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L'Algérie certifée indemne de cette redoutable parasitose




Par Farouk Zahi
Cette maladie infectieuse vectorielle qui renvoie au dénuement social accentué par les conditions de salubrité environnementale, le plus souvent précaires, vient d'être déboutée du territoire national. Lors de sa 72e assemblée générale tenue à Genève, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a délivré, le 22 mai 2019, à notre pays son certificat d'éradication du paludisme devenant ainsi le deuxième pays africain à avoir obtenu ce sésame après les Seychelles, en 1993.
C'est en compagnie de l'Argentine, grand pays latino-américain, que ce sacre est venu couronner les efforts consentis sur plusieurs décennies pour venir à bout de ce fléau morbide.
A ce titre, nous ne manquerons pas de rendre hommage aux pionniers de cet âpre combat qu'a été la lutte antipaludique. Conduite par le défunt Dr Guessabi, elle a eu pour theâtre opérationnel un baraquement tenant lieu de siège de la section spécialisée à l'Institut national de santé publique (INSP) sis, à l'époque, au niveau de l'actuel ministère de la Santé. Entouré de techniciens de grande conviction dont certains ne sont plus de ce monde dont on peut évoquer, à titre illustratif et non exhaustif, MM. Beldjillali de Mouzaia, Fodil de Médéa et Meftahi de Gouraya, il imprima à ce programme une dynamique portée par une volonté et une foi inébranlables quant à l'issue de ce combat. Cette certification vient s'ajouter à celles déjà obtenues pour l'élimination de la diphtérie, du tétanos maternel et néonatal et bientôt la poliomyélite.
Les sévères réquisitoires tenus à l'endroit du système national de santé, justifiés le plus souvent non par l'ineffiscience de la démarche globale mais par le comportement de l'élément humain dont on a, à un moment ou à un autre, négligé la formation ou la mise à niveau, sont à notre sens iniques. Les jugements et les arrêts hatifs sont parfois excessifs et ne rendent pas justice à celles et à ceux qui ont fait de notre système de santé, à un moment de son histoire, un modèle internationalement reconnu. Aussi, un bref rappel des phases de cette belle épopée est nécessairement opportun afin de restituer, un tant soit peu, la problèmatique de l'époque.
Le paludisme est l'infestation du sang humain par un micro-organisme unicellulaire appelé plasmodium. Il en existe 4 types : le vivax, l'ovalé, le falciparum et le malaraé. Les trois premiers sont responsables de la fièvre tierce qui survient tous les deux jours, le dernier est responsable de la fièvre quarte, qui survient tous les trois jours. Ces accès de fièvre correspondent à la spoliation des globules rouges par le parasite.
L'humanité paye un très lourd tribut à cette pandémie, surtout l'enfance de moins de 4 ans. L'OMS estime entre 300 à 500 000 000, le nombre de malades dans le monde, dont 90% pour la seule Afrique subsaharienne, où il en meurt 1 enfant toutes les trois secondes (1 000 000 de décès par an). Seules l'Amérique du Nord et l'Europe en sont indemnes.
De nombreux pays d'Amérique latine, d'Afrique de l'Est, la péninsule indo-pakistanaise et l'Asie du Sud-Est sont en butte à un paludisme résistant au traitement standard.
L'histoire de la maladie remonte à l'antiquité, Grecs et Romains en parlaient déjà comme de la maladie des marécages, d'où son nom tiré du nom latin palus (marais). Hippocrate la décrivait comme une fièvre sévissant dans les lieux humides et marécageux, on la rattachait à cette époque déjà aux étangs. Elle prenait ensuite le nom de malaria (mauvais air) encore usité.
C'est grâce aux Amérindiens précolombiens que l'ancêtre du médicament a été découvert. Il s'agit de l'écorce de quinquina, que les Indiens impaludés mâchaient pour ce traiter. En 1640 les jésuites importaient en Europe la poudre de l'écorce, appelée alors «poudre des jésuites». En 1820, deux pharmaciens français en tirent le principe actif qui prend depuis lors le nom de quinine.
Le médecin militaire Clément Maillot codifie son emploi et sa posologie dans les fièvres intermittentes et continues. Le médicament est désormais administré à titre préventif et curatif. Plus tard, des produits de synthèse vont venir renforcer l'arsenal thérapeutique, spécifique à la lutte antipaludique.
La cause de la maladie a été découverte le 6 novembre 1880 à l'hôpital militaire de Constantine par un médecin de l'armée française, Alphonse Laveran qui démontrera que la maladie est provoquée par un parasite spoliant les globules rouges des humains, des oiseaux et des primates et avance l'hypothèse d'une transmission vectorielle par le moustique.
