Algérie

Entretien exclusif de son ambassadeur, Alain Le Roy, au Quotidien d'Oran L?Union pour la Méditerranée vue de l?intérieur


Après une période de flottement et d?hésitation, le temps s?accélère pour l?Union pour la Méditerranée (UPM).Les prochains jours, la liste des projets sera communiquée, laquelle permettra de connaître les thématiques majeures qui vont structurer cette initiative, objet de la rencontre au sommet du 13 juillet prochain. En avant-première, voici une vue de l?intérieur de l?équipe qu?anime Alain Le Roy, en tant qu?ambassadeur en charge de ce projet. Entretien.Le Quotidien d?Oran: L?ambition de départ visait une Méditerranée-puissance, qui serait l?épicentre même de la diplomatie de la France. Après le sommet de Bruxelles (13-14 mars derniers), on a assisté à une sorte de dilution du projet initial. Comment expliquez-vous ce changement de posture ? Alain Le Roy: Je ne dis pas que c?est la dilution du projet. Nous disons que ce dernier a suscité suffisamment d?attente et d?intérêt pour que l?ensemble des pays européens veuillent s?y associer. Jusque-là, seuls les riverains étaient concernés. D?autres pays comme l?Allemagne ou la Suède sont au même pied d?égalité avec nous pour travailler pour la Méditerranée. Personne n?est donc exclu. C?est plutôt l?inverse d?une dilution ! Le Q.O.: Quand on connaît l?historique du projet et son cheminement, on est surpris que le «processus de Barcelone» s?appelle désormais Union pour la Méditerranée (UPM). N?assistons pas à l?inversion des termes de l?équation ? A.L.R.: Ce n?est pas une inversion. Nous disons simplement que «Barcelone» existe. Certes, il y a des limites et même beaucoup de limites. Seulement, on s?est dit que nous allons prendre «Barcelone» pour le transformer puis le développer en changeant les méthodes de gouvernance. Tout le monde disait que «Barcelone» était un partenariat déséquilibré. Les pays du Sud avaient le sentiment que l?Europe est trop forte avec 27 pays membres qui imposaient ses conditions. Cette transformation va se faire avec une coprésidence paritaire, de nouvelles méthodes de gouvernance, la création d?un secrétariat indépendant des instances européennes, avec deux codirecteurs - un pour le Nord et un autre pour le Sud.L?objectif est de lancer des projets. Nous allons y ajouter une dimension «projets concrets», à géométrie variable, avec l?appui du secteur privé.Ensuite, nous redonnons un appui politique fort au plus haut niveau au sommet des chefs d?Etat, qui aura lieu le 13 juillet 2008, à Paris.Par conséquent, nous allons transformer «Barcelone» et puis nous le développerons. Le Q.O.: Au-delà de ce propos, expliquez-nous le schéma de cette Union pour la Méditerranée qui est définie comme étant un des piliers de la Politique européenne de voisinage (PEV) ? A.L.R.: Je n?ai jamais dit que cela fait partie de la Politique européenne de voisinage. L?Union pour la Méditerranée est plutôt un moyen complémentaire au «processus de Barcelone». Une rencontre de l?ensemble des chefs d?Etat de la Méditerranée aura lieu tous les deux ans. Ainsi, lors du sommet du 13 juillet, il y aura la signature d?une déclaration dans laquelle on va pérenniser l?Union pour la Méditerranée. Je rappelle qu?il y aura également le changement du mode de gouvernance de «Barcelone» et la création d?un secrétariat. Parmi les projets concrets à réaliser au profit des pays méditerranéens, il y aura la dépollution de la mer Méditerranée (le projet est en train de se mettre en place)... Le Q.O.: Justement, êtes-vous dans la phase de présélection de projets ou sont-ils déjà sélectionnés ? A.L.R.: Tous les projets sont proposés par chacun des pays membres. Nous discutons entre nous. Et la décision officielle sera prise durant le sommet. Je rappelle qu?il existe d?autres projets concrets: l?accès à l?eau potable et pour l?irrigation (projet de transfert d?eau de la mer Rouge à la mer Morte), rechargement des nappes phréatiques (Algérie, Libye). A noter que 70% d?eau consommée dans le Sud sont destinés à l?irrigation avec des pertes considérables. Il y aura également des autoroutes maritimes, l?amélioration