Algérie - A la une


Haut fait, haut vol
Le petit prince, phénomène d'édition, a été traduit en 270 langues. Forcément, ce conte à la fois poétique, allégorique et philosophique, charrie une douce dérision de certaines absurdités humaines.Et, performance rare, il subjugue tout autant les enfants que les adultes, ce qui explique ses multiples adaptations au cinéma et au théâtre sous toutes les latitudes.En Algérie, il a été monté en 1990 au TR de Bejaïa et en 2006 au TNA. Pour la troisième fois, ce sera dans une petite agglomération, où la pratique de l'art des tréteaux était très improbable. Coup de projecteur sur une insolite initiative !Tout a commencé quand Agnès Péréa Besson, une native d'Algérie, est revenue à Sidi Ben Adda, ex-Trois Marabouts, «pour regarder non pas en arrière mais vers l'avant» selon son expression. Son père est mort pour la cause de l'indépendance nationale, ce qu'elle n'a appris qu'il y a à peine quelques années.Dans sa démarche, elle est soutenue par l'association Khadra Sidi Ben Adda, qui, après deux années d'existence, en est venue à la conclusion que rien de pérenne ne peut être acquis en matière de préservation de l'environnement si son action n'intègre pas l'art et la culture. Parlons d'abord d'Agnès. Pour paraphraser Saint Exupéry, disons qu'elle est une grande personne qui n'a pas tout à fait enfoui dans l'oubli son âme d'enfant, une âme qui l'a reprise à la gorge à l'orée de la cinquantaine, en 2006, à la faveur de ses retrouvailles avec son lieu de naissance perdu de vue à l'âge de 4 ans, soit près de deux années après la disparition de son père, en 1962.Elle y est revenue, accompagnant sa maman invitée par un ami de son grand-père qui a hérité du moulin familial qu'il a d'ailleurs gardé à ce jour en activité. A cette occasion, elle recueille quelques précieuses bribes sur son père dont elle n'a jamais pu construire une vraie image afin de forger sa propre identité, le souvenir du disparu ayant sombré dans le silence que la famille s'est imposé sur ses multiples deuils en quittant l'Algérie. Le silence castrateur, c'était aussi pour se protéger d'éventuelles représailles sanglantes de la part des ultras parmi les «Nostalgériques». Ainsi, depuis sa visite en 2006, la quête d'Agnès est devenue taraudante, au point qu'elle a consacré tous ses congés annuels à Sidi Ben Adda. Mais ce village, qui est celui de sa naissance de son grand-père et de sa mère, n'est pas celui de son père. Lui est de Zarouala, ex-Deligny, situé à 15 km environ au sud de Sidi Bel Abbès, où il avait une petite ferme.Elle obtient d'y être accompagnée par un ami parce que ne parlant pas l'arabe, ne sachant comment s'y prendre, ne connaissant personne et qu'elle a besoin d'être soutenue face au saut dans le vertige de l'inconnu, celui d'un mystérieux et pesant passé. Sauf que, fait extraordinaire, découvre-t-elle à Zarouala, en apprenant qu'elle était «la fille d'Antoine», les bras s'ouvrent avec chaleur.«Tonio, c'était un gars comme ça !», lui certifie-t-on partout avec un geste éloquent de considération. Là, elle apprend que son père a été dans le sens de l'histoire et qu'il avait adhéré à la cause de l'indépendance nationale. Il l'avait été au point de mettre sa ferme au service du soutien logistique de l'ALN ! Du coup sa disparition lors des troubles les jours précédents l'indépendance devint moins énigmatique 'Elle ne pouvait censément être imputée au camp algérien. Il n'en risquait théoriquement rien ; il portait un nom de combattant que l'ALN lui avait attribué. Au fil de ses visites, Agnès émet le souhait d'apporter sa contribution sur le terrain de la culture à Khadra, ce que cette dernière apprécie comme une aubaine : «J'avais envie de faire quelque chose de constructif avec la jeunesse algérienne, quelque chose de beau. Et quel meilleur prétexte que Le petit prince.J'en ai fait l'adaptation au théâtre pour avoir, dans une première vie, suivi une