Algérie

Juliana Sgrena : « L?Irak souffre comme a souffert l?Algérie »



Très appréciée dans les milieux des médias et du mouvement associatif féminin algériens, la journaliste italienne d?Il Manifesto, Juliana Sgrena, a été parmi les rares reporters occidentaux qui avaient soutenu les démocrates algériens dans leur combat contre l?intégrisme. Malgré son enlèvement le 4 février 2005 en Irak et sa séquestration pendant un mois, elle continue à soutenir la résistance, tout en dénonçant le terrorisme. Vous avez désapprouvé le fait que l?Irak ne soit pas cité comme étant un pays qui souffre du terrorisme. Pourquoi ? C?est l?impression que j?ai eue en écoutant certaines interventions au colloque. Pendant les années 1990, j?ai suivi la situation en Algérie et je me rappelle que les Algériens étaient non seulement isolés par la communauté internationale, mais aussi une seconde fois violentés par ces thèses du « Qui tue qui ? ». L?Occident ne percevait pas la portée du terrorisme islamique et le fait qu?il y avait tellement de victimes civiles, dans cet affrontement entre les militaires et les islamistes, auquel était réduite la situation. On ne s?est rendu compte de la véritable nature du terrorisme islamiste que le 11 septembre 2001. J?ai eu l?impression que les Irakiens vivent dans la même situation, c?est-à-dire avant la chute de Saddam, il n?y avait pas de terrorisme, mais après la guerre tout a basculé. C?est un pays occupé par des armées étrangères, surtout américaine qui a suscité une résistance civile et armée, même si parfois je ne suis pas d?accord avec les méthodes utilisées par les groupes armés, comme ceux qui m?ont kidnappée. Et il y a les groupes terroristes d?Al Qaïda qui tuent essentiellement les Irakiens, lesquels tombent par dizaines de milliers. Entre juillet et décembre 2007, il y a eu une cinquantaine de cadavres de femmes retrouvés dans des décharges publiques avec des pancartes accrochées sur la poitrine, expliquant que ces victimes ont été tuées pour n?avoir pas porté le voile islamique. Cela ne rappelle-t-il pas les actes des terroristes islamistes qui ont sévi en Algérie ? L?irak est un pays qui souffre comme a souffert avant lui l?Algérie. Je pense qu?on devrait avoir le courage de faire la distinction entre les terroristes d?Al Qaïda et la résistance et condamner par la suite cette situation infernale, dans laquelle vit l?Irakien. Je pense qu?un pays comme l?Algérie doit être sensible au problème et ne peut ignorer ce qui se passe ailleurs. J?ai eu des réactions très positives de personnes présentes dans la salle, mais après ma communication. Vous dites que vous avez été enlevée par un groupe armé et non pas un groupe de terroristes ? Quelle différence y a-t-il entre les deux ? Avant mon enlèvement, il y avait l?expérience d?autres rapts, surtout cet ingénieur irakien qui a été enlevé avec les deux volontaires italiennes. Lorsqu?il a été libéré, j?ai beaucoup discuté avec lui. Il m?avait bien expliqué que le premier problème est de savoir qui est l?auteur du kidnapping. C?est à partir des ravisseurs que dépend notre chance de nous échapper ou de négocier notre libération. S?il s?agit des terroristes d?Al Qaïda, vous n?avez aucune chance de rester en vie. Cela a été le cas des diplomates algériens, et tant d?autres otages exécutés. Mais s?il s?agit de groupes de résistants, la marge de man?uvre est possible et les négociations peuvent aboutir à la libération. Lorsque j?ai été enlevée, j?ai eu le même réflexe. J?ai compris que je n?avais pas en face de moi, du moins pour les gardes qui assuraient ma surveillance, des islamistes. Ils me touchaient la main, ils me volaient des choses pour me taquiner, etc., en fait des gestes qui n?étaient pas du tout ceux d?islamistes. Les discussions que j?ai eues avec certains m?ont prouvé en plus qu?ils étaient beaucoup plus des résistants plus ou moins baâthistes. Cela m?a soulagé et m?a redonné espoir quant à l?aboutissement des négociations. Vous avez dit qu?il y a un seuil à ne pas dépasser en matière de risque lié à l?exercice du métier parce que le journaliste n?est pas un héros qui doit aller vers la mort. Pouvez-vous être plus explicite ? Il faut assumer les risques pour faire ce métier qui est dangereux. Mais je pense aussi que nous ne sommes pas des héros. Nous ne devons pas aller nous faire tuer, c?est-à-dire se sacrifier comme ça. Je crois qu?il faut toujours calculer les risques. S?il y a une possibilité de faire le travail, oui je prends ce risque, mais si cette possibilité n?existe pas, il vaut mieux ne pas prendre le risque. Aujourd?hui en Irak, il n?y a qu?une seule possibilité d?exercer son métier, c?est d?aller avec les troupes américaines, avec non seulement la censure, mais aussi avec le risque de tomber dans une attaque terroriste. Il y a aussi l?autre possibilité, celle de rester dans un hôtel situé dans la zone dite verte, en envoyant des Irakiens chercher les nouvelles. Mais comment peut-on accepter de rester dans un hôtel en faisant prendre le risque à des Irakiens ? C?est immoral. Moi je suis toujours allée sur le terrain pour vérifier les informations et j?ai pris le risque pour informer. Nous ne pouvons laisser une guerre sans information. Mais lorsque j?ai été sur le terrain, j?ai été enlevée comme beaucoup d?autres. Je suis arrivée à cette conviction que pour le moment il n?y a pas de possibilité de faire de l?information en Irak. Les Américains contrôlent toute l?information ? C?est vraiment grave. Pour l?Italie, la guerre n?existe plus en Irak, parce que ce pays ne fait plus l?actualité. Nous devons trouver une solution à cette situation. ça ne va pas en Irak et les informations qui nous parviennent des réfugiés en Syrie et en Jordanie le prouvent. Il y a deux millions de réfugiés irakiens et deux autres déplacés à l?intérieur. Si certains quartiers ont retrouvé leur quiétude c?est parce que des groupes sunnites ont décidé de combattre Al Qaïda, après s?être rendu compte qu?il n?est pas possible de faire des alliances avec cette organisation qui tue des Irakiens. Si leur demande à être intégrés dans les rangs de l?armée irakienne leur est refusée, ils risquent de se constituer en une autre opposition armée.
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