des infrastructures portuaires (navettes maritimes entre Alexandrie et Tanger, Le Pirée, Alger, Barcelone, Marseille...), un plan solaire méditerranéen qui reliera le Maroc à l?Egypte, etc. Le Q.O.: Pourquoi tout cela, l?EuroMed aurait pu s?en charger ? A.L.R.: La réponse est non. Je vous demande: l?EuroMed a-t-il fait beaucoup de choses aujourd?hui ? Sûrement pas. Citez-moi les grands projets réalisés par l?EuroMed ? Une précision cependant: l?EuroMed, ce sont 70% d?aides budgétaires. L?Union pour la Méditerranée, elle, va créer des projets concrets et non faire des aides budgétaires. Ainsi, un Centre méditerranéen de protection civile verra le jour pour mutualiser les moyens. D?autres projets concrets seront également réalisés. Je citerai d?autres exemples: l?espace universitaire méditerranéen, la mise en pôle de recherche du Sud et du Nord, la création d?une agence de développement pour les PME, etc. Ce processus sera appuyé par le secteur privé qui n?existait pas d?ailleurs dans le «processus de Barcelone». Le Q.O.: La création d?une agence de développement des PME va-t-elle remplacer celle de la Banque méditerranéenne pour le développement ? A.L.R.: La Banque méditerranéenne pour le développement n?existe pas encore. Rappelez-vous que cela fait plusieurs années dont on parle de ce sujet. Nous allons commercer d?abord par des projets concrets comme je l?ai dit auparavant. Le Q.O.: La France a-t-elle les moyens de ses ambitions ? Aujourd?hui, le projet est parrainé par l?Europe, alors comment sera-t-il financé ? A.L.R.: Le projet est parrainé par tous les pays membres du Conseil européen. C?est vrai que l?Agence française pour le développement (AFD) se dit intéressée par ce projet. Mais il y a d?autres sources: une partie viendra de la PEV, de la Banque européenne d?investissement (BEI). Cette dernière est prête à financer la zone EuroMed à hauteur de 8 milliards d?euros durant la période 2007-2013. La BAD et la BM vont également proposer des projets. De son côté, le Fonds arabe du Golfe va présenter un projet. Par conséquent, nous n?avons pas d?inquiétudes en ce qui concerne le financement de ces projets. Le Q.O.: Vous êtes ambassadeur en charge de ce projet d?Union pour la Méditerranée. Comment travaillez-vous au quotidien ? A.L.R.: Nous sommes une structure composée de plusieurs équipes s?occupant des questions comme l?énergie, le développement durable, l?éducation, la culture, l?économie, etc. Elles sont toutes en contact. Actuellement, nous sommes dans la phase de consultation ou d?élaboration de projets qui seront rendus à la fin du mois d?avril ou au début mai 2008. Le Q.O.: Avez-vous déjà eu un feed-back sur les sujets sur lesquels vous êtes en train de travailler ? A.L.R.: De nombreux pays, comme l?Egypte et l?Espagne, sont impliqués dans cette élaboration et ont présenté des projets. A cet égard, du reste, des émissaires sont envoyés dans d?autres pays. J?ai toujours des contacts avec les pays méditerranéens, comme l?Egypte, pour arriver à des projets ayant du sens pour l?ensemble de la zone. Le Q.O.: Comment expliquez-vous ce besoin de ce nouveau souffle, de cet élan autour des grands projets ? A.L.R.: Nous pensons aux besoins des populations et nous leur proposons des choses concrètes.Une quarantaine de chefs d?Etat vont donner un souffle et lancer des projets concrets. Une politique forte sera ainsi exprimée. En Europe, quand on lançait le charbon et l?acier, les gens disaient que cela n?était pas «sexy» [attirant, NDLR]. Mais ils se sont rendu compte que cela a été vital pour le développement des économies européennes et le rapprochement des peuples de ce continent. Le Q.O.: Comment agir sur le décalage - pour ne pas dire guerre - des perceptions entre les deux rives ? A.L.R.: C?est vrai que l?