Algérie

Ksentini, 6147 e disparu



A l?origine, l?idée est généreuse. L?Etat, en proie à une crise existentielle au sortir d?une guerre féroce, demande à un avocat, Farouk Ksentini, de faire la lumière sur les bavures d?Etat. L?avocat d?Etat travaille sur le sujet d?Etat et pond un rapport d?Etat : 6147 disparus sur des bases documentées, enlevés par des éléments des forces de sécurité, avec cette conclusion étrange : « Etat responsable, mais pas coupable. » S?il est un peu facile de mélanger un concept pénal - la culpabilité - avec un concept éthique - la responsabilité -, le calcul a été fait : pour enlever une personne, il faut deux policiers (pour le policer), un cuisinier (pour le cuisiner), un traiteur (pour le traiter) et un fossoyeur (pour l?enterrer), puisque l?on voit mal l?agent responsable enterrer sa victime dans son propre appartement. Au total, il aura donc fallu 5x6000, soit 30 000 hommes, qui auraient agi individuellement. Le chiffre est gros et il pose problème. D?abord aux adversaires de Ksentini, qui considèrent en toute logique que 6000 disparus ne sont que des dommages collatéraux incontournables d?une guerre totale entre les services de sécurité et les groupes terroristes, sortie à l?avantage des premiers et de l?Etat, toujours là. On peut aussi comprendre que le Président a une arme déloyale entre les mains pour contraindre les services de sécurité à plus de tendresse, mais dans tous les cas, et si le problème de la torture officielle et les mauvais traitements que peut infliger l?Etat à ses citoyens sont derrière le débat, il est évident que les disparus ne reviendront jamais et l?Etat ou ses services de sécurité ne seront jamais inquiétés, pas même individuellement. C?est pour cette raison qu?avec sa formule l?avocat d?Etat Ksentini a tout réglé en ne réglant rien. Farouk Ksentini, et il le sait déjà, sera le 6147e disparu. Il va disparaître, lui et son rapport.



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