Il reçut pour ses travaux le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1907. C'est en 1897 que le médecin anglais Ronald Ross (prix Nobel en 1902) prouva que les moustiques anophèles sont les vecteurs de la malaria (jusqu'à cette date, le «mauvais air» émanant des marécages était tenu responsable de la propagation de la maladie).
En 1898, l'Italien Giovanni Grassi, confirme l'hypothèse et démontre que les moustiques impliqués dans la transmission du parasite à l'homme sont les femelles du genre Anopheles(1).
Sur les 600 espèces recensées, seules 70 d'entre elles transmettent le paludisme. Le mâle de cette espèce ne pique jamais, il se nourrit de sucs de végétaux ; la femelle, quant à elle, est hématophage. Elle se nourrit de sang humain, nécessaire à la ponte des ?ufs. Celle-ci a lieu tous les deux à trois jours. La connaissance des m?urs du moustique permet son extermination. Il a été ainsi observé, qu'après le siphonage du sang sur l'être humain par piqûre, le moustique se pose sur une paroi murale. Cette pause lui permet de digérer son repas. Infesté par le parasite, il contaminera l'individu sain, qui, à son tour, va constituer une nouvelle source de contamination. Ingéré par le moustique, le parasite subira un cycle biologique obligatoire et ira dans ses glandes salivaires, pour une prochaine infestation humaine ou animale.
Le moustique femelle fécondé dépose ses ?ufs sur une surface d'eau, les larves qui en éclosent sont subaquatiques, elles respirent grâce à un siphon. Cette particularité permet leur destruction par épandage de matières grasses, moins denses que l'eau dont le fuel, pour les asphyxier.
Jusqu'au lendemain du recouvrement de la souveraineté nationale, notre pays subissait les affres de la maladie. Nos parents et même l'enfance post-indépendance subissaient les accès de la fièvre palustre. Ils appelaient cette maladie : «la fièvre des trois jours». La quinine était un médicament courant dans les foyers. Selon Sadek Lebal, entomologiste chevronné, des sondages hématologiques éffectués dans les années soixante sur une population tout-venant dans un marché hebdomadaire d'une ville du Sud dépistaient près de 80 cas positifs sur 100 échantillons prélevés. Ceci était révélateur de la morbidité largement répandue de l'infestation palustre. Problème majeur de santé publique, il lui est consacré, en 1968, un programme spécifique de grande envergure en dépit des modestes moyens humains et matériels dont disposait le pays fraîchement sorti d'une longue et sanglante guerre d'indépendance.
Appuyé par l'OMS, ce programme, constitué de 3 phases intitulées respectivement : d'attaque, de consolidation et d'entretien, devait mettre en branle des moyens logistiques relativement conséquents. Les collectivités locales mises à contribution fournissaient la main-d'?uvre sans qualification, les moyens de locomotion et prenaient en charge l'information de la population.
La section spécialisée de l'Institut national de santé publique (INSP) était chargée de la stratégie, de la formation, de la supervision et de l'évaluation des opérations. La phase d'attaque consistait en la destruction des gîtes du moustique et le traitement de ses espaces d'évolution.
Sur le terrain, les directions de santé à travers les équipes mobiles d'actions sanitaires de masse (Emdasm) procédaient au recensement des habitations en zones rurales et établissaient la cartographie des lieux à traiter.
Cette opération était précédée de l'information par l'accolage d'une affiche, sur laquelle était imprimée la figurine d'un man?uvre, portant sur son dos un appareil d'aspersion d'insecticide à effet rémanent (DDT à 75%). La validité du produit aspergé sur les murs intérieurs des domiciles durait six mois.
était inscrite au bas de l'affiche la mention : «Mon ami l'aspergeur». Cette approche facilitait l'accès de l'agent aspergeur dans les foyers pour l'opération d'aspersion. Les techniciens entomologistes, quant à eux, établissaient la cartographie des gîtes larvaires après identification des espèces, pour la localisation des peuplements d'anophèles.
La section d'assainissement et d'hygiène du milieu, dirigée par le défunt Dr Ahmed Aroua, fit du corps des agents techniques d'assainissement et d'entomologie le fer de lance de la lutte antipaludique. Ce prestigieux corps technique, intégré en 1980 dans celui des infirmiers diplômés d'Etat, a été malheureusement presque éteint. Par son profil, ce technicien est beaucoup plus proche de l'ingénieur sanitaire que du technicien paramédical.
Le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement devrait, si ce n'est déjà fait, ressusciter la formation de ce corps professionnel, dont le besoin devient de plus en plus pressant. Les menaces encourues quotidiennement par le milieu environnemental doivent être endiguées par des avis autorisés et des mains expertes. Le bricolage n'a que trop duré !
