Algérie - Actualité littéraire

L’ARTISTE VU PAR UN UNIVERSITAIRE Mouloud Zedek : poète et maître



L’ARTISTE VU PAR UN UNIVERSITAIRE  Mouloud Zedek : poète et maître
Mouloud Zedek est l’un de ces poètes-interprètes dont les œuvres ont attiré différentes générations et ont intéressé beaucoup d’étudiants et de chercheurs de différentes universités algériennes pour leurs mémoires et articles.

La grandeur d’un poète n’est ni son âge, ni son origine, ni sa nationalité, c’est la qualité de son œuvre et son ampleur. Elle se constate à travers la valeur de ses textes : une valeur qui se traduit, ensuite, par la diversité de son public représenté par plusieurs variantes d’âge, de sexe, de niveau d’instruction, d’origine sociale et bien d’autres. C’est ainsi qu’un poète digne de ce nom traverse les siècles et les générations, sans mourir ni prendre une ride mais en restant toujours d’actualité. Le maître de la poésie kabyle et sa référence n’était-il pas un homme pauvre, faible, sans ressources ni forces, qui traversait régions, rivières et montagnes à la poursuite de son destin ? N’y avait-il pas moins pauvre et largement plus instruit et mieux entouré que lui en Kabylie ? De nos jours, la Kabylie connaît de nombreux poètes et poétesses dont les plus renommés demeurent, souvent, des interprètes de chansons car la société est toujours influencée par cette oralité qui l’a caractérisée des siècles durant, en offrant ainsi au verbe et à la parole une valeur inestimable qui dépasse largement celle de l’écrit et qui sert à mesurer la valeur d’un homme. Mouloud Zedek est l’un de ces poètes-interprètes dont les œuvres ont attiré différentes générations et ont intéressé beaucoup d’étudiants et de chercheurs de différentes universités algériennes pour leurs mémoires et articles. Ses textes sont classés parmi ceux les plus étudiés dans les départements de langue et culture amazighes à côté de ceux de Lounis Aït Menguellet et de Lounès Matoub : plusieurs mémoires de licence, de master et de magister lui ont été consacrés pour analyser différents axes de sa poésie sur le plan littéraire, linguistique et lexical, rhétorique et autre. Dès sa tendre jeunesse, aux environs de vingt ans, Mouloud Zedek chante son entourage sociopolitique et touche à plusieurs thématiques relevant de la revendication amazighe, de la démocratie, de l’amour, de l’exil, du terrorisme et autres thématiques qui retracent son enfance assez triste et éprouvante et ses deux années de service militaire, entre 1980 et 1982, qui précèdent son exil en France. L’intensification de la douleur et son amplification se ressentent, encore plus, à travers des comparaisons faites avec des situations inverses, anciennes ou qui auraient pu exister à la place de celle décrite dans le texte de l’auteur. Je prendrai l’exemple des textes “(Ay amarezg-ik) a mmi, ad d-tekksed tizwal si taq”, “Teqqled d lgherba a tamurt, wamma keçç ay axxam yexlan” ; deux textes dans lesquels M. Zedek regrette un passé joyeux et glorieux en décrivant un présent triste et plein de mélancolie. La poésie de M. Zedek est d’un grand intérêt pour l’auditeur et pour le chercheur sur de nombreux plans tellement sa valeur dépasse les domaines littéraire et linguistique vers la rhétorique, l’histoire, l’humain… Sur le plan linguistique, il faut préciser que Mouloud Zedek est un poète qui a œuvré intensément dans le sens de la conservation du lexique de la langue kabyle et de son enrichissement en procédant à des recherches lexicales dans les dictionnaires et les textes anciens pour retrouver les mots adéquats pour représenter son idée et, parfois même, en creusant dans les archaïsmes pour leur redonner une nouvelle vie avec leurs sens anciens ou avec de nouvelles significations. Dans un de ses poèmes doux et harmonieux, il nous livre l’histoire de cette petite olive qui quitte son olivier pour finir, une fois broyée et pressée, en un délicieux liquide, l’huile, “zzit n leqbayel” qui est l’un des symboles et l’une des fiertés de cette Kabylie escarpée et montagneuse. Dans cette œuvre si triste tout de même, le poète s’est lancé en toute connaissance de cause dans la collecte de tout le champ lexical en relation avec la figue et cette huile délicieuse tout en racontant la succession des étapes entraînant ce passage d’une petite boule noire à un liquide jaune et épais dont les Kabyles sont fiers et raffolent en en faisant l’un des symboles précieux de leur “kabylité” et de leur appartenance à cette région montagneuse, pauvre mais riche à leurs yeux en la rattachant intimement au sang tel que c’est clairement cité dans la Terre et le Sang. Dans un autre texte, ce poète fait l’apologie de cet animal qui fait l’admiration des montagnards et sans lequel cette Kabylie accrochée à ses rochers et montagnes ne serait pas construite : qui ne s’en ai pas servi pour transporter ses matériaux de construction pour bâtir sa maison ? Qui ne l’a pas monté pour se déplacer dans différents lieux ? Qui ne l’utilise pas pour transporter de quoi chauffer sa demeure ?
