Algérie - Revue de Presse

Ibn Khaldoun-Tamerlan. un sommet extraordinaire


Comment s?orienter dans les dédales de l?histoire ? deux hommes, sur le déclin, mais d?une vivacité d?esprit extraordinaire, se rencontrent sous une tente, quelque part dans la périphérie de Damas en 1402. L?un, Tamerlan, (1336-1405) venant, à la tête d?une armée gigantesque, des steppes de l?Asie centrale, et se faisant un devoir de tout dévaster sur son passage, villes, forteresses et lieux où il y aurait le moindre soupçon, la moindre trace de civilisation. L?autre, Ibn Khaldoun (1332-1406), un intellectuel d?un calibre exceptionnel, ayant jeté les bases de la sociologie, et voulant tester sur le terrain les lois supposées d?une gouvernance politique basée sur l?esprit de corps. Rencontre hasardeuse ? Pas dut tout, clame Ibn Khaldoun hautement dans son autobiographie. Le sultan d?Egypte, à la tête d?un pouvoir chancelant, tint expressément à l?avoir à ses côtés dans sa malheureuse tentative pour contrer Tamerlan sur la terre de Syrie. Un concours de circonstances étranges fit donc propulser notre penseur au devant de la scène en faisant de lui la clef de voûte d?une situation aussi scabreuse qu?incongrue. Car, ne voilà-t-il pas que le sultan d?Egypte, craignant pour son trône, dut rebrousser chemin avec le gros de son armée, laissant ainsi son conseiller aux prises avec un ogre, dévastateur de civilisations. Sa réputation d?homme de science et de négociateur inégalé l?avait devancé. Cela n?était pas pour le satisfaire, bien sûr, car il se savait en danger de mort dans la cage de l?ogre. Cependant, il n?avait d?autre choix que d?aller à la rescousse des gens de Damas dont les sollicitations se firent pressantes pour sauver leur ville. Pour cela, il prit même le risque de descendre, de nuit, dans une grande corbeille à anses, de la citadelle de Damas tant les avis étaient partagés parmi les détenteurs d?un pouvoir à vau-l?eau. Ibn Khaldoun a peur. Il le dit sans ambages. A lui donc de se transformer, le plus rapidement possible, en analyste averti et de « fourbir quelques mots » à même d?avoir un impact décisif sur Tamerlan. Sa profonde expérience des choses de la vie lui donnait un certain avantage sur ce dernier. Aussi, devina-t-il, dès les premières phrases de présentation, par quel bout il fallait le prendre. Comme toujours, et un peu partout à travers les âges, le pouvoir, en tant que tel, impose un certain rituel aux gouvernants comme aux gouvernés. Donner donc à Tamerlan une image surdimensionnée de sa propre personne et lui dire qu?il était l?être cosmique tant attendu pour soumettre l?humanité et la gouverner ! Voilà ce qu?il fallait faire rapidement et avec justesse de propos, car, les tyrans, se dit-il, sont très sensibles à tout ce qui touche aux questions astrales. Apparemment, il n?était plus question pour ce Maghrébin de vouloir évoluer dans les sphères de la politique. Il a déjà été ministre, à plusieurs reprises, dans son propre pays, négociateur dans le Nord de l?Espagne au début de la « Reconquista » catholique, mais, et c?est là l?essentiel de toute son existence, il demeure un penseur de génie. Oui, sauver des âmes, et sortir indemne de ce combat démesuré, c?était là son objectif principal au cours de cette fabuleuse rencontre. Matin et soir, les deux hommes se rencontraient, s?affrontaient en quelque sorte. Cela dura trente-cinq jours durant lesquels Ibn Khaldoun, obtempérant à l?ordre de Tamerlan, remplit douze cahiers de petit format, où il consigna tout ce qu?il savait du Maghreb. Le Levantin, voulait-il poursuivre sa lancée endiablée et conquérir cette partie du monde, qu?est le Maghreb ? Ibn Khaldoun ne répond pas à cette question. On l?accuse d?avoir eu un comportement indigne d?un homme de sa grandeur intellectuelle, et d?avoir été de marbre lorsque toute sa famille trouva la mort à quelques brasses seulement du port d?Alexandrie. De nos jours, Taha Hussein n?a pas une grande opinion de lui, et Jacques Berque, de son côté, émet des doutes à son propos. On devine, cependant, qu?il n?espérait rien obtenir du conquérant, lui, si obsédé par les arcanes du pouvoir où que celui-ci se trouvât. Pragmatique et, surtout, rusé et madré. Il savait par instinct que lorsque la tempête se met à souffler, il ne faut jamais tenter de lui résister. Epargnant Damas, ou ce qu?il en restait, et renonçant à s?aventurer dans le Maghreb, Tamerlan rebroussa chemin pour mourir quelques années après. Ibn Khaldoun, quant à lui, eut tout de même le tact de lui vendre sa propre mule contre espèces sonnantes et trébuchantes ! Tout le hic donc est de savoir s?orienter dans les dédales de l?histoire.


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