Algérie

L’Abyssinie fière et mystérieuse de Rufin



Un roman sur la vérité défaite L’Ethiopie, ou ce qui, géographiquement du moins, pouvait en être l’équivalent dans les temps anciens, l’Abyssinie, a été constamment le pays de toutes les énigmes. D’abord celles concernant la religion en usage. Bien qu’il est établi que la population est en majorité maintenant chrétienne, avec des minorités musulmane, juive ou autres, on se rend compte, à la faveur de tel ou tel événement, que nous connaissons peu de choses sur les pratiques par lesquelles s’expriment ses croyances. Et ce qui revient souvent, ce sont des échos sur des pratiques animistes qui parfois sont, par ignorance, mis au compte des religions monothéistes. Ceci nous rappelle, en tout cas, que ce pays a été toujours réfractaire aux velléités de conversion quand il s’agit de dogmes et de rites. L’Abyssinie, souvent fragile économiquement, a su garder jusqu’à un âge tardif, les traits d’une civilisation singulière et mystérieuse.Jean-Christophe Rufin, dont nous aimerons retenir qu’il était médecin et voyageur, nous en parle d’une façon à la fois simple et décapante dans son roman L’Abyssin. Nous avons eu d’abord, il y a quelque temps, un coup de cœur pour ce roman à cause sans doute de ce voyage fabuleux au décor précis et charnel dans un autre âge. Et après l’avoir ainsi adopté, voilà qu’il évoque aujourd’hui pour nous des choses bien actuelles. Pourtant, c’est le premier roman d’un auteur qui, non seulement, a reçu toutes les distinctions littéraires dans son pays, dont le prix Goncourt, mais qui a été aussi salué pour sa grande connaissance de l’Afrique et pour ses analyses politiques - il est l’auteur de ‘L’Empire et les nouveaux barbares’, ‘La dictature Libérale’, ‘L’aventure humanitaire’ - ainsi que pour sa lutte contre la faim dans le monde. Nous sommes à l’époque du Roi-Soleil, Louis XIV. Un roi de France hostile à toute réforme de l’église. Après avoir révoqué les traités passés avec les Huguenots et affronté les princes protestants menés par Guillaume d’Orange, il va vouloir mener «la vraie foi» à des terres qu’il considère infidèles. Aussi va-t-il solliciter l’action des Jésuites et de son Consul au Caire pour installer, dans cette perspective, une ambassade en Abyssinie,» une terre, dira son représentant religieux, gagnée par la Chrétienté mais où la foi, mal irriguée, a poussé dans une mauvaise direction. «Dans le même temps, les Capucins, Ordre réformé de saint François, réfugié en Egypte après un premier échec en Abyssinie, et qui avaient alors convaincu la papoté (Innocent XII) de leur confier, de nouveau, officiellement cette mission qui consistait à œuvrer en vue de convertir toute l’Abyssinie à l’Eglise romaine. Les stratagèmes utilisés par les uns et les autres pour atteindre leur but, et en devancer l’autre, vont servir de toile de fond à une histoire où se trouvera impliqué un botaniste guérisseur installé au Caire. Jean-Baptiste Poncet, chargé (par le consul représentant du Roi) d’introduire la mission des Jésuites (devant étudier la prédisposition chrétienne de l’Abyssinie) auprès du plus ténébreux et du plus mystique des souverains d’Orient, le Négus. L’aventure du jeune médecin (qui devait à l’origine guérir le Négus d’une maladie de la peau) va nous conduire dans le monde d’une Egypte gouvernée par des Turcs rudes, dans le déserts du Sinaï, dans les contrées du Senaar, dans la société abyssine et ses rites et, enfin, dans le palais étrange du Négus. Des rebondissements de l’histoire amèneront le héros, après son retour d’Abysinie, à traverser des mers et des frontières, de tous les dangers, pour enfin arriver à Versailles, dans la cour du Roi de France. En fait, après avoir ramené un ambassadeur du Négus, que le consul du Caire refuse d’envoyer en France, et des présents, Jean-Baptiste Poncet n’avait « à offrir «, de son voyage, que deux oreilles pourries d’éléphants, au roi de France. Jean-Baptiste Poncet échouera alors dans son projet de convaincre Louis XIV de la vérité qu’il avait retenue au sujet du peuple abyssin et de la nécessité de l’envoyer comme son propre ambassadeur, en lui attribuant les titres de noblesse y afférents. Précisément, il ne pourra pas lui dire comme il en espérait : « Majesté, acceptez l’amitié d’un grand roi de l’Orient. Envoyez-lui une ambassade, commercez, achetez-lui son or, vendez-lui l’ouvrage de vos manufactures mais ne cherchez point à troubler la construction de sa nation en voulant le convertir, car vous n’auriez pas toléré non plus qu’il troublât la vôtre.» Ce sont, par contre, les Jésuites, ordre alors puissant, qui convaincront le Roi-soleil de ce que: «Les Abyssins veulent revenir dans la foi», selon eux bien sûr. Plus que l’histoire d’une Abyssinie longtemps rebelle - mais finalement (religieusement) conquise (bien plus tard, dira le narrateur, vers la fin du XIX siècle)-, ce roman où l’Histoire est portée par l’aventure et le conte merveilleux de l’amour (de Poncet et de Alix), nous le recevons aujourd’hui comme un voyage initiatique pour la quête et le faire-valoir de la vérité. C’est une parabole, toute en actions, de notre donne d’aujourd’hui plus qu’hier. L’Occident se trouvant en situation de puissance économique et militaire cherchant à imposer à d’autres pays (faibles et constituant un intérêt pour lui) sa vision du monde, voire sa vision de la religion qu’il partage avec eux. Et c’est alors, avant toute tentative de conquête, la guerre des rapports et des motifs établis sur le pays visé, à l’adresse des gouvernants des Puissances. L’intérêt fait dire des choses, fait voir des choses; et tant pis si, plus tard, bien plus tard, après s’être servi, après avoir dominé pour se servir on dira : On s’était trompé!



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)