Le sondage hématologique nécessaire à la surveillance épidémiologique de la maladie était assuré, quant à lui, par des agents aides paramédicaux, pour la plupart formés sur le tas.
Ils étaient chargés de prélever une goutte de sang sur la pulpe du doigt de tout fiévreux se présentant à la consultation.
Le suspect recevait un traitement présomptif à la chloroquine. La lame de verre sur laquelle on étalait la goutte de sang était dument identifiée et enregistrée sur un carnet ad hoc. Elle faisait l'objet d'analyse au niveau d'un laboratoire idoine, laboratoire c'est trop dire ; il s'agissait d'un simple agent muni d'un microscope et de colorants formé à cette seule tâche au niveau de la direction de santé de wilaya. On prélevait un quota correspondant à 10% de la population. Le dépistage passif mené à grande échelle débusquait de moins en moins de cas. L'opération connaissait un franc succès, la bataille du paludisme allait être remportée par les petits aides-soignants et notre ami l'aspergeur. L'Algérie devait faire prévaloir l'absence de paludisme sur tout son territoire en 1985 et, par conséquent, obtenir de l'organisation onusienne en charge de la santé son certificat d'éradication.
L'enjeu était de taille et le défi insolent, selon les propres propos du défunt Dr Guessabi. Se peut-il qu'en un temps relativement court, un pays dit en voie de développement puisse postuler à un tel statut que la France n'a pu avoir qu'en 1968 et que l'Espagne vivait, en 1974, sa grosse épidémie ' Cet état de fait fit que l'approvisionnement du pays en lames de verre, un support incontournable de la surveillance épidémiologique, risquait à tout moment de manquer par rupture de stock. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les traditionnels fournisseurs de cet article qu'ils soient de l'Ouest ou de l'Est (pourtant amis) ne pouvaient nous approvisionner pour divers motifs.
Cette problématique trouva sa solution dans le lessivage et la stérilisation des lames utilisées et leur réinjection dans le circuit. Ce dépistage permettait de localiser les cas pathologiques et d'enclencher des actions ponctuelles et limitées d'aspersion d'insecticide intra domiciliaire. Connaissant les néfastes résultats de l'utilisation des insecticides sur l'environnement, il était envisagé d'autres moyens.
La lutte physique par l'assèchement ou le drainage des plans d'eau et la lutte biologique par ensemencement de gambuse (poisson larvivore). Ce dernier, prédateur de larves, était ramené du barrage du Hamiz. Il y eut par essaimage d'autres sites aquatiques, tels ceux d'El-Ménia et de Ouargla. L'endémie palustre de notre pays, autochtone autrefois, était quasiment due au plasmodium vivax. Notre environnement, encore vierge de par son enfermement dû au fait colonial, la vulnérabilité du moustique aux agents chimiques usuels et l'absence de résistance aux drogues thérapeutiques du parasite ont fait que la campagne d'éradication menée tambour battant avait toutes les chances de réussir. A l'heure actuelle, la donne n'est plus la même et le danger plus périlleux. La résistance du vecteur et du parasite à l'arsenal chimique, observée sous d'autres latitudes, et l'ouverture du pays sur l'Afrique subsaharienne peuvent présager de situations épidémiologiques plus complexes. Les espaces désertiques qui nous prémunissaient du «péril» se sont peu à peu rétrécis, sous l'effet de la permissivité du territoire national rendue possible par les multiples moyens et voies de communication. Cet état de fait devra nous contraindre à des réactions rapides aux risques induits
Les faubourgs de certaines villes du Sud sont connus pour leurs diverses relations avec les pays du Sahel. Les citernes et autres contenants sont éminemment indiqués pour ramener des larves d'anophèle. Il suffit parfois d'une petite flaque d'eau pour abriter et maturer les larves et nymphes de moustiques.
Ce sont parfois la suffisance professionnelle et l'absence d'humilité qui nous mènent droit à la débâcle. On aura toujours le beau rôle en jetant l'anathème sur d'autres parties en lice, ou en stigmatisant le comportement incivique du citoyen. Ce citoyen informé ne pourra que mieux se comporter devant la maladie, tout comme devant toute calamité naturelle, aussi ravageuse soit-elle. Selon les experts en la matière, le monde devra faire face dorénavant, non seulement au paludisme, mais à la tuberculose et au VIH/sida. Ce dernier syndrome participe activement à la destruction des barrières immunologiques naturelles contre les premières citées et bien d'autres maladies encore.
F. Z.
1) Wikipédia





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