Algérie

«L'attachement des Algériens aux fatwas venues de l'étranger a un effet dévastateur sur notre société»



Vous avez pris part dernièrement à la présentation de l'étude réalisée par fanzone.dz sur l'influence des contenus religieux sur Facebook en Algérie. Que pensez-vous des résultats, sont-ils fiables, sachant qu'une personne peut avoir plusieurs comptes 'Qu'ils soient réalisés dans le virtuel ou dans la réalité, les résultats des sondages sont toujours sujets à polémique. Je ne suis pas compétent pour juger de la véracité de ces chiffres, mais je pense qu'ils sont significatifs.
Comment expliquez-vous l'engouement des Algériens pour les pages religieuses sur Facebook '
Il s'agit bien des pages religieuses étrangères, plus particulièrement égyptiennes (Amr Khaled) et saoudiennes. En effet, la colonisation française a opéré une rupture de longue durée avec le référent religieux algérien qui était très ancré dans le soufisme. En effet, la majorité des érudits (foukahas) avaient quitté l'Algérie pour aller s'exiler en Orient.
L'Association des oulémas, fondée en 1931, est allée chercher un nouveau discours religieux venu de l'étranger, un discours mi- wahhabite, mi- Frères musulmans. Il y a des membres de cette association qui ont fait partie en tant que militants de l'organisation des Frères musulmans d'Egypte du vivant de son fondateur Hassan El Banna, je citerai comme exemple Fodil El Ouartilani.
N'oublions pas aussi que la presse des oulémas publiait souvent les articles du très célèbre théoricien des Frères musulmans, Sayed Qotb, et que les oulémas avaient envoyé après l'indépendance une lettre au président égyptien, Gamal Abdel Nasser, le priant d'amnistier Sayed Qotb qui était condamné à mort.
Il se trouve aussi que toutes les organisations islamistes, créées dans la clandestinité après l'indépendance, ont été fondées avec la participation active des militants de l'international des Frères musulmans, je citerai comme exemple le groupe de Abdallah Djaballah (El Djamaâ El Islamiya). Donc, pour tous les groupes islamistes, le référent idéologico-politique était étranger.
L'Etat national avait opté pour une pseudo-modernité souhaitée mais non assumée, instrumentalisant le religieux et opérant une politique d'arabisation qui a fait venir par milliers des enseignants arabes dont la plupart étaient des membres actifs des organisations islamistes, particulièrement l'international des Frères musulmans.
En plus, nous avons le phénomène des imams cathodiques et rôle de la presse et des médias lourds qui utilisent la religion pour vendre leurs produits.
Tous ces facteurs ont contribué à rendre l'Algérien réceptif aux discours religieux étrangers. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas étonné par les résultats de cette enquête.
Dans ce cas, y a-t-il un avenir pour les imams de quartier '
Si l'Etat ne fait rien pour réformer, et à fond, le discours religieux officiel et surtout les programmes de formation des cadres religieux (instituts de formation des imams et facultés des sciences islamiques), je pense qu'il n'y a aucun avenir pour les imams de quartier. Je dirai même que dans dix ans il n'y aura que des vieillards dans nos mosquées.
Quel est l'impact de cet attachement aux fatwas venues de l'étranger sur le devenir de la société algérienne '
L'attachement des Algériens aux fatwas et surtout aux idéologies politico-religieuses venues de l'étranger a un effet dévastateur sur notre société. Nous avons eu toute une décennie pour vérifier cela, je pense que le chiffre officiel de 200 000 morts est assez convainquant. Mais tant que le discours religieux interne n'est pas réformé de façon radicale, nous continuerons à subir les effets destructeurs des discours étrangers.
Que pensez-vous du contenu et de la manière dont sont assurés les prêches religieux ' Sont-ils à même d'attirer les jeunes Algériens '
Le discours des mosquées ne répond plus aux questionnements et aux attentes des nouvelles générations, c'est un discours qui est en contradiction totale avec l'essentiel des valeurs humaines universelles.
En plus, les jeunes d'aujourd'hui sont branchés aux nouveaux penseurs arabo-musulmans qui appellent à une réforme radicale de la religion ou du moins du discours religieux.
Et si les jeunes vont encore à la prière du vendredi, ce n'est pas par conviction mais plutôt par obligation ou par habitude, c'est juste pour ne pas être en contradiction avec une société où la religion est devenue un produit de large consommation à défaut d'être un sujet de réflexion.
Enfin, le conflit sunnites-chiites n'a-t-il pas participé à l'émergence des téléprédicateurs et autres chouyoukhs «vedettes» ' Le conflit sunnites-chiites a peut-être une part dans cette affaire, mais je pense qu'il s'agit surtout d'intérêts mercantiles qui instrumentalisent la religion comme c'est le cas pour l'islam politique.
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