux enfants. De son père, elle avait hérité de la grande maison et d'un champ de blé qui jouxtait la propriété de mon propre grand-père. Mais, loin de s'en orgueillir, elle avait préféré remettre tous ses biens à mon grand-père, qui de son côté avait chargé mon père de s'en occuper. Ma mère, qui avait mes deux frères à sa charge, me délaissait un peu, moi son aînée. Ainsi donc, j'avais tout le loisir de jouir de la protection de ma grand-mère paternelle et même du grand-père, puisque ce dernier retrouvait en moi la beauté de sa troisième femme. De ce fait, je pouvais faire tout ce qui me plaisait dans la chambre de ma grand-mère. M'enfermer dans la grande armoire à glace. Dormir dans le grand lit ? sauf les soirs réservés à mon grand-père ?, marcher pieds nus sur la natte et en ressentir des chatouillements sous mes pieds, mettre les bijoux de ma grand-mère ou même ses robes et me contempler dans le miroir de l'armoire.
(À SUIVRE)
Y. H.
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