Algérie

L'étrange fiction de monsieur Rouache


L'étrange fiction de monsieur Rouache
Aujourd'hui, mon libraire m'a emmené à la rencontre d'un bien étrange personnage. La chemise à carreaux, les lunettes accrochées à son regard direct, scrutateur et qui interroge directement les âmes.Belkacem Rouache, créateur des scenarii les plus fous, écrivain et nouvelliste a souvent été un entomologiste des rapports humains, un esthète qui sait décortiquer les liens fusionnels amoureux. Il a attendu tous les scenarii, mais il fût sujet au pire... Pour cette fois, l'aventure est cruelle, mordante, surprenante, elle donne lieu à un roman mise au poing, mise au poing sur les murs. Il s'agit d'un homme seul, un homme seul qui regarde la mer. L'enfant de la mer qui ramassait les coquillages est aujourd'hui devenu un homme. Un homme vénérable, vieilli par les drames de la vie, aigri par les mésaventures du sort, anéanti par la perte cruelle de ses deux trésors. Un souffle léthal les ayant emporté dans un funeste voyage. Lui est dans ce récit, nous préférons récit tant la stylistique du roman est perturbée dans cet ouvrage. «L'homme qui regarde la mer» est donc un récit coup de poing, dans lequel il met en scène sa rage et sa douleur pour aller dans une histoire en deux temps poser les questions d'usage à un géant rébarbatif idéal dans son rôle de gardien d'un antre virtuel, on ne sait pas si c'est l'ange de la mort, un ange terrifiant, ou alors juste une vue de l'esprit de l'auteur pour pouvoir poser ses diatribes sur une douleur lancinante stigmatisée dans la perte de deux êtres chers après celle d'un père illustre pris par la mort dans son jeune âge. Belkacem Rouache, poète, auteur de romans comme «Le Naufrage rythmé» ou de scénario comme «Pas de Gazouz pour Azouz», nous avait habitués à plus de légèreté dans ses travaux, la légèreté voulant dire ici un travail basé sur les affleurements des choses inscrites sur des histoires en bonhomie et sagesse des sentiments. Pour ce dernier opus, il balance ses mots sur une histoire insolite, aux allants hétéroclites, deux récits imbriqués pour un final commun entre crime imaginaire ou assassinat bien réel !' Le lecteur jugera de lui-même. L'anti héros de cette histoire s'en va à la découverte de lui-même à travers la douleur qui l'étreint dans un tourbillon de questionnements, il va à la rencontre du géant qui se met sempiternellement sur sa route, revoit sa femme et son gosse, il essaie de leur parler mais aucun son ne lui est permis, ils sont ailleurs... La mer est omniprésente, les mouettes-hyènes contrarient son plan de marche. Le héros se confond avec l'auteur des phrases, l'auteur redevient poète dans les phrasés qui explicitent l'histoire, la poésie est plus libre que le roman, elle donne de la vie aux phrases. Lui continue son chemin, il veut parler à sa belle, partie trop tôt. Et puis le fil de l'histoire continue, la poésie reprend la direction du futur. Et c'est la rencontre avec la noire Doria, noire par sa peau d'Ebène à la sensualité exacerbée et aussi noire par le halo de mystère, qu'elle déclenche autour de ses pas feutrés. Un récit en deux temps lie ces deux personnages entre réel et imaginaire qui marchent silencieusement dans la frontière qui sépare nos rêves de nos éveils. Au fond, comme dans un tourbillonnant brouillard, le vieux palais fait mine de résister, dehors quelques ministres sucent la rente pétrolière la bouche directement sur le pipeline, la bureaucratie fait rage, et les gens meurent de dépit. Belkacem Rouache, enragé, inhabituel dans ses mots déclare injuste ce qui arrive à ses héros, il a raison, les blessures sont inguérissables, vives définitivement et les mots se bousculent dans son récit. Sa dernière ?uvre est lancinante, abrupte, létale pour tous les optimismes, intéressante dans son abdication involontaire, mais qui se refuse l'aspect inéluctable. Le poète a heureusement gagné dans ce duel de Titans avec la mort, la poésie gagne en qualité, «Avec lenteur et gravité, le géant écarta de son corps ses longs bras nus, les déployant comme les ailes puissantes d'un grand aigle prêt à prendre son vol. Derrière lui, je ne voyais qu'une ligne rouge presque imperceptible. Très vite la ligne disparaît tout à fait et presque sans transition, l'obscurité se fit. Après avoir marqué une pause à l'effet solennel, il rabaissa les bras, d'un seul mouvement souple et puissant, pareil à un grand compositeur dirigeant un immense orchestre...». Ainsi parlait Rouache dans son roman, un texte très bien écrit, nerveux, agité, souvent poétique, une ?uvre qui, au-delà du fait de sublimer la douleur, la met en scène dans un livre paru chez Kalima Edition. A lire de toute urgence avec une modeste pensée à Dalila et à Abderrahmane, partis à l'intérieur d'un nuage noir, rejoindre Le Juste. «L'homme qui regarde la mer», roman, Belkacem Rouache, 148 page, éditions El Kalima, Alger, 2014. Prix non communiqué. 13




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