Algérie - Hommage

Entretien avec AREZKI KHOUAS, AUTEUR, SPECIALISTE DE LA CHANSON KABYLE :



Entretien avec AREZKI KHOUAS, AUTEUR, SPECIALISTE DE LA CHANSON KABYLE :
Entretien avec AREZKI KHOUAS, AUTEUR, SPECIALISTE DE LA CHANSON KABYLE :
«La chanson kabyle a évolué d’un registre essentiellement descriptif à celui revendicatif»
Ayant choisi la chanson kabyle comme thème central de sa réflexion et de ses recherches, Arezki Khouas vient d’éditer son troisième ouvrage consacré, celui-ci, au chanteur Idir dont on commémore, dans quelques jours, le troisième anniversaire de sa disparition, ceci après avoir édité son premier ouvrage, qui tire sa sève de son doctorat, intitulé Chanson kabyle et identité, l’œuvre d’Aït Menguellet, avec la collaboration de Moh Cherbi, puis son deuxième, intitulé Révolte et espoir dans la chanson kabyle. Ce natif d’Agouni-Fourou, en Haute-Kabylie, avant d’atterrir, jeune enfant, à Alger, vit depuis une quarantaine d’années en France. Une arrivée dans l’Hexagone qu’il assimile à «une nouvelle naissance» pour «l’avoir révélé à lui-même», comme il le dit. Ce titulaire d’un doctorat en psychologie sociale expérimentale et retraité de l’éducation pour avoir été successivement enseignant, formateur puis adjoint-chef d’établissement scolaire, se consacre à ses recherches sur la chanson kabyle qui avait, en ce début des années 80, suppléé l’absence de moyens de communication, de création, pour constituer, pour lui et ses semblables, le moyen privilégié d’accès à la culture mais aussi de défense. Une chanson kabyle dont l’évolution thématique témoigne d’un passage d’un registre qui était essentiellement descriptif à un autre revendicatif, d’une identité menacée de disparition.
Le Soir d’Algérie : Pouvons-nous en savoir un peu plus sur vous ?
Arezki Khouas : Vaste question qui nous interpelle tous. On est les uns et les autres, comme dirait Idir, le fruit de nos géniteurs. Anwa i k-ilan à flan, yenna yas nek d mmis n flan nagh n feltan. Ulama feltan, donc notre génitrice, est rarement évoquée. Est-ce par pudeur ou dû à des valeurs, des conventions liées à l’organisation de la société kabyle ? On est donc au début le fils ou la fille de ses géniteurs. Ensuite, nos expériences de vie, nos parcours viennent enrichir cette identité de base ou primaire. On est alors de telle tribu, de tel village, de telle ville, etc. Donc, pour faire court, je suis un natif du village d’Agouni-Fourou, commune des Ath Toudert aujourd’hui, et de Larbaâ n’Ath Ouacifs précédemment. Je suis né au milieu de la guerre en 1956/57. J’ai vécu au village jusqu’à l’âge de 6/7 ans, puis à Alger comme bien de Kabyles qui ont quitté leurs villages à l’indépendance du pays. Comme souvenirs de cette vie au village, je n’en garde que très peu. À Alger, j’ai vécu peu de temps à la Pointe-Pescade, un an maximum, et le reste du temps, jusqu’à mes 25 ans, à la cité Fougeroux, sur les hauteurs de la capitale. Après l’école primaire, en 1969, je suis rentré au lycée Amara-Rachid, ancien lycée franco-musulman où j’ai passé 7 belles années d’insouciance et de bonheur dont je garde de très beaux souvenirs. De 1976 à 1981, j’ai entamé et terminé ma licence de psychologie industrielle tout en travaillant. Depuis 1981, je vis en France où j’ai terminé un doctorat en psychologie sociale et occupé diverses fonctions, animateur, éducateur, enseignant, conseiller d’éducation et enfin chef d’établissement adjoint pendant 18 ans. Parallèlement à mes activités professionnelles, j’essaie, modestement, de contribuer à la sauvegarde et la diffusion de notre culture, de notre langue en publiant des ouvrages traitant de thématiques diverses à travers le prisme de la chanson kabyle. Aujourd’hui retraité, je continue, du moins j’essaie, de nourrir mon humble contribution à ce travail de sauvegarde.
Pourquoi avoir fait de la chanson kabyle votre centre de préoccupation ?
