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L'Amazone au grand c'ur à El-Yasmine



L'Amazone au grand c'ur à El-Yasmine
Au tout début, il y a ce sourire, généreux, ce regard un peu de biais, et toute l'histoire que l'on peut greffer autour. Qu'elle serait probablement une Amazone, et qu'elle se serait sans doute échappée des griffes de la belle Cléopâtre pour venir oublier les panthères de la reine d'Egypte, ou les guépards de la vierge Amazonie.Mais elle n'est rien de cela, c'est juste une artiste, férue de peinture qui croque tout ce qu'elle voit. Du 10 au 25 mars 2017, la galerie El-Yasmine accueille cette artiste-photographe qui présente au public une ?uvre inédite sur trente pistes peintes et dessinées, déclinées et présentes dans une ?uvre générique « Fragments d'un songe équestre ». Celle qui, enfant, avait peur de rater le moindre détail en dessinant, peignant et croquant à tout bout de champs, vient, aujourd'hui, nous faire montre d'un talent indéniable, décliné dans un livre fabuleux qui, quand il est ouvert, laisse tout un mouvement s'en échapper. En effet, « Fantasia...une mémoire, un art » trône un peu partout dans la galerie, c'est un beau livre avec un texte très bien écrit et des photos à couper le souffle, exposées aussi sur les cimaises de la galerie de Lyès Khelifati. Leïla Boutammine Ould-Ali ne vient pas d'ex-nihilo, quand elle réalise son livre, elle entreprend un « voyage » théorique, adopte les réflexes admis chez tous les chercheurs, fait un parallèle subtil entre la danse, avant de tomber en amour pour ce art équestre hérité de la guerre, de la guérilla, rapide, efficace et sans nul doute meurtrière à l'origine. Mais Leïla, curieuse et structurée, va en étudier le mouvement, décrypter l'esthétique, décortiquer le geste, le décrire, le penser, déconstruire le concept guerrier pour en retrouver, aujourd'hui, toute la subtilité esthétique dans la gestuelle, le mouvement, la pliure, la «déplié». Elle capte la similitude avec la danse, s'intéresse de près au lexique Labania sur les mouvements pour mieux se consacrer d'une manière systémique à l'art équestre qu'elle voit comme un ballet, l'art du mouvement. Sur son lexique, elle a perçu l'efficacité de la description justement du mouvement d'avancer en ligne, sa voltige, une amorce, un calme apparent et, ensuite, la notion de jaillissement après un déploiement du mouvement sur une seule ligne, la turgescence finale sur un axe vertical. Tout cet art provenant du perfectionnement de la technique, c'est ainsi qu'elle adore voir le génie des cavaliers s'effacer doucement au bénéfice d'un art aujourd'hui séculaire. Elle traite la fantasia sur un mode matériel au début, ensuite, elle arrive à la quintessence de cet art qui redevient non-matériel, juste une essence du geste, strictement symbolique dans une attitude théâtralisée, dramatisée par le geste, la force animale, la poudre... Elle présente cela dans un cadre noir, des petites photos, d'autres plus grandes au nombre de 25, elle veut pour cet art un écrin, elle réussira dans ce livre à réaliser plus qu'un écrin qui se touche, se prend, se hume, se lit, se sent dans une offrande qui de la lumière réalise le cycle complet de revenir à la lumière, le livre doit être beau comme la tradition l'est, il doit incarner le souffle de cette dernière, sa dynamique circulatoire. Bien-sûr, Leïla Boutammine s'est adossée à un corpus complet de la question. Sur trois volets, un jalonnement de cette fantasia de l'utilité du début vers son aspect esthétique, dans un glissement naturel, avec en partage le caractère jaloux de la tradition, de la conservation de l'identité, l'aspect « Oulid el khayma el foulaniya », affirmation identitaire sur une joute équestre admise que l'on retrouve chez les Arabes, les Berbères, les Américains du sud, ou les Mongol, c'est une intéressante hiérarchisation sociétale des tribus. Pour le second volet, Leïla adopte une petite réflexion sur les visages de la fantasia actuelle qu'elle soit collective, en solo, induite par la topographie des lieux dans une composition de 1 à 5 éléments, et puis aussi, la fantasia de l'ouest, celle de l'est, et aussi celle des K'sours. Elle s'intéresse à cet art qui fût cynégétique, le fusil planté dans le ciel, et puis planté vers le sol, pour d'autres raisons. On saura aussi que la fantasia est inspirée des lieux qui l'ont vu naître, qui l'on obligée à défendre un territoire, instaurer une guérilla limpide sur l'assaut et le retrait (el kher ouel fer), au début, pour aller vers l'épure de ce que doit être ce spectacle, c'est-à-dire arriver au volte-face dans l'épure la plus complète, l'immatérialité du geste chorégraphié qui ne se codifie pas car il s'agit de la symbolique d'un geste libre par excellence... l'essence même d'un exercice d'hommes libres, cela était le troisième volet de sa curiosité. Mais dans sa deuxième partie d'exposition, Madame Boutammine Ould-Ali prend trente supports, et nous mène par tant d'effets graphiques et de circonvolutions plastiques dans des pistes farouchement inédites, elle nous surprend par une inspiration dont les muses ne l'ont certes pas privées tant elle adopte des séries qui nous mènent aussi vers un glissement de la peinture, vers les arts-graphiques où la plasticienne peint avec force, avec fougue, heavy métal à fond, le geste qui suit et qui transmet sa force au support, elle réalise en fait des cavalcades sur ses toiles, prépare, travaille fougueusement au pinceau, trempe, mouille, adopte ses fonds comme un océan turbulent, prépare ses ciels comme des tempêtes permanentes adoptées pour l'éternité. Elle pose ensuite un ensemble de «filtres» intéressants, étranges qui finissent de donner un ton insolite au tout, une figure, un extrait, un détail de personnage, traité par des tonalités un peu jaunâtres, tabacs, ocres, ne pas s'étonner de sentir le tabac, la sueur de cheval et la terre batelée par de fortes ruades du pinceau de la plasticienne sur un support domestiqué par un talent fécond en conjectures. Les sujets restent métaphysiques, ils offrent une nouvelle vision du sujet, il n'existe plus dans le contexte cavalier ; il devient une note évanescente, un graphisme nerveux et curieux. L'aura revient par la porte mythologique comme ce « Centaure » aux ailes angéliques, aux pattes équines, mais aux référents humains bien de chez-nous. Il y a aussi « Rémanences », la série « Monomania », « Sine Filum », « Cheval sur piédestal », « Motus », « Equilibre pluriel », autant de découvertes d'une plasticienne qui a dépassé son travail de simple représentative d'un art entre photo et peinture pour nous livrer un allant personnel et un style original basé sur les compositions en séries, des notes verticalistes qui vont à l'essence des choses, nous donnent à percevoir et non plus à voir tout simplement, elle va au profond du sujet pour nous donner à lire une nouvelle scène qui, dans le symbole, rejoint l'essentiel de ce qu'elle veut pour son art si subtil de la cavalerie. « Fragments d'un songe équestre » est à voir de toute urgence car il s'agit de la renaissance d'une artiste bientôt incontournable. Vite, avant qu'il ne soit trop tard... « Fragments d'un songe équestre » et « Fantasia...une mémoire, un art », exposition et livre de Leïla Boutammine-Ould Ali, Galerie El-Yasmine du 10 au 25 mars 2017, Coop Ennadjah, Villa 107 Dely-Brahim, entrée libre, renseignements au 0557 82 72 06.
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