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kiosque arabeLe vacarme des bigots



kiosque arabeLe vacarme des bigots

Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com
Il peut se passer des choses extraordinaires, surnaturelles, fabuleuses, partout ailleurs, on les regardera avec dédain, pour peu qu'on se donne la peine d'y jeter un œil paresseux. Le sol brûle à notre frontière est, et nous sommes submergés de hachich par l'ouest, ça ne nous émeut pas plus. Nous ne sommes pas plus étonnés lorsqu'on nous annonce qu'un maçon chinois s'est converti à l'Islam, alors que nous faisons tout pour dissuader ceux qui seraient tentés de nous rejoindre. Que des bataillons d'intégristes se mettent en ordre de bataille sous les minarets urbains ne remue pas un poil de notre système pileux visible et invisible. Sans plus d'émotion, nous regardons la mauvaise herbe intégriste envahir notre jardin national, en étouffant toute vie utile sur son parcours. Mais que des citoyens libres, sauf avis contraire, s'avisent de ne pas faire comme tout le monde, et c'est la mobilisation générale, sous les cris et les anathèmes. C'est à croire que les «Wakaline Ramdane», les mangeurs de Ramadhan, pousseraient comme des champignons en Kabylie, ignorant les terreaux fertiles qui s'offrent par ailleurs.
Quoi ' Ces mécréants osent manger, boire et fumer sous nos yeux pendant que nous souffrons (ou faisons semblant de souffrir) de la douleur des estomacs affamés, et des gosiers desséchés ! De relais en relais, l'affaire a enflé, au point de devenir l'affront du siècle, et des Ibn-Taymia en herbe ont lancé, du haut des tours de guet ou des minarets, leurs alertes aux tatars. Des dizaines de médias, de sites arabes, de «chouyoukhs» cathodiques se sont abattus comme une nuée de vautours sur quelques centaines de quidams qui menaçaient, dit-on, de saper les fondements de l'Islam. Fragile forteresse menacée d'effondrement par l'exhibition d'une poignée de contestataires qui seront peut-être des milliers, voire des millions, si la communauté nationale continue à avoir l'oreille et l'œil sélectifs. Des journaux et des télévisions bien pensants se sont mis de la partie, attisant à qui mieux mieux les feux de la discorde et des vieilles haines. Tous les tartuffes écrivant de gauche à droite, et surtout de droite à gauche, ont trempé leur plume dans le bénitier wahhabite.
Des tartuffes, disais-je, du genre à entretenir une liaison secrète et honteuse avec Johnny Walker, dans la semaine, et à arpenter le pavé devant les mosquées, en kamis le vendredi, et en triturant cette question existentielle : rouge ou double étiquette noire ' On peut parier sans risque de se tromper que ces moralisateurs ont encouragé en sous-main la montée d'adrénaline et d'encre antipathique qui a submergé le pays, lors de ces journées mémorables. Heureusement qu'il reste encore un peu de lucidité dans ce pays, et que le flot nauséabond n'a pas étouffé toutes les bonnes odeurs et tous les réflexes sains. Notre consœur Hadda Hazem, directrice du quotidien Al-Fedjr, n'a pas laissé son cerveau au mont de piété, contrairement à certains. Elle a tèt fait de relever l'immense abîme séparant l'évènement, ou le non-évènement, de l'exploitation qui en a été faite par ceux qui ont fulminé contre ce qu'ils appellent «l'atteinte à la sacralité» du Ramadhan. Elle dénonce le vacarme intempestif des bigots par la célèbre formule locale selon laquelle «les lamentations sont tapageuses, alors que le défunt est un simple rat» (Al-mindba kebira oua l'meyit far).
