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Entre allégeance au pouvoir et allégeance à la hiérarchie



Entre allégeance au pouvoir et allégeance à la hiérarchie
La gestion de la carrière professionnelle dans la Fonction publique en Algérie répond à des critères bien particuliers. Si la réussite d'avoir un emploi stable s'avère difficile, l'avancement dans sa carrière dépend des connaissances de l'employé, de son appartenance idéologique, mais surtout de son allégeance à la hiérarchie. Pas seulement, être membre actif d'un syndicat pourrait faciliter à certains l'accès au poste supérieur, quitte à sacrifier ses engagements à l'égard des travailleurs qu'ils représentent.Si de prime abord nos interlocuteurs, à savoir les représentants syndicaux du secteur de l'éducation se sont attardés à rappeler le règlement régissant le recrutement et les promotions dans le secteur, qui semble être respectés, mais au fil de la discussion, ils ont avoué qu'il y a toujours du favoritisme, à la fois dans le recrutement et l'avancement dans la carrière. L'appartenance aux partis du pouvoir peut-il procurer des privilèges à l'adhérent ' «Cette appartenance ne pèse pas trop comme cela était le cas auparavant», estime Idir Achour, porte-parole du Conseil des lycées d'Algérie (CLA).Pour ce qui est de la promotion dans le même métier (enseignement), cela se fait en se basant à la fois sur la note d'examen et l'étude du dossier. Pour devenir professeur principal ou professeur formateur, cela se fait en fonction des postes budgétaires. Jusque-là, «la réglementation est respectée», note le porte-parole du CLA. Reste un détail ! Les notes du directeur et celle de l'inspecteur sont déterminantes à 70%. «Il y a ceux qui font du favoritisme», a reconnu Idir Achour.En revanche, l'accès au poste de directeur et d'inspecteur de l'éducation se fait par voie de concours. «Dans ce cas, l'appartenance idéologique ne pèse plus. Il y a des gens qui se font aider par leur propre connaissance. Il n'est pas exclus que le candidat peut se faire aider pas son hiérarchie lorsqu'ils sont de la même mouvance politique», précise le syndicaliste, ajoutant que le poste du directeur de l'éducation ou directeur central au ministère se fait à base de désignation. «Ce sont les gens du système qui sont là-bas», se persuade notre interlocuteur, notant que pour les hautes fonctions, les personnes sont soumises à une enquête sécuritaire.Du syndicalisme aux postes de haute fonctionQu'en est-il des militants syndicaux ' Profitent-ils des liens qu'ils tissent avec les hauts responsables pendant l'exercice de l'activité syndicale ' «Malheureusement, il existe des syndicalistes qui ont abandonné l'activité syndicale pour obtenir des postes supérieurs au ministère», a reconnu le porte-parole du CLA, qui cite à la fois des syndicalistes de l'UGTA et d'autres appartenant aux syndicats autonomes.Contacté par nos soins, Soumia Salhi, syndicaliste de l'UGTA (Union générale des travailleurs algériens), préfère ne pas se prononcer au sujet «des privilèges» que certains syndicalistes estiment accorder aux militants de l'UGTA. «Ça ne sert à rien de s'engager dans une polymérique, il faut faire une étude sérieuse pour se rendre compte de la réalité», a-t-elle répondu. Questionné à ce sujet, Messaoud Boudiba, porte-parole du Conseil national autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest), préfère aborder cette question autrement, tout en reconnaissant qu'il y a des syndicalistes qui ont fini par obtenir des postes de haute fonction au ministère de l'Education. «Il y a beaucoup de pression sur les syndicalistes !Ces derniers sont visés par des mesures répressives», a attesté M. Boudiba, notant que le syndicaliste demeure toujours cette personne qui «dérange». A ce titre, le pouvoir utilise les différentes méthodes pour le faire taire. «On commence par lui faire peur. Lorsqu'on se rend compte que ce syndicaliste ne recule pas, on passe aux intimidations et les mesures de répression», dit-il. «Ce syndicaliste, qui a la base militante derrière lui, campe sur sa position.A ce moment-là, on lui propose des faveurs et des avantages dont les postes de haute fonction», a-t-il expliqué. Rachid Malaoui, président du Syndicat national autonome du personnel de la fonction publique (Snapap), abonde dans le même sens : «Ce sont des cas qui arrivent souvent en Algérie. Si tu n'es pas dans la mouvance du pouvoir, tu risques de voir ta carrière bloquée. De nombreux syndicalistes ont été sanctionnés à cause de leur activité syndicale.» Et de souligner par la même occasion «les syndicats ayant prêté allégeance au pouvoir».Et ce qu'il appelle «les faux syndicats autonomes» qui ont eu accès à des fonctions de très haut niveau, citant à son tour l'accès des syndicalistes à des hautes fonctions dans le secteur de l'éducation. M. Malaoui se dit persuader que les travailleurs appartenant activement aux partis du pouvoir avancent facilement dans leur carrière. «Il y a eu beaucoup de recrutement d'allégeance concernant les hautes responsabilités», note-t-il.