Algérie

Festival fi douar


Comment élaborer un scénario pour organiser un festival dans une ville abandonnée par les siens, marginalisée par son propre narcissisme et par un centre qui se prend pour le détenteur exclusif de la richesse nationale, dont il fait un usage abusivement ridicule pour se placer à l'échelle internationale, sachant que sur le plan national il a tout perdu ? Simple question de calcul mental. Simple question de mental tout court. D'abord concentrer la culture arabe dans une ville saturée par la population, par la pollution, par la circulation, par le chômage, par l'angoisse et le stress au quotidien. Importer des spectacles sonores aux bruits de danse folklorique, faire dire aux micros de la télévision que la sauvegarde du patrimoine immatériel est une question de grande importance si l'on veut sortir le pays de son isolement et produire des images, beaucoup d'images, que personne ne voit et que tout le monde regarde. Faire danser une ministre. Faire envahir les rues d'une capitale autoproclamée par les sons de ghaïtas et de tambours, placer des khaïmas un peu partout pour nous rappeler nos origines nomades et indigènes, puis mettre le tout sous le haut patronage de la marmite présidentielle pour rehausser le jeu et cacher l'écran des critiques. Tout peut alors se jouer dans les coulisses. La nomination d'un commissaire à l'allure élégante et à la démarche sûre de ceux qui connaissent le sérail intérieurement, extérieurement et surtout latéralement. Connaissant son caractère, sa compétence et son passé, on le pousse dès les premiers pas à démissionner pour rappeler un autre commissaire moins exigeant, plus malléable. On réserve le gros du spectacle, donc de l'argent, un peu trop près du centre de décision et on démarre. Coupé ! On reprend la scène à la séquence argent pour une petite modification du texte. Combien ça coûte ? Un blanc, puis un fondu enchaîné sur les miettes que doivent recevoir les autres villes. Petit travelling sur la carte d'Algérie et zoom avant sur une ville qui semble s'adapter à tout, accepter tout, une ville que Cheb Khaled, l'un de ses fils, considère dans l'une de ses chansons comme comptant beaucoup de « kafia » (pluriel de kafi, qui n'a rien à avoir avec un ancien président du même nom, toute ressemblance n'étant que pur produit de l'imagination) et dont la traduction donnerait quelque chose comme tnouha (pluriel de tnah à Alger). Merci pour le compliment à une ville qui a permis à un kafi de s'ériger en star internationale. Mais c'est ça l'Algérie indépendante. On applaudit de plus en plus fort à se faire éclater les paumes. Retour sur le plateau. Silence. Action ! Décors intérieurs, deux hôtels de luxe fraîchement réceptionnés et grand standing, niveau international, avec prise en charge totale qui n'apparaît pas dans le scénario, des salles de cinéma dignes du sous-développement structurel, des stars orientales à l'eau de rose, des stars nationales qui font semblant de pleurer lorsqu'elles sont primées, comme pour faire croire en un jury indépendant. Champs, contrechamps, plongée, contre-plongée, gros plan sur la seule star de la semaine, le commissaire du festival international du film arabe (traduisons FIFA pour l'abréviation). On la remercie, on la fait remercier, elle remercie tout le monde et promet de faire mieux en 2008, parce qu'elle pense avoir réussi un festival là où de nombreux cinéastes ne voient qu'un cinéma de plus. Cela excède un cinéaste des années de braise, qui trouve qu'il est indécent de faire trop parler de soi et il le dit en public. Coupé. Pause pour tout le monde. Le Président de la République est dans le coin pour une visite de travail et d'inspection, comme on aime à le rappeler. Il s'aperçoit de la petitesse de vue des gestionnaires de la ville qui ne lui ont pas permis d'inaugurer un ouvrage à la dimension du pays et de sa supposée Histoire. Il rend visite aux festivaliers, prend des tas de photos avec eux et fixe le moment par un petit arrêt sur image. L'homme, fatigué par les hauts patronages, à force de déceptions de l'avis de tous ceux qui l'ont approché, essaie un sourire pour les besoins de la photo de famille. Réécriture du scénario qui raconte comment un jeune étudiant quelconque arrive à jouer des coudes, de la voix et du burnous présidentiel pour se propulser aux cimes de la décision en privatisant la chose publique financée par le contribuable. Un contrat lu et désapprouvé et pourtant valide. Mais dans le contrat, il y a aussi des clauses sur le type de festival, sur les conditions et le moment de son déroulement, sur sa portée internationale puisqu'il se définit en tant que tel, sur ses impacts envers la population locale, sur qui doit faire quoi, où et comment. Or, sur le type de festival dont la grande majorité des Oranais ne savaient rien ni avant ni pendant son déroulement, ne s'intéressant qu'aux soirées musicales du théâtre de verdure, espace colonial, rappelons-le, aménagé du temps où Oran comptait quatre fois moins d'habitants. Mais c'est tout ce qu'il y a. Rien d'autre n'a sérieusement poussé depuis lors. Et on a même utilisé un théâtre, lui aussi colonial, comme salle de projection. Cela appelle à une logique enfantine. Acte I: on construit des salles de cinéma ou on restaure celles qui ont été bradées et dépecées. Acte II: on ouvre des écoles spécialisées pour former une pépinière d'acteurs. Acte III: on produit des films de quoi ne pas rougir comme aux premières années de l'indépendance. On organise des festivals locaux pour s'habituer aux compétitions. Et on se tourne ensuite vers l'international qui pourra alors justifier l'équivalent d'une cité d'habitation. Et ne pas commencer par la fin, car à ce moment-là, il n'y a plus de spectacle. Fin. Action ?
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