écart des perceptions est trop fort entre les deux rives. C?est pourquoi nous avons lancé cette initiative. Mais sachez que cet écart n?est pas non plus grand, comme vous le pensez. Nous avons un langage commun. Le lancement de cette Union vient réduire ce décalage. Le Q.O.: L?EuroMed n?a pas fonctionné, entre autres, parce qu?il y a, dans les pays du Sud, un déphasage entre les élites politiques et les populations. Comment associer l?ensemble des peuples méditerranéens à ce projet ? A.L.R.: Nous ne voulons pas croiser les bras en attendant de tenter quelque chose de plus. D?où la mise en oeuvre par exemple d?un Forum méditerranéen de la jeunesse, de la formation professionnelle (qualification), un Forum des collectivités locales (Tunis, Alger, Le Caire...), qui aura lieu le 23 juin à Marseille. Le Q.O.: Il aurait fallu tirer les enseignements de tout ce qui n?a pas marché dans l?EuroMed.Disposez-vous aujourd?hui de ce «document» ? A.L.R.: Exactement ! C?est ce que nous avons fait: disposer de tout ce qui n?a pas marché dans l?EuroMed. Une des grandes difficultés, c?est le conflit israélo-arabe. De ce point de vue, je dis que nous n?avons pas la prétention de le résoudre. En revanche, l?Union pour la Méditerranée est une réponse au déséquilibre du partenariat d?EuroMed. Le Q.O.: Comment se présente cette nouvelle architecture ? A.L.R.: Cela va se faire à travers une coprésidence Nord-Sud. Il y aura aussi un secrétariat qui n?existait pas dans le «processus de Barcelone». Ce n?est plus le Conseil européen qui pilote tout. Le secrétariat va booster, donner du souffle et lancer des projets; le secteur privé sera associé, à géométrie variable, à cette démarche. Cette Union est un vrai partenariat. Le Q.O.: Est-ce possible d?établir cette coopération avec des pays dont les frontières sont fermées, des pays se trouvant dans des schémas complètement figés ou des postures irréalistes ? A.L.R.: Notre pari, c?est de dire oui. Un des projets, c?est le bouclage électrique de la Méditerranée qui marche très bien entre le Maroc et l?Algérie. Il existe donc des possibilités de travailler ensemble; on contribue à donner plus de chance à l?ouverture des frontières. Je ne sais si on arrivera, mais c?est évident qu?on a envie de travailler dans ce sens. Le Q.O.: Quelles sont les principales difficultés pour faire fonctionner, dégager une cohérence et donner une visibilité à tout cela ? A.L.R.: La grande visibilité, ce sera le 13 juillet 2008 à Paris avec la tenue du sommet des chefs d?Etat. Ces derniers décideront ensemble, comme l?a fait le Conseil européen, les 13 et 14 mars derniers. D?ici à fin avril, nous allons rendre publics tous les projets sur lesquels nous avons travaillé avec les différents pays. Nous préférons le travail commun... Le Q.O.: Quelle est la place que vous allez donner à la culture ? A.L.R.: C?est l?ambassadeur Jacques Huntzinger qui se charge de cela. Il travaille avec notre équipe. D?ailleurs, c?est lui qui a lancé l?Atelier culturel à Alexandrie. Nous regardons d?abord l?existant. C?est le cas de la Fondation d?Annah Lindt pour le dialogue et la culture. Il faut relancer cette fondation. On vient de nommer un président en la personne d?André Azoulay, qui est une remarquable personnalité.La nomination d?un directeur exécutif s?est faite selon des procédures transparentes. Sur le plan universitaire, nous allons travailler sur un «Erasmus méditerranéen» pour développer des échanges entre les étudiants, les enseignants et les chercheurs de la zone. On va aussi élaborer des programmes d?appui à la circulation et la traduction des oeuvres, des programmes audiovisuels méditerranéens, banque d?archives, etc. Le Q.O.: Dans l?univers de la sémiologie dans laquelle on vit, on ne peut passer à côté de ces signes ravageurs pour les opinions publiques: «cadenassage» des frontières de l?Europe, problème de visas... Dans ce cas, comment peut-on être crédible pour parler à la rive sud ? A.L.R.: On va développer des échanges entre les étudiants, les enseignants, des chercheurs, des artistes. Et la France a particulièrement une réponse à cela ! Nous allons développer par exemple le visa de circulation (avec de multiples entrées). Nous allons convaincre d?autres pays européens à adhérer à cette initiative. Le Q.O.: Quels sont les sujets ou les points phares qui vont figurer sur l?agenda du sommet des chefs d?Etat ? A.L.R.: Je rappelle qu?il y a eu d?abord une réunion des ambassadeurs euroméditerranéens le 8 avril dernier à Bruxelles. Le Conseil européen aura lieu en juin. Des visites dans les différents pays sont également prévues pour préparer et affiner les sujets. D?ailleurs, je reprends mon bâton de pèlerin pour aller à la rencontre des responsables des pays concernés. Le Q.O.: L?