«Les femmes : ce maillon faible de l'administration publique»De l'avis du président du Snapap, c'est la même logique qui règne au niveau de l'administration publique. Mais l'allégeance change de cap. C'est à sa hiérarchie qu'un fonctionnaire doit «obéir», s'il veut obtenir une quelconque promotion. «Au niveau de l'administration, c'est aussi l'allégeance aux responsables», a relevé M. Malaoui, regrettant par la même le fait que les membres des syndicats autonomes revendicatifs et ceux des partis politiques d'opposition aient du mal à avancer dans leur carrière. Par ailleurs, les femmes travailleuses sont les plus touchées par ce «problème». Elles sont doublement victimes.Dans la Fonction publique, les femmes n'occupent pas de hauts postes de responsabilité. M. Malaoui a renvoyé cet état de fait d'abord à l'environnement socioculturel dans lequel les femmes travailleuses évoluent, puis à la logique de l'assujettissement qui règne sur la gestion des carrières dans les établissements publics. «Il n'y a pas beaucoup de femmes qui activent dans des syndicats ou des partis politiques du pouvoir comparativement aux hommes.De ce fait, leur accès aux postes de responsabilité est très limité», a commenté le représentant du Snapap. «Quant aux femmes qui activent dans des syndicats automnes et des partis de l'opposition, elles ne sont pas nombreuses également pour des raisons que nous avons précitées. Et lorsqu'elles affichent leur adhésion à ces syndicats ou partis de l'opposition, elles sont forcément harcelées, et elles voient leur carrière bloquée», a-t-il enchaîné. Ajoutant, à ce titre, qu'il n' y a pas beaucoup de femmes leaders dans la Fonction publique, comme il n'y a pas beaucoup de femmes leaders en politique.Par conséquent, elles ne sont pas avantagées. M. Malaoui cite, à titre d'exemple, le secteur de l'Education qui compte plusieurs syndicats mais très peu de femmes syndicalistes membres du bureau national ou nommées à la tête de ces syndicats. «La répression et le harcèlement des syndicats autonomes et des partis de l'opposition fait que les femmes n'adhèrent pas activement à ces organismes», a-t-il dénoncé.De l'avis de Soumia Salhi, c'est dans le monde entier que les femmes ont du mal à avancer dans leur carrière. «C'est une réalité largement partagée dans le monde entier. Elles sont bardées de diplômes mais l'accès aux postes de responsabilité laisse à désirer», a-t-elle regretté. Contacté par nos soins, Djillali Hadjadj, président de l'Association algérienne pour la lutte contre la corruption, affirme qu'il y a eu des gens qui ont vu leur carrière bloquée après avoir dénoncé des cas de corruption. «Depuis des années, toutes les semaines, des travailleurs dénoncent des cas de corruption au niveau local, des daïra et même au niveau des ministères.«Les universitaires sont souvent les victimes»Notre souci est de vérifier que ces personnes le font de bonne foi et puis nous leur recommandons l'anonymat pour qu'elles ne subissent pas de représailles», a déclaré M. Hadjadj, précisant qu'il y a eu même des licenciements à cause de ces dénonciations. M. Hadjadj regrette le fait que les personnes qui ont vu leur carrière bloquée sont généralement des universitaires ayant mené un excellent cursus, et ce, pour avoir dénoncé les pratiques douteuses de leurs supérieurs ou pour avoir refusé de marcher dans la «combine» de leur hiérarchie, notamment lorsqu'il s'agit d'octroyer des marchés publics.Lorsqu'il s'agit de ces cas, le président de l'association de lutte contre la corruption propose ce qu'il appelle «l'annonceur d'alerte anonyme», car dans certains cas, ces dénonciateurs «ne sont pas conscients de la gravité de ce qu'ils dénoncent», a relevé M. Hadjadj, affirmant que dans le cadre de son travail, il a été amené à rencontrer de hauts fonctionnaires et des conseillers des ministères hautement diplômés. M. Hadjadj est revenu sur le statut de la Fonction publique et la notion du secret professionnel qui