Ici encore, l’auteur ne se limite pas à la simple énumération des mérites de cet animal dans l’émancipation de la région pour le bien-être de l’homme, mais il rassemble, en plus, tout le champ lexical qui y fait référence. Sur un autre axe de la langue, M. Zedek s’est largement penché sur l’usage de la néologie mais avec des quantités (nombre) limitées dans chaque texte afin de faciliter sa compréhension par les usagers de la langue, sans ambiguïté ni rejet. On dirait un maître d’école qui s’adresse à ses élèves en donnant l’explication de chaque mot nouveau et difficile pour rendre ses dires accessibles, en faisant suivre, parfois, le néologisme par un mot courant classé sur la liste des emprunts linguistiques. Dans l’exemple suivant, il utilise le néologisme (tafekka) “corps” qu’il reprend juste après par son équivalent dans le langage courant (ssura) : (d tafekka-w ghur-m i d-yeggran, ma d ul-iw seg-m yeffegh …d ssura-w ghur-m i d-yeggran).
À côté de l’usage des néologismes, le poète n’hésite pas à recourir à des dizaines d’archaïsmes afin de les récupérer et leur donner une nouvelle vie avec la même signification que jadis ou encore avec un glissement sémantique enrichissant et fructifiant pour la langue. Toujours dans la même perspective d’enrichissement linguistique, et tout en faisant attention aux appréhensions et en évitant de porter atteinte à certaines mœurs et à la pudeur que connaît cette société traditionnaliste. C’est ainsi que M. Zedek arrive à exprimer des sentiments et des idées qui sont difficiles à partager verbalement entre deux personnes, à travers des mots doux et harmonieux sans porter atteinte aux valeurs de pudeur partagées par ses concitoyens : (mi asen-sselfegh akk dayen tsen, ad d–ggrgh$ yid-m, ad am-gegh amkan gar yetran). Dans cette belle image rhétorique, le poète, très impatient et très heureux de retrouver sa chère épouse, lui promet de lui faire une place parmi les étoiles à l’occasion de leurs retrouvailles à son retour de son exil. Seulement, malgré la beauté de l’image et de la promesse, ce n’est que le sens premier que nous avons ici. En effet, le poète lui promet de la faire monter au septième ciel suite à sa jouissance, car elle lui manque tellement qu’il réussira à la combler de plaisir. Sur un autre axe lexical, tout le monde a constaté cet attachement qu’a Zedek envers le verbe et le jeu de mots auquel il se livre assez souvent et dans tous ses textes pratiquement. En analysant l’exemple (ma djigh, djigh, ad djegh, ayen akk i d-tedja tidjit-iw), un simple lecteur ou usager de la langue dirait que Zedek s’est plutôt livré à un jeu de répétition sans valeur même sur le plan esthétique. Dans le fond et pour un connaisseur de la langue, le verbe, repris ici quatre fois en plus de son nom d’action, est porteur de valeurs sémantiques et aspectuelles variables avec de légères nuances. Cette sagesse dans l’utilisation du lexique de la langue fait que ce poète excelle dans la manipulation du sens et de l’image poétique et rhétorique exploitée. De nombreuses images de ce type apparaissent dans l’un de ses derniers textes (teqqled d lgherba a tamurt). Jadis, Zedek se retrouvait en exil pour longtemps en repartant en France, loin de sa famille et de celle qu’il aime. Cela l’avait d’ailleurs fortement inspiré dans plusieurs de ses poèmes d’amour dans lesquels ce noble sentiment se mêlait à l’éloignement et à la séparation pour l’amplifier encore davantage. L’absence n’est-elle pas à l’origine de l’intensification de l’amour ? Car plus on rencontre d’obstacles à atteindre l’être aimé, plus on s’attache à lui. Les plus grandes histoires d’amour ne sont-elles pas celles où l’union des deux êtres qui s’aiment était impossible ? Après sa souffrance de cet exil en France, Zedek retrouve ces mêmes douleurs de solitude et de vide autour de lui, mais cette fois-ci, non pas en France mais chez lui, dans son pays natal et à l’intérieur de sa propre maison qui s’est vidée de ses habitants après leur départ obligé. Après une description de ce vide qui s’est installé à la place de la chaleur de sa maison, M. Zedek énumère successivement les nombreuses raisons qui ont précipité son exil en compagnie de sa famille tout en se justifiant face à ceux qui tenteront de lui porter atteinte sur son départ.


M. I.
(*) Professeur en linguistique amazighe Université Mouloud-Mammeri,Tizi Ouzou
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