équipe qui suit ce dossier à l?Elysée a-t-elle été modifiée ? On parle de la prise en main directe du sujet par Jean-David Levitte, le responsable de la cellule diplomatique de la présidence. Qu?en dites-vous ? A.L.R.: Je crois qu?il n?y a pas de changement à ce sujet. Certes, j?ai lu cela dans la presse, mais je répète qu?il n?y a aucun changement. Je travaille avec Henri Guaino, Bernard Kouchner, Jean-David Levitte, Jean-Pierre Jouyet, etc. tous sont intéressés et restent mobilisés en bloc jusqu?au 13 juillet. Le Q.O.: Combien de projets seront retenus pour cette première rencontre au sommet de l?UPM ? A.L.R.: Comme je l?ai dit, nous sommes dans la phase d?élaboration (présélection). Il y a une dizaine de grands projets et une centaine d?autres (petits) qui sont retenus: dépollution de la mer Méditerranée; accès à l?eau potable, à l?eau pour l?irrigation et pour les industries; le plan solaire méditerranéen; les autoroutes maritimes; énergie (raffineries à usage méditerranéen); finance; agence de développement des PME; fonds de développement des infrastructures; argent des travailleurs migrants; espace scientifique et un espace universitaire méditerranéen; formation professionnelle; mise en réseau des agences d?appui à la traduction et la circulation des oeuvres, peut-être un Office méditerranéen pour l?audiovisuel. Nous allons juger ce qui est prioritaire pour chaque pays de la zone. Q.O.: Quelle est l?utilité de la fondation pour le monde méditerranéen, qui est dirigée par Jean-Louis Guigou ? A.L.R.: Cette fondation ne dépend pas de nous, mais elle vient d?une initiative privée et pilotée au départ par l?Institut de prospective économique méditerranéenne que dirige Jean-Louis Guigou.Elle a aussi la vocation d?aider près de 50 entreprises du Nord et du Sud de la Méditerranée pour travailler ensemble. Elle prépare une réunion les 12 et 13 juin prochains, à Barcelone. Indépendamment de cela, d?autres événements vont avoir lieu: une réunion pour les entreprises du 18 au 20 mai à Charm El Cheikh; une autre est prévue les 23 et 24 mai à Rabat; une rencontre des patrons euro-méditerranéens aura lieu à la fin mai à l?initiative de Laurence Parisot, présidente du Medef (patronat français), etc. Le souffle est là ! Le Q.O.: Certains pays du Sud expriment un certain scepticisme ou même un doute certain sur l?utilité de cette initiative. Comment réagissez-vous par rapport à ce type d?interrogations ? A.L.R.: Sachez qu?il n?existe pas une initiative qui fasse l?unanimité, sauf si on dit qu?il y aura une augmentation de salaires pour tout le monde ! Je suis sûr que tout le monde sera content. La réalité est qu?il y a, aujourd?hui, une unanimité des Européens pour travailler ensemble, pour remettre la Méditerranée au centre du jeu, et essayer de répondre plus aux attentes des populations des pays du sud de la Méditerranée. Aujourd?hui, tous les pays sont du même avis. On était dans la phase de rodage, qui est terminée. Actuellement, on est dans la phase d?élaboration des projets. Le Q.O.: Vous avez le profil d?un diplomate «multilatéraliste». Quelle est la forme institutionnelle et juridique qui va être mise en place pour l?UPM ? A.L.R.: Nous n?allons pas faire un traité, mais une déclaration sous forme de G-Med: coprésidence, secrétariat effectif, codirecteurs. Le Q.O.: Comment va-t-elle exister par rapport à la Politique européenne de voisinage (PEV) ? A.L.R.: Je précise qu?EuroMed ne fait pas partie de la Politique européenne de voisinage. Ce sont deux entités différentes. C?est le «processus de Barcelone» qui va se transformer et se développer pour devenir l?Union pour la Méditerranée.La PEV sera plutôt à côté de l?UPM. Le volet coopération régionale va nous servir à financer une partie des projets que j?ai énumérés au début de notre rencontre.
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