Algérie

Honoris causa



Deux monuments du siècle passé viennent de tomber : Germaine Tillon et Aimé Césaire. La première, décédée samedi à l?âge de 101 ans, a vécu de près l?histoire moderne du monde et de très près celle de l?Algérie. Grande ethnologue, au sens le plus honnête de cette discipline contestée, résistante contre le nazisme, déportée au camp allemand de Ravensbrück aux côtés de sa mère, merveilleuse humaniste, elle fut la première en 1954 à parler de « clochardisation » du peuple algérien, dénonça les injustices de la colonisation et s?opposa fermement à la torture. En 1957, en pleine Bataille d?Alger, elle rencontra secrètement Yacef Saâdi et Zohra Drif. Elle laisse d?elle une image imprégnée de grandeur d?âme, de droiture et de générosité, un petit bout de femme de dimension planétaire. Quant à Césaire, il faut remonter à l?enterrement de Victor Hugo en 1885 à Paris ou celui de l?Indien Rabindranath Tagore en 1941, à Jorasanko, pour trouver des références à ses funérailles, dimanche dernier, en présence du gotha politique français. Mais, au delà des officiels, ce qui prévaut, c?est l?immense popularité d?un poète auprès des siens. Et, au delà de la poésie, le fait que Césaire, comme Hugo ou Tragore, furent des défenseurs attentifs de leurs peuples. Figure de proue de la lutte contre le colonialisme, député, longtemps maire de Port-au-Prince, de ses rapports directs avec l?Algérie, on notera son premier recueil de poèmes, Cahier d?un retour au pays natal, réédité à Alger en 1943 dans la revue Fontaine qui échappait à la censure nazie. En 1931, élève au lycée Louis-le-Grand de Paris, il est probable qu?il y ait connu Mostefa Lacheraf, alors professeur d?arabe dans cet établissement. Mais Césaire fut surtout le professeur de lycée et l?inspirateur du plus algérien des Martiniquais et du plus martiniquais des Algériens, Frantz Fanon, bien que, plus tard, l?élève critiqua le concept de négritude développé par son maître et Senghor. Césaire affirmait en 1950, dans son Discours sur le colonialisme, qu?Hitler « avait appliqué à l?Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu?ici que les Arabes d?Algérie, les coolies de l?Inde et les nègres d?Afrique. » Dix ans plus tard, dans Ennemis complémentaires, Tillon osait aussi : « Ce qui se passe sous mes yeux est une évidence : il y a, à ce moment-là, en 1957, des pratiques qui furent celles du nazisme. » Césaire fut Aimé. Tillon fut cousine Germaine de l?humanité. Tous deux furent proches des humbles et des opprimés. Tous deux lièrent réflexion et action. Docteurs honoris causa de l?Université informelle des peuples, Prix Nobles de la générosité humaine, décernés partout ailleurs qu?à Stockholm, ils méritent notre reconnaissante affection.



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