Mon arrivée en France et ma vie dans ce pays m’ont révélé à moi-même. C’était comme une nouvelle naissance. Les pesanteurs de la vie à Alger, tant professionnelles que familiales, m’ont permis de prendre conscience qu’il était très difficile de se réaliser. Jamais, pourtant, dans ces années 80, je gagnais très bien ma vie ; financièrement j’avais réussi à vaincre bien des obstacles que la vie a mis sur mon chemin d’orphelin. Mais voilà, comme pour beaucoup de jeunes Algériens, notre vie était gérée par autrui. Nous n’existions que par nos divers groupes d’appartenance et la famille en particulier. Je voulais sortir de ce carcan. En France, je me sentais renaître à la vie, ma vie dont j’étais le seul maître à bord. Je n’avais de compte à rendre à personne. Enfin libre ! C’est également en France que j’ai redécouvert ma culture, ma langue et mon identité. C’est dans ce pays que j’ai découvert toute une série d’acteurs associatifs, institutionnels qui se préoccupaient de la sauvegarde et de la diffusion de notre culture et de notre langue. C’est dans ce contexte que j’ai décidé de mener ma thèse sur la question identitaire. En ce début des années 80, en l’absence de moyens de communication, de création, la chanson kabyle était le moyen privilégié d’accès à la culture mais aussi de défense. L’évolution thématique de la chanson kabyle, comme j’ai essayé de le montrer à travers la thèse, témoigne d’un passage d’un registre qui était essentiellement descriptif à un registre revendicatif d’une identité menacée de disparition. Et depuis cette thèse, la chanson kabyle par sa richesse et la diversité des thématiques qu’elle aborde est devenue, pour moi, une source d’inspiration mais aussi la sève nourricière de mes essais. C’est ainsi qu’est né le projet de mon premier ouvrage intitulé Chanson kabyle et identité, l’œuvre d’Aït Menguellet avec la collaboration de Moh Cherbi et qui tire sa sève de mon doctorat.
Pourquoi avoir choisi l’œuvre d’Aït-Menguellet ?
Deux raisons essentielles. La première, subjective, est que Lounis Aït-Menguellet est l’artiste qui nous a marqués jeunes et continue de nous marquer à notre âge bien avancé. La seconde est, elle, liée à son œuvre artistique qui, de notre point de vue, englobe l’ensemble des thématiques abordées par la chanson kabyle, excepté les berceuses ou les comptines pour enfants. Entamé en 1989, il ne vit le jour qu’en 1999. J’aurais pu, en effet, travailler sur d’autres artistes tels Ferhat, Chérif Kheddam, Idir, Matoub et bien d’autres encore. Bien des artistes méritent qu’on leur consacre une étude. Modestement, je m’attelle à rendre hommage à quelques-uns, soit à travers des écrits spécifiques soit à travers un ouvrage global. Ce fut le cas en 2010 où j’ai consacré un deuxième essai sur la thématique de la révolte et l’espoir dans la chanson kabyle où bien des artistes sont mis en valeur. Mais vu l’étendue de la thématique, il est évident qu’un opus ne peut évoquer tous les chanteurs de façon exhaustive.
Vous venez d’éditer votre troisième opus qui traite de l’œuvre d’Idir et qui porte le titre de Idir ou l’identité au pluriel. Pourquoi Idir ?
Idir est, pour moi, celui des artistes kabyles qui a bercé mon adolescence et ma jeunesse. C’est lui qui nous a réconciliés avec nos origines berbères en chantant Yugurten, lui qui nous redonna la fierté d’être kabyle. Idir a vite compris que notre identité était une identité multiple, composite et complexe. Elle est une identité qui s’est enrichie au fil de l’histoire de notre pays tout en gardant son fond, sa sève berbère et kabyle en particulier. C’est une identité qui est en permanente construction et qui ne cesse de s’enrichir par l’apport de nos diverses expériences de vie.
En ce sens, nous partageons «philosophiquement» le même regard sur notre identité que l’on doit cultiver, chérir mais dans un esprit de tolérance et de respect de nos différences et de notre diversité. Enfin, Idir fut l’artiste fédérateur, l’artiste courroie de transmission intergénérationnelle, l’ambassadeur de notre culture. Idir est l’universaliste que l’on connaît. La musique et la chanson n’ont pas de frontières. Cet opus sera suivi d’un 4e qui traitera de l’amour dans la chanson kabyle.
Une réflexion est engagée pour rendre un vibrant hommage à la contribution collective de groupes tels Idheflawen, Abranis, Igudar, Isulas, Imazighen Imula, Agraw, Djurdjura et tous ces groupes nés dans les années 70/80 et qui ont eu un rôle majeur dans la sauvegarde et la défense de l’identité kabyle et amazighe.
Entretien réalisé par Mohammed Kebci
Le soir d'Algérie



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