Algérie - 01- Indépendance

Ils rêvaient d’une Algérie indépendante et juste: Moudjahidine, est-ce cette Algérie-là que vous vouliez?



Ils rêvaient d’une Algérie indépendante et juste:  Moudjahidine, est-ce cette Algérie-là que vous vouliez?




Dans les maquis, les geôles ou les bureaux de la Fédération de France, les moudjahidine engagés dans la lutte pour la libération du pays caressaient des rêves de justice. Beaucoup verront leur credo se briser sur le principe de réalité.

On appellera cela, au choix, une désillusion ou un énorme gâchis. Lorsque Akila Ouared-Abdelmoumen choisit, en 1957, de rejoindre les éléments du Front de libération nationale, elle goûte pour la première fois à la liberté de «ne pas demander la permission». Comme bon nombre de militants de la cause nationale, elle aspirait à une Algérie indépendante et juste.

«Il y avait des enfants cireurs, des porteurs, des illettrés. Nous portions un rêve de justice, nous voulions nous appeler Algériens et non plus Français musulmans et consacrer ainsi l’égalité des droits entre tous les citoyens et citoyennes.»

«Un rêve de justice»

L’idéal pour lequel elle s’est battue n’a pas encore été atteint, selon elle.

«Bien sûr qu’il y a des acquis, dit-elle, mais il y a aussi une grande désillusion».

Le rêve de justice auquel elle a cru n’a pas encore vu le jour.

«Notre espoir était de voir émerger un Etat de droit. Nous avions des rêves profonds», dit-elle en regrettant que cinquante années après l’indépendance il y ait encore des discriminations envers les femmes, les travailleurs, les jeunes...

Dans son bureau de l’Organisation nationale des moudjahidine, Akila Ouared s’élève contre un Code de la famille qu’elle juge injuste.

«Bien sûr, je ne remets pas en cause la lutte pour la libération du pays, mais il faut dire des vérités: il y a une déception. La lutte n’a pas commencé en 54, Lalla Fatma N’soumer avait mis à genoux l’armée française pendant sept ans», dit-elle, ajoutant: «Certes, les femmes ont bénéficié de l’éducation, de la formation, du droit au vote, du droit à l’éligibilité, du droit au travail, mais il reste des inégalités au niveau des droits juridiques.»

Et si cela était aussi de la responsabilité des moudjahidate ayant rejoint leur cuisine sitôt la guerre finie?

Faux que tout cela, rétorque-t-elle.

«En 1965, soutient Mme Ouared, des milliers de femmes ont marché de la Maison de la presse à la salle Atlas avec pour principale revendication l’égalité. Les cercles qui étaient contre cette manifestation appelaient les femmes à rejoindre leur cuisine. Lorsque nous luttions pour le droit des femmes on nous disait que nous étions contre le pays. Comment, moi qui ai lutté pour que l’Algérie soit indépendante, je pourrais vouloir du mal à ce pays?», fustige-t-elle.

Un demi-siècle après l’indépendance du pays, l’aspiration des femmes à la justice est plus présente que jamais.

«C’était difficile du temps du parti unique, auquel j’appartenais par ailleurs, de faire avancer les idées. Les femmes ont toujours été revendicatives d’un statut de leur pays. Le petit amendement opéré en 2007 ne répond pas à nos aspirations. Il faut un courage politique pour que les femmes aient les mêmes droits que les hommes», commente Akila Ouared.

L’autre inquiétude de l’ancienne combattante concerne les jeunes.

«Ils aspirent à mieux, ils veulent trouver un travail, un logement, fonder un foyer. Ce ne sont pas des ennemis de l’Algérie, il est important de se pencher vers eux», dit-elle des trémolos dans la voix.

«Bientôt, nous ne serons plus de ce monde, qui va gérer le pays?», lance-t-elle.

Et de poursuivre: «Pourquoi les jeunes tentent de fuir en mer? Leur a-t-on donné les moyens de s’épanouir dans leur pays? Il faut leur donner la possibilité de gérer leur pays. Ils doivent se sentir responsables de ce pays pour renoncer à partir. Nous n’avons pas eu l’indépendance pour la mettre dans notre poche!»

Des rêves de Chkara?

Elle dit comprendre le «désarroi» de notre jeunesse.