«Ces gens que n'ont pas émus toutes les violations quotidiennes des droits des enfants, des femmes, et toutes les vilénies sous leurs diverses formes, écrit Hadda Hazem. Ils n'ont pas été révoltés par la violation du caractère sacré de l'argent public, tout comme ils ne se sont guère émus des meurtres, et des viols commis durant la décennie rouge, ainsi que des destructions occasionnées au pays. Les voilà qui s'érigent en défenseurs du Ramadhan sous prétexte que les non-jeûneurs ont heurté par leur geste les sentiments des jeûneurs. Ben voyons ! Les sentiments des jeûneurs'! Ces sentiments que n'ont pas blessés la cherté des prix, et l'âpreté au gain des commerçants en période de Ramadhan. Leur pudeur n'a guère été plus offensée par le fait que les institutions et les administrations se transforment en dortoirs publics durant les heures de travail. Comment la roue de l'économie tourne au ralenti. Ces gens n'ont pas été outrés par le spectacle des réfugiés dans nos rues, ou des femmes qui dorment dans les jardins publics, en butte à tous les dangers. En revanche, ils sont atteints dans leurs sentiments lorsqu'ils voient des gens qui refusent d'appliquer l'un des canons de l'Islam. Et combien sont-ils qui n'appliquent pas les autres canons de l'Islam, tels que la prière ou l'aumène légale'»
Et voici mieux encore : «Au nom de l'Islam, religion d'Etat, ledit État devrait-il mobiliser ses institutions pour protéger le Ramadhan alors qu'il n'arrive pas à protéger l'argent public des prévaricateurs, et qu'il peine à assurer les droits de ses citoyens ' C'est l'occasion ou jamais de séparer la religion de l'Etat, comme le font tous les autres pays qui garantissent les libertés à tout le monde, citoyens ou visiteurs, et ce, au nom de la liberté et de l'humanisme. L'Etat n'est pas une personne pour avoir une religion, la religion est une relation entre un individu et son créateur, et l'Etat n'a pas à y intervenir pour imposer sa tutelle. Ainsi, la démonstration qu'a connue hier la Kabylie n'aura plus aucun sens ni raison d'être.» Du cèté des boutefeux, j'ai noté un papier abject incitant le pouvoir à redoubler de férocité envers les non-jeûneurs, à la manière de ceux qui appelaient naguère à réprimer la revendication amazighe. A la façon de l'éternellement non regretté Saddam Hussein, appelant à appliquer en Kabylie les sinistres méthodes qu'il avait lui-même expérimentées avec les Kurdes. Puis, c'est le moment que choisit Ali Benhadj pour se poser en champion de l'Islam en Kabylie, lui qui n'y voyait autrefois que des beffrois d'églises au lieu des minarets.
Comme il fallait s'y attendre, son attaché-case ne transportait que des appels au meurtre. Le lendemain, il a été entendu puisque trois policiers ont été assassinés à Azzefoun. Ce qui prouve que les intégristes tueurs ne sont pas sensibles aux démonstrations de bigoterie, et aux protestations de foi publiques. Ils ne sont pas là pour la grandeur de l'Islam, mais pour imposer «leur» Islam, par la violence, tout comme le font leurs taupes urbaines à grand renfort de décibels. Les policiers tués n'étaient pas des non-jeûneurs, mais des fonctionnaires en uniforme assurant la sécurité de leurs concitoyens. Ali Benhadj pourrait arguer qu'il n'a désigné que les non-jeûneurs comme cibles, et c'est sans doute vrai, mais il ne pourra jamais s'exonérer des premiers appels au meurtre qu'il a lancés il y a quelques années. Et c'est cette violence là qui perdure, plus spécialement en Kabylie où les intégristes semblent disposer de plus d'appuis que les non-jeûneurs, beaucoup plus pacifiques, me semble-t-il. Il importe, en effet, de faire cesser le harcèlement des non- jeûneurs, et autres non-musulmans, mais il est beaucoup plus urgent que les citoyens libres de Kabylie s'insurgent contre le terrorisme intégriste, et travaillent à le priver de ses soutiens locaux.




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