Algérie - Revue de Presse

Je veux ma part du gâteau (Fiction)


« Ta naïveté m?inquiète, cher ami ! Tu n?as pas encore compris comment fonctionne ce pays ? Pour moi, l?Algérie est une tarte immense dont profite une petite minorité de gens sans scrupules. Ils se sucrent sans vergogne sur le dos de l?Etat. L?intérêt de la nation est le dernier de leurs soucis comme on dit vulgairement chez nous, j?ai décidé de laver mon visage avec de l?urine : moi aussi, je veux avoir ma part du gâteau, quel que soit le prix à payer ! La fin justifiant les moyens, je vais créer un parti politique qui sera mon sésame pour accéder à la cour des grands. C?est l?occasion ou jamais !».Moussa, vieux retraité de la fonction publique, parlait à son ami, un ancien instituteur converti en Imam, en connaissance de cause. Il suivait depuis longtemps la scène politique et il avait deux atouts majeurs pour réussir : l?ambition et l?opportunisme. Son aplomb hors du commun l?aidait à balayer d?un revers de la main les objections de ceux qui considéraient son entreprise comme une aventure hasardeuse vouée à l?échec.Dans les années quatre-vingt-dix, le champ politique ayant été brusquement ouvert, une nuée de partis naquit, révélant ainsi un engouement longtemps refoulé des Algériens pour la démocratie. Les autorités de l?époque, suprises et débordées, ne surent pas canaliser cette marée démocratique, ce qui donna lieu à des excès dont tirèrent profit fort habillement des escrocs et des opportunistes. L?Etat distribua généreusement de larges subventions à tous les partis. On acheta des véhicules flambant neuf et des locaux. On dépensa de l?argent à profusion dans les restaurants et les hôtels, avec comme justificatif officiel, la couverture des activités du parti. Bien que la loi le prévoyait expressément, aucun contrôle sérieux ne fut exercé sur les dépenses, à la grande joie des dirigeants des formations politiques qui, parfois, arrivaient difficilement à distinguer leurs propres dépenses de celles du parti.Moussa, rusé comme un renard, s?entoura de gens en qui il avait une confiance absolue, c?est-à-dire, ses propres fils et des cousins analphabètes et dociles. Il créa un parti qu?il appela le MPG (Mouvement pour le progrès et la bonne Gouvernance). Certains esprits malveillants, prompts au dénigrement, détournèrent la signification du sigle, devenu : «ma part du gâteau». On disait aussi du MPG que c?était un parti tribal, voire familial.Lui s?en moquait éperdument. Les chiens aboient, la caravane passe. Lorsque l?Etat décida d?organiser des élections législatives, Moussa sut que son heure était enfin arrivée. Il avait une confiance absolue en son étoile. Il mobilisa son staff familial à travers les contrées de la région.Il parcourut lui-même tous les recoins de la circonscription, n?hésitant pas à user de toute la panoplie des slogans démagogiques qu?il avait appris par coeur lorsqu?il était affilié au parti unique, et qu?il débitait avec une bonne foi admirable. Cette débauche d?énergie n?était pas suffisante pour gagner les élections, car la concurrence était rude, avec des formations politiques huppées, disposant de moyens impressionnants dans les plus petites bourgades du pays. En fait, il n?avait pratiquement aucune chance de glaner le moinde siège à l?Assemblée populaire nationale.Et pourtant, il obtint trois sièges à l?APN! Ce miracle étonnant au plus haut point les observateurs de la scène politique. Ils ne trouvèrent pas d?explications logiques à cette performance inattendue. Un journaliste perspicace parvint à percer le secret de cette réussite, rendue possible grâce à la complicité involontaire de l?administration : on avait affecté à chaque parti une lettre de l?alphabet arabe : le parti du veinard Moussa fut désigné par une lettre qui ressemblait exactement, à un point prêt, à celle d?un grand parti très en vogue. Les électeurs, majoritairement analphabètes, mettaient dans l?urne le bulletin du MPG, le confondant avec celui du grand parti. Et c?est ainsi que Moussa et deux de ses fils se trouvèrent involontairement, par méprise, et par la grâce d?un signe banal de la langue du Dhad, députés, cadres de la nation, jouissant de privilèges et de prérogatives sans commune mesure avec les compétences limitées dont ils pouvaient bien se prévaloir. Moussa eut naturellement à affronter les critiques acerbes des journalistes qui se gaussaient de son succès immérité et qui lui reprochaient d?avoir pris indûment les voix du grand parti. Nullement démonté, entouré de ses fils, il retourna placidement la question aux journalistes : «ne pensez-vous pas, honorables représentants de la presse, que c?est ce grand parti qui m?a pris des voix dans la circonscription ?». Les citoyens, qui suivent le parcours fabuleux de ce député, furent surpris par le changement subi de son train de vie. Il construisit une immense bâtisse cubique à quatre étages dépourvue de fênêtres, qu?il appelait pompeusement «ma villa». Au rez-de-chaussée, quatre locaux commerciaux furent loués, avant même l?achèvement de la maison.Evidemment, il fit le pèlerinage à la Mecque. Si El Hadj, comme l?appelaient avec respect ses fils et ses voisins, roulait désormais en Mercedes. On l?avait même vu à la télévision, reçu en grande pompe par le président de la République.Un groupe de voisins sollicita une audience de Si El Hadj pour lui demander d?interventir auprès de l?APC afin de réparer les fuites d?eaux usées du quartier qui dégageaient une odeur pestilentielle. Il en fut profondément offusqué, il rabroua sévèrement ses voisins : leur démarche à propos d?un problème trivial d?égouts était une insulte à sa dignité et à son double titre de président de parti et de député.Auréolé de sa victoire aux législatives, Si El Hadj s?enhardit et commença à songer sérieusement à la prochaine campagne présidentielle. Il s?imagina avec délice assis sur le siège confortable de président de la République, entouré de sa famille. Après tout, il avait, pensait-il, autant sinon plus d?atouts, que certains ex-locataires d?El Mouradia, et dont le règne désastreux a été marqué par un fiasco total. «Je dois saisir ma chance au plus vite, car ce peuple débile et immature, anesthésié depuis longtemps, se réveillera peut-être un jour, sa réaction tardive sera alors violente et imprévisible». A son dernier anniverssaire, les enfants du fondateur du MPG lui offrirent une tarte au chocolat. Il tint lui-même à en découper un joli morceau qu?il dégusta voluptueusement, le sourire aux lèvres.
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