«Les jeunes ont l’impression qu’ils n’ont pas d’avenir, qu’on nie leur existence, ils se disent que ce pays ne les aime pas.»

Elle rappelle que les moudjahidine étaient jeunes lorsqu’ils avaient lutté pour libérer le pays du joug colonial, qu’ils l’avaient fait aussi pour les générations à venir.

«Il est essentiel, dit-elle, de leur faire confiance, les préparer à prendre les rênes de notre pays.»

Le fossé entre la jeunesse et la génération de Novembre s’agrandit à mesure que les privilèges accordés aux moudjahidine s’accroissent.

Face à la statue de l’Emir Abdelkader, brandissant son épée près de la rue Larbi Ben M’hidi, Si Ahmed raconte la «misère» vécue pendant la colonisation.Qu’espériez-vous en ce temps-là?, interrogeons nous.

«Ils voulaient la chkara!», lance à haute voix un jeune en sirotant son café.

Et Si Ahmed, 82 ans, de répondre: «Un jour, je me suis rapproché de la Grande Poste, celle-là même qu’on peut apercevoir de loin, le policier français m’a demandé de rebrousser chemin. Nous mangions de la terre, de l’herbe, de la chorba aux cailloux, crois-tu que je pensais au sac de billets en ce temps-là, mon fils?»

«Aujourd’hui, dit-il, le pays est malade de ses dirigeants, mais les jeunes ne veulent pas travailler, reprend-il ; j’en connais qui ont renoncé à un poste à 80.000 dinars par mois dans le désert.»

Les deux hommes replongent dans un silence traduisant l’abîme d’incompréhension qui sépare les deux générations.

Et puis, il y a tous ceux qui n’étaient ni des héros ni des traîtres pendant la guerre, mais qui portaient un grand espoir à l’orée de l’indépendance.

«Nous avons habité des lieux insalubres. Nous n’avons échappé à personne: la journée c’était l’armée, et le soir les moudjahidine. Il fallait nourrir les combattants le soir, l’armée française venait nous le faire payer la journée.»

Dans le jardin faisant face au cinéma Sierra Maestra, près du marché Meissonnier, Ammi Brahim, 80 ans, chéchia noire sur la tête, et El Hadj Mohammed, 73 ans, costume noir et cravate beige, s’insurgent contre ce qu’ils appellent «la détérioration des valeurs».

«Pendant la guerre et quelques années après l’indépendance, il y avait un rêve collectif. Désormais, chacun pense à sa petite personne», disent-ils d’une même voix.

«On ne pense pas au pauvre citoyen»

«Les Français savaient gérer les choses, pas comme nous. On savait, à l’époque, combien le revendeur achetait ses produits et combien il les cédait. Le contrôleur vérifiait que tous les prix étaient bel et bien affichés», se remémore Ammi Brahim, en regrettant que dans l’Algérie d’aujourd’hui «le ministre et le zaouali achètent tous deux leur viande à 1400 dinars le kilo».

«Le problème est que nos dirigeants ne pensent pas aux gens simples, s’insurge-t-il. On ne pense pas au pauvre citoyen. Comment voulez-vous qu’on ne soit pas fou, hypertendu, diabétique…», poursuit, en écho, son ami Mohammed.

«On ne voulait pas que l’Algérie en arrive là, regrette-t-il. Chacun ne pense qu’à se remplir les poches. Avant, nous pensions que nous serions tous égaux, que chacun aurait droit à un travail et un logement décent. Aujourd’hui, l’un prend vingt villas et l’autre n’a pas le droit à un appartement.»

Les deux compères expriment des points de vue différents sur la situation des jeunes d’aujourd’hui.

L’un dit: «Bien sûr, je comprends les jeunes qui veulent partir. Quand ils voient les autres avec des voitures, des villas et que eux, malgré leurs études et toutes leurs tentatives de réussite il n’y parviennent pas. Le problème réside dans le piston.»

L’autre contredit: «Pourquoi prennent-ils la fuite? Pourquoi ne l’avons-nous pas fait lorsque la misère nous tuait? Pourquoi malgré cela nous n’avons jamais volé?»

Tous deux concèdent qu’ils n’auraient jamais pu profiter du soleil dans ce même jardin pendant l’occupation, leurs rêves d’antan ont néanmoins été ensablés par le fil des ans.

Amel Blidi

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