Algérie

Jean El Mouhouv Amrouche, L’humaniste écorché



Le 30e numéro de la revue Awal, fondée par Mouloud Mammeri, est disponible en librairie : un numéro spécial sur le parcours d’un écrivain déchiré entre la tourmente de l’histoire et une vision généreuse.

En janvier 2003, s’était tenu à Paris un colloque sur « Jean Amrouche et le pluralisme culturel » dirigé par Tassadit Yacine, également responsable d’Awal. La revue édite ici les actes de cette rencontre qui avait permis d’explorer toutes les facettes d’un personnage qui s’était trouvé parfois effacé derrière l’aura impressionnante de sa sœur, Marguerite Taos. Les textes de ce colloque n’ont pas pris une ride. Attendus par les chercheurs, les hommes de lettres, ils feront aussi le bonheur des passionnés de littérature et d’histoire algériennes. D’emblée, l’éditorial situe le destin de cet homme farouchement convaincu de l’issue de la guerre de Libération nationale. « Je suis persuadé, écrivait-il en 1960, qu’il y aura un Etat national algérien, laïque, démocratique et social, et qu’en définitive, le moment venu, les Algériens auront à se prononcer sur un seul projet de statut : l’Algérie algérienne, patrie commune de tous les Algériens. » Cette conviction profonde, il l’avait tirée, comme l’ensemble du peuple algérien, du choc historique des massacres du 8 Mai 1945. Pénétré de sa mission, il en arrivait à douter de ses capacités. « Depuis cinq ans passés, je n’écris que sur la tragédie algérienne. Tout autre sujet me paraît frivole. (…) Jamais autant qu’aujourd’hui, j’ai déploré de n’avoir pas le talent de Bernanos, François Mauriac ou d’Albert Camus. J’en demande pardon aux miens, à ces meskines surtout, muets et bâillonnés, que la nécessité réduit à s’exprimer par une voix isolée, la mienne, ensemble indigne et inefficace ». Peut-être surestimait-il en cela son rôle et celui des écrivains ? Il reste qu’en dépit de ses positions, il a toujours souffert de son isolement sinon de son isolation, tant en Algérie qu’en France, n’étant cité ni parmi les nationalistes algériens, ni parmi les écrivains francophones. Parlant des milieux intellectuels français, il aura ce cri : « Oui, l’impossible amitié entre moi et eux, c’est au niveau le plus élevé qu’il faut la saisir et la manifester. (…) Le drame des civilisations au contact incommunicables l’une à l’autre, c’est au niveau des intellectuels et des artistes qu’il importe de le peindre, comme je l’ai vécu. » Propos prémonitoires au regard de débats actuels… Déchiré, voilà tel qu’il apparaît, toujours « à la croisée des chemins », ainsi que le montre Khalifa Chater qui présente tous les points de tension de ce déchirement : de nationalité française, de confession chrétienne, de conviction nationaliste, de statut intellectuel. Cet homme qui sera de tous les entre-deux était en fait habité par une réelle unité de ses pensées et de ses sentiments. Les différentes communications montrent que ce sont les faits historiques qui furent déchirants tandis qu’avec un certain angélisme, il tentait d’en recoudre les morceaux, attaché à une vision essentiellement humaniste. En fait, Jean El Mouhouv Amrouche, c’est l’esprit des Accords d’Evian transposés dans le monde de la littérature. Des accords que la fin de la guerre, notamment l’épisode sanglant de l’OAS, videront de leur dessein d’une coexistence éventuelle entre un peuple martyrisé, dominé, nié, et une communauté européenne qui ne put ou ne voulut donner corps à l’algérianité, dont elle se réclamait, notamment à l’égard de la métropole. Les 200 pages de cet ouvrage montrent toute la richesse d’un parcours décortiqué dans toutes ses phases et dimensions : le contexte social et culturel des années 1940, la libération de la France, la décolonisation de l’Algérie, la prise de conscience culturelle, le rapport entre spécificité et universalité, etc. Les auteurs se distinguent tous par leur réputation établie et un traitement attentif du sujet : André Nouschi, Hédi Bouraoui, Réjane Le Baut, El Khatir Aboulkacem, Wadi Bouzar, Guy Degas, Khaoula Taleb Ibrahimi, Hervé Sanson et d’autres encore, apportant une qualité d’analyse et une foule d’informations renforcées par des documents, notamment des correspondances reçues ou écrites qui dressent un portrait intime et émouvant d’un homme qui devait décéder en 1962, comme si l’Indépendance ne pouvait lui accorder de place. La qualité de l’ouvrage souffrira des deux remarques suivantes. Il n’est mentionné nulle part qu’il paraît avec le centenaire de la naissance de l’écrivain en 1906 et son deuxième prénom, El Mouhouv, n’est pas utilisé en titre et rarement dans les textes. Il s’agit quand même de son état civil et, symboliquement, de son identité, car c’est bien entre Jean et El Mouhouv qu’Amrouche croyait en une possible rencontre.

Jean Amrouche. Awal, cahiers d’études berbères, n° 30. 2006. Editions de la Maison des sciences de l’homme de Paris et les Éditions Mettis d’Alger. Imprimé en Algérie.

Prix non affiché.


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