Algérie

Jungle en folie




Je somnole dans ma rivière assoupie, lorsque de sourdes clameurs me parviennent. Ça ne ressemble en rien au ramage enchanteur qui égaye ordinairement mon heureux barbotage.  Mes yeux charbon, troublés par la fumée des eaux, arrivent à distinguer un mouvement inaccoutumé de jeunes cerfs. Herbivores, pacifistes, sédentaires, ils avaient pour habitude de brouter une herbe de plus en plus rare, la croupe adossée à des arbres plus que jamais présents. Leur impétuosité dépassait rarement le bruyant heurt de leurs bois. Mais là, carrément ça gronde, ça se déchaîne, ça a tout l’air d’un soulèvement. Et le souvenir des lynx qui rôdaient la nuit d’hier me revient subitement à l’esprit. Avaient-ils détecté l’émeute qui fermentait ?  La vue devient plus nébuleuse, les revendications plus persistantes, mais je distingue tout de même les guépards qui chargent. Qui peut être aussi véloce, autant féroce, qui tue et se perpétue, qui offre les meilleurs festins aux charognards ? Je les devine en cercle autour d’un triangle qui s’ouvre puisque le centre gît. Je les perçois, humant l’odeur du sang, tantôt ricanant, tantôt dissimulant un rictus infâme. Et quand le crépuscule frappera avec la prévisibilité que ne lui dispute que le mensonge, je verrai toute cette laideur se délecter de la beauté qui n’est plus. Je ferai la connaissance des hyènes, cette société à la dominance femelle. Entre-temps, ce qui m’intrigue, c’est le lion et ses sempiternelles siestes diurnes ! Je conçois bien que le jaguar, perché sur cette branche, savoure son spectacle attitré, mais le lion, paresseux même en de telles circonstances, c’est sidérant !Je suis oppressée, je dois absolument sortir de là, il faut que je descende le cours de la rivière, mais le vent de la colère ne cesse de souffler, et le courant ne facilite rien. Il fait nuit et je ne veux pas assister au funeste lâchage des tigres et des léopards, les félidés solitaires. Le tigre distingue les couleurs, il sait où aller, il ne partage jamais son territoire, il le marque, il attaque de côté ou de dos, jamais de face. Le léopard est éclectique dans son menu, il sait que faire, il tue par strangulation et suspend ses victimes pour les tenir hors de portée du lion et des hyènes.
L’inquisition a démarré et moi je dors, dors, dors, pour mieux jaillir.
- Mon Dieu !
- Qu’as-tu ma fille, tu trembles, tu transpires ?
- Je viens de faire un affreux cauchemar !
- Raconte, ma chérie
- J’étais un poisson et…
- Tu te rappelles hier, à ton anniversaire, lorsque tu nous as accablés en nous demandant de te raconter les évènements du 5 Octobre 88, mais autrement. J’ai remarqué que tu es partie dormir désappointée par la répétitivité du scénario. Je crois que dans ton sommeil, tu as dégringolé vers ton état fœtal, tu as exploité la base de données qui était stockée, tout en faisant ta propre lecture. Autrement dit, tu t’es montrée créative, on ne peut y échapper lorsqu’on est né un 5 Octobre 88. N’est-ce pas ce jour que tout ce qui allait bercer et percer l’Algérie a été créé ! Dors ma fille, demain tu dois te lever tôt pour aller à l’université.
- En tout cas maman, le poisson que je ne suis plus sait que je ne serai jamais une biche !    

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