Tlemcen - Brahim Hadj Slimane

"Exils intérieurs, exils extérieurs" de Brahim Hadj-Slimane : la décennie noire revisitée en mode intime




Dans les années 90, dans un contexte saturé de violence dans une Algérie en crise majeure, de nombreux algériens dont des intellectuels et des artistes se sont exilés, souvent pour un départ sans retour. Mais beaucoup sont restés au pays.

Fallait-il partir ou rester ? Dans les milieux intellectuels, le sujet est presque un tabou. Il n’est abordé que rarement et avec beaucoup de gêne. Brahim Hadj-Slimane, journaliste, poète et auteur de plusieurs documentaires s’est attaqué à ce thème associé à la "décennie noire", à la "guerre civile" dans un documentaire intitulé "Exils intérieurs, exils extérieurs".

Brahim Hadj-Slimane fait partie de ceux qui sont restés pour des raisons "instinctives". Mais l’exil, il l’a néanmoins vécu "à l’intérieur". Son documentaire, présenté samedi dernier au siège d’Interface Média à Alger revisite cette période sombre de l’histoire du pays qui continue de porter son ombre sur le présent.

Il l’aborde par le thème, "souvent négligé" de l’exil à travers des témoignages de personnes qui donnent des regards différents sur les mêmes événements des années 90.

Un "vécu dissimulé"

Ces témoins, partagés entre l’Algérie et la France, pour la plupart des amis personnels de l’auteur du documentaire ce qui lui donne une tonalité particulière, ont tous été confrontés à la "question" de ces dures années : rester en Algérie ou partir ?

Pour l’auteur, à l’émotion à fleur de peau, il est temps pour la société de se libérer du fardeau, de briser la chape du silence. Son documentaire, explique-t-il, suscite en France un grand intérêt que ce soit auprès des algériens que des français.

"A travers ce documentaire j’apporte un éclairage, sur un vécu dissimulé", note Brahim Hadj-Slimane qui insiste sur le fait qu’une bonne compréhension de l’Algérie d’aujourd’hui passe par l’inventaire du passé récent qui n’est pas révolu.

Conçu à la façon d’un recueil, le film tire sa force de ces témoignages intimes où des algériens racontent, sans se censurer, leur vécu durant ces années terribles qui ont suivi les espoirs soulevés par les événements d’octobre 1988.

Le chroniqueur Chawki Amari, qui avait 20 ans à l’époque, évoque une période marquée par un certain "romantisme révolutionnaire". Mais "on ne refera pas la même chose", précise-t-il.

L’anthropologue Mohamed Mebtoul en tire paradoxalement un enseignement "positif" car l’Algérie n’allait plus être comme avant. Denis Martinez évoque l’assassinat de Chab Hasni et de l’écrivain Tahar Djaout. "C’était des personnes influentes et tous ceux qui faisaient un travail d’utilité publique devaient mourir".

Les histoires racontées composent peu à peu un tableau ou se mêlent tristesse et colère. Certains ne parviennent pas à contenir leurs larmes. Les plaies de La décennie noire ne sont pas pansées. Très loin de l’être.

Brahim Hadj-Slimane a déjà abordé la problématique de l’exil dans un recueil de poésie écrit dans les années 2000 et intitulé "vingt-neuf visions de l’exil".

Lui-même s’était posé la question de "partir ou rester", principalement après l’assassinat de Tahar Djaout, ami en poésie. Il avait choisi de rester. Mais c’est aussi, de ce questionnement, que lui est venue l’idée de recueillir les témoignages pour raconter une période majeure de la vie du pays.

"Lorsque j’étais à Algérie Actualité, en 1993, j’ai traité cette problématique. J’ai écrit un article que j’ai intitulé l’exil des âmes, dans lequel j’esquissais le portrait de trois personnes entre les deux rives".

Il a continué à recueillir des histoires qui se construisent à l’ombre d’un quotidien sanglant. Lorsqu’il a commencé à faire des films, l’exil était un thème qu’il souhaitait revisiter.

Un film de solidarité…

"Exils intérieurs, exils extérieurs", sorti en 2014, en est le fruit. C’est le 5ème film documentaire de Brahim Hadj Slimane. Des amis du collectif marseillais Film Flamme / Polygone étoilé lui ont apporté une aide considérable. Les moyens étaient réduits mais la volonté ne manquait pas.

"Lorsque je suis allé au collectif de Marseille, c’était pour écrire un scénario documentaire, et c’est là que j’ai décidé impulsivement de me mettre à filmer à Marseille et Paris avec des cadreurs bénévoles".

En France, le film trouve son public. "Exils intérieurs, exils extérieur" est présenté à Nîmes et Aigues Mortes, à l’occasion du "8ème panorama du cinéma algérien" mais aussi aux "Rencontres d’Averroès", une manifestation annuelle qui a lieu à Marseille et sa région.

En Algérie, les choses se passent beaucoup moins bien. "J’ai proposé le film pour le dernier festival du cinéma arabe mais je n’ai reçu aucune réponse. J’ai fait deux demandes à la cinémathèque d’Alger pour la projection de mon film, j’attends depuis 2014", note Brahim Hadj-Slimane qui ne sait pas s’il faut imputer cela à de la censure ou au laisser-aller.
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