formation théâtrale au Cours Florent et joué professionnellement», explique-t-elle. Et pour que le projet se concrétise, elle prend une mise en disponibilité d'une année de son travail et obtient des services consulaires algériens un visa non pas touristique mais culturel, d'une durée de trois mois continus. Au sein de Khadra est fondée la troupe «Le moulin de mon c?ur». On imagine le pourquoi de cette dénomination. La troupe dédiée à un théâtre de qualité comprend deux équipes, l'une composée d'enfants et l'autre d'adultes, la première devant se produire dans les écoles, dans les hôpitaux devant les enfants malades, etc. Le petit prince est pour ce faire monté en arabe avec les enfants et en français avec les adultes.C'est ce qui fera la différence avec les adaptations du TRB et du TNA, ce ne sera pas un spectacle exclusivement pour enfants mais pour tout public dans la fidélité à l'esprit de l'?uvre d'Antoine de Saint-Exupéry qui est à plusieurs niveaux de lecture. La difficulté, c'est que l'aventure est engagée avec des personnes qui ne savent rien du théâtre. Agnès doit entreprendre leur formation, la pièce se transformant en spectacle-école avec treize personnages, dont des conteurs, soit 26 apprenants.C'est un défi colossal en soi pour une seule personne ! Il l'est d'autant plus qu'à Témouchent et dans ses principales villes, l'activité théâtrale n'a pu prendre et qu'il n'existe qu'une unique compagnie, initiative d'un autre «illuminé» qui, à Hammam Bou Hadjar, n'a pas renié son âme d'enfant ! Pis, Sidi Ben Adda a été durablement gangrenée par un islamisme forcené qui a su sans vergogne exploiter la légitime ranc?ur de sa population contre un système plus qu'honni en cette agglomération laissée en marge des plans quinquennaux de développement de l'époque de l'économie administrée.Dans son délire vengeur, la municipalité FIS, au début des années 1990, n'avait pas trouvé mieux que faire un autodafé des 1000 ouvrages de la bibliothèque communale ! Un groupe de citoyens, dont certains deviendront des membres de Khadra, constituèrent un comité de sauvegarde autour de l'agent bibliothécaire. Les livres furent sauvés in extremis avec la dissolution de l'APC. Bref, l'aventure artistique avec Le petit prince est à ses tout débuts. Ils ont du mérite ces quadra, quinqua, et sexagénaires, qui par nécessité de faire évoluer leur société, bravent leur timidité comme celle d'un schéma corporel pas valorisant avec l'âge et surtout des conventions sociales handicapantes. Benbayer Saadallah est dans ceux-là. Il ne sait pas qu'un comédien ne doit pas donner son dos public, ce que Mahdi, son partenaire de fils, a vite intégré parce que lui est encore à l'âge où la mimesis est un besoin. Agnès est là à toucher le dos de Saadallah pour qu'il se tourne du bon côté. Mais son fils dispose d'un autre avantage, celui de tenir le rôle du petit prince dans la version en langue arabe.Dans la version française, le père a le rôle du pilote en panne dans le désert, en panne allégoriquement parce qu'il s'était détaché de son âme d'enfant qui, elle, lui apparaît sous les traits du petit prince. Mahdi a onze ans. Il est en 5e année primaire. Son français est impeccable pour ce qui est de la compréhension et de la phonétique articulatoire.C'est qu'avec Agnès, les échanges, ça y va et qu'elle corrige savamment : «C'est pour cela que nous avançons lentement à tous les niveaux, que ce soit pour la compréhension du texte, des nuances, pour les déplacements, le jeu qu'on fait évoluer peu à peu en évitant de faire perdre confiance en ses capacités à chacun.» Dans la scène d'ouverture, il est un superbe accessoire, celui d'un biplan de l'aéropostale qui porte le drapeau algérien à l'arrière le nom Khadra à l'avant. Cela c'est l'?uvre d'adaptation de la pièce au contexte local mais sans lui ôter son caractère universel. Vivement la générale !


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