Algérie - A la une

Entre traditions et partage des tâches



Même si savoir emmailloter un bébé à l'ère des couches jetables, faire un bon plat au temps des tutos You Tube ou agencer avec goût son foyer à l'heure des décorateurs d'intérieur... n'est plus une science du quotidien au féminin, nombreuses sont celles qui tiennent toujours à garder la main haute sur ce qui se fait à la maison avec, cependant, une légère évolution des comportements.Si certaines continuent, en effet, à se considérer comme les dépositaires du savoir-faire de l'entretien d'un foyer, d'autres, de plus en plus nombreuses, travailleuses ou pas d'ailleurs, militent pour le partage des tâches.
Entretien, ménage, enfants, cuisine...Qui doit faire quoi ' A quel degré ' Et quand ' Des questions aujourd'hui au c?ur du débat. Le récent confinement, qu'il soit à temps plein ou partiel, a mis à nu une réalité nouvelle longtemps tue. Témoignages.
Nabila, 46 ans, mère au foyer : «Ma maison, j'en ai fait mon territoire exclusif»
Mariée à dix-huit ans, à peine à la sortie du lycée, à un homme de presque dix ans son aîné, Nabila est une ambition réprimée. Son premier garçon vient d'être reçu au bac, l'examen qu'elle a raté et qui lui a valu un destin presque écrit d'avance, celui de rejoindre la longue traîne des filles qui font un mariage de «raison».
«Au début, avoue Nabila, je ne comprenais pas. J'étais jeune, pleine d'énergie et d'ambitions. Ma vie devenait confuse, des larmes et des déceptions. Je me sentais totalement perdue. Puis, à un moment, il y a eu comme un déclic dans ma tête. J'ai décidé de prendre en main la gestion de mon foyer. D'en faire mon territoire exclusif. J'étais déterminée à en faire mon métier en quelque sorte.
J'ai imposé mes propres règles. J'y passe le plus clair de mon temps, plus que tous les autres membres de ma famille. Ma maison, c'est avant tout mon havre de paix à moi et je dois m'y sentir à l'aise. J'adore la décoration, en particulier. C'est moi qui choisis les couleurs, le linge d'intérieur, les rideaux, les meubles, leur disposition. Je reçois beaucoup, enfin je recevais beaucoup jusqu'à cette dernière crise sanitaire.
Ça me comblait de bonheur de me faire complimenter sur mes goûts ou lorsqu'on me demande où ai-je trouvé un bibelot ou une série de cadres ! C'est une forme de reconnaissance pour moi. C'est aussi mon rôle de juger l'utile de l'inutile. Il faut dire que sur ce plan, mon mari n'est pas trop intrusif. Il apprécie le bien-être du foyer.
Preuve en est, il n'est pas de ceux qui rentrent et ressortent immédiatement pour s'accouder au comptoir d'un café. C'est important que les enfants se sentent bien aussi et que chacun ait son propre espace»
Amel, 42 ans, mère de trois enfants : « Inactive, moi ! Venez, je vous file une de mes journées ! »
Amel quitte les bancs de l'université diplôme en poche et alliance à l'annulaire. Elle décroche tout de même un premier job dans l'une des nombreuses multinationales qui s'installent au début des années 2000.
Mais sa carrière cale et le couple fait vite le choix de répartir les tâches : alimenter la marmaille et le mari; pour Amel, remplir la besace pour monsieur. Amel assume : «C'est un choix fait d'un commun accord.
La décision finale est venue de moi. Au début, on a cette impression de vide, d'avoir du temps à ne plus savoir quoi en faire. Mais les enfants s'enchaînant l'un après l'autre jusqu'à cinq, les journées deviennent élastiques. Lorsqu'ils sont arrivés en âge de la scolarité, j'ai eu droit à plus de temps pour moi.
Les moments de liberté durent plus longtemps, et surtout je ne suis plus obligée d'être matinale. Une fois le mari sorti et les enfants déposés à l'école, les tâches ménagères s'enchaînent mécaniquement, en un temps record.
Abstraction faite de la période particulière que nous vivons depuis quelques mois, j'avais réussi à me redonner un espace vital. D'abord, je ne vais pas chercher les enfants à la sortie des cours. Je pense que déjeuner dans une crèche à proximité de l'école et 2 ou 3 heures de garderie avec des enfants de leur âge est un bon moyen de socialisation. »
Et côté déco ' Amel se dit épanouie. « Depuis que les petits sont scolarisés, cela me libère pour des activités personnelles. J'ai toujours eu la fibre artistique, le dessin entre autres. J'ai ressorti mes aiguilles, les fils et les diagrammes pour broder des tableaux en point de croix. J'en dispose beaucoup chez moi.
Ça donne une touche personnalisée à la maison qui sort des kits standards des commerces. Contrairement à ce que l'on peut penser, ce n'est pas du tout vieillo.
Ça revient à la mode avec de nouvelles tendances, des coloris rafraîchis, des motifs dépoussiérés, des matériaux de qualité et des modèles disponibles à profusion sur les sites internet.
Il y a même des communautés et des groupes qui se créent sur Facebook où l'on s'échange des conseils pratiques et les meilleures adresses pour trouver la matière première malgré une pénurie de certaines références.
J'en refais jusqu'à présent des coussins, des draps et des couvre-lits des enfants avec leurs personnages préférés des dessins animés. C'est très agréable de relooker ses chambres soi-même. »
Anis, 38 ans, père en télétravail : «J'ai refait la déco durant ce confinement »
Inédit, Anis, père de deux enfants, a bien voulu nous raconter sa « reconversion » au foyer. Cadre de son état dans le pharmaceutique, son entreprise, estimant qu'il n'occupe pas un poste qui requiert un travail en présentiel, a décidé de se mettre ainsi que nombre de ses collègues en mode télétravail dès le mois de mars dernier.
«Je l'avoue, souligne d'emblée Anis, j'ai toujours eu la flemme au foyer. Mes s?urs me chouchoutaient, ma mère encore plus et mon épouse Asma n'a pas dérogé à la règle. Comme beaucoup d'Algériens, mon père en premier, j'avais cette idée que se mettre à l'entretien du foyer était comme une atteinte à ma virilité.
Avec l'évolution des m?urs, les hommes de ma génération ont redoublé d'imagination pour garder ??ces privilèges'' hérités. C'est tout un art masculin d'esquiver aux tâches ménagères. Sous la contrainte, je me suis retrouvé confiné avec les deux petits car mon épouse ne pouvant l'être étant médecin mobilisé dans le secteur public. Au fil des mois, j'ai pris goût à ce partage des tâches. J'ai même refait toute la déco de l'appartement.
Au début, c'était pour dégager un petit espace bureau pour le télétravail. Puis, je me suis pris au jeu. C'est hallucinant ce que déplacer un meuble, une table ou un objet peut apporter comme changements à la fois dans l'espace et au bien-être.
Même lorsque je sors faire les courses, moi qui le faisais en deux gestes trois mouvements, je me surprends dans les magasins de déco à chercher des pièces décoratives et à les projeter dans mon intérieur.
Ça permet aussi d'avoir de nouveaux sujets de discussions entre nous. Franchement, c'est sans regret et j'invite les hommes à le faire. Vous verrez, ça procure du bonheur !»
Sarah Raymouche
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