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«Il est toujours permis de rêver»



«Il est toujours permis de rêver»
Comment est né l'ensemble Shulùq 'Calogero Gialanza, flûtiste : Le projet est né après l'enregistrement de mon album intitulé justement Shulùq. Les trois membres de l'ensemble faisaient partie de ce projet en tant que musiciens et compositeurs.Le succès du disque nous a donné envie d'aller plus loin avec un travail de résidence de composition et d'expérimentation autour du thème des musiques de la Méditerranée. On parle d'ensemble Shulùq et non de trio parce qu'on le considère comme une ossature libre qui peut accepter la participation d'autres musiciens. A partir du disque, nous sommes allés vers un spectacle vivant de musique live afin de porter cette musique partout dans le monde.Pourquoi Ibn Hamdis 'Salim Dada, guitariste : C'est une figure très importante de la période médiévale, un poète arabe sicilien qui a dû quitter son pays très jeune après l'invasion des Normands. Il a beaucoup voyagé.Il a vécu à Séville, en Algérie (Béjaïa), en Ifriqiya (actuelle Tunisie) pour finir ses jours à Majorque. Durant toute sa vie (près de 80 ans !) il n'a cessé de chanter sa Sicile natale : la beauté de sa nature, la coexistence des gens et des cultures? On a trouvé dans cette ?uvre une sorte de syncrétisme culturel qui nous est cher et qui se fait rare.De nos jours, l'image donnée de la rive sud dans les médias est désastreuse, systématiquement liée à la violence et à la bêtise humaine. Pour nous, Ibn Hamdis est un cheminement autour du bassin méditerranéen ; c'est aussi une démarche de curiosité envers l'autre et de dialogue.Comment s'est construit ce dialogue entre musique et poésie, laquelle occupe une place importante dans votre concert 'S. D. : L'idée n'est pas de chanter les poèmes mais plutôt de s'en inspirer. On a cinq extraits portant sur des thématiques différentes : la nostalgie et l'amour de la patrie, la passion amoureuse, la spiritualité, la mer et le vent de la Méditerranée? Nos compositions dialoguent avec les états d'esprit du poète.En tant que musiciens d'horizons différents, comment pourrait-on appeler ce genre musical qui vous réunit 'Andrea Piccioni, percussionniste : C'est vrai que nous venons de trois traditions musicales très différentes. Calogero possède une solide formation en musique classique, Salim vient de la musique classique mais avec une approche axée sur les musiques traditionnelles arabes et d'Orient.Et moi, j'ai une expérience des musiques traditionnelles allant de l'Italie et la Méditerranée aux musiques d'Iran et d'Inde. Notre ensemble est donc une sorte de mélange multiculturel.Les instruments sont entraînés vers des horizons nouveaux (jazz sur percussions traditionnelles, musique arabo-andalouse sur guitare classique?). Comment s'est élaborée cette approche 'A. P. : C'est un des points importants de ce projet. L'idée n'est pas de faire de la musique traditionnelle mais d'intégrer cette forte influence traditionnelle dans des instruments modernes. On retrouve ainsi les musiques traditionnelles méditerranéennes ou la musique classique arabe sur la flûte traversière et la guitare classique. Pour ma part, je fais l'inverse : j'introduis des idées et un jeu moderne dans des instruments de percussion traditionnels comme le «tamburo a cornice» (tambour sur cadre) et le deff.Loin d'une fusion artificielle, vous établissez des points de connexion entre les musiques de Sicile et du Maghreb?S. D. : L'idée du projet est de connecter des rythmes et des modalités de part et d'autre de la Méditerranée, chercher les similitudes, mais aussi transcender le jeu purement traditionnel pour expérimenter de nouvelles sonorités. Notre répertoire est fait uniquement de compositions.Mes pièces sont d'inspiration algérienne, maghrébine, voire orientale. Andrea fait dialoguer des rythmes traditionnels italiens avec ceux du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, et enfin Callogero explore des sonorités exotiques pour la flûte traversière. Outre la Sicile et le Maghreb, il y a aussi des influences grecques, turques, moyen-orientales, espagnoles... La Méditerranée, c'est tout cela et nous essayons d'en profiter pour conjuguer toutes ces sensibilités. Vous avez joué des deux côtés de la Méditerranée. Comment cela a-t-il été reçu par les publics 'C. G. : On a joué à Rome, à Beyrouth et maintenant à Alger et Constantine avec des réactions très positives et on projette de prolonger ce parcours. On a toujours envie de découvrir comment notre musique est perçue par des publics divers. Durant ces trois étapes (Italie, Liban, Algérie), les interactions étaient différentes selon les sensibilités culturelles de chaque public. C'est cela la force du projet Shulùq : créer la différence dans l'unité.Des centaines de migrants périssent en Méditerranée, les frontières se durcissent de plus en plus? Peut-on encore rêver d'un dialogue de civilisations 'A. P. : C'est une question cruciale pour notre génération. Que pouvons-nous faire ' Il est illusoire de tenter de stopper la migration. Nous devons tenter de comprendre ce qui se passe dans ces pays sans les juger. Ces migrants ne sont pas différents de nous, car nous avons tous les mêmes racines. Il faut comprendre que nos points communs sont bien plus importants que nos différences. Les arts, et la musique en particulier, ont un rôle important à jouer pour comprendre la beauté et la richesse de nos cultures méditerranéennes.C. G. : Il faut une «Méditerranée d'accueil». La politique internationale n'est pas portée sur cette vision. Par exemple, les Nations unies ont perdu une occasion en or de jouer leur rôle afin d'éviter les tragédies du mois dernier, avec des milliers de morts en Méditerranée. D'un autre côté, je suis fier de ma Sicile, celle d'Ibn Hamdis, pour l'accueil et la solidarité qui la caractérisent parmi toutes les villes d'Italie.S. D. : Il est toujours permis de rêver, même si l'actualité peut paraître tristement ténébreuse. Nous devons épouser la cause de l'espoir et du bien-être de tous. Etant né sur la rive sud et vivant depuis des années sur la rive nord, pour moi tout cet espace m'appartient. Je me définis en tant que méditerranéen et je ne me sens nullement étranger en Italie, en France ou en Espagne. De même, les Italiens retrouvent en Algérie des repères historiques, culturels, culinaires...Cessons de considérer la Méditerranée comme une barrière. Il faut la penser comme une alliance, une mer qui nous relie dans tous les sens, au-delà de la contingence de notre lieu de naissance. Nos points communs sont très importants et les différences doivent susciter la curiosité et le dialogue, non la peur et l'intolérance. Enfin, dans notre musique il n'y a pas de barrières ou de frontières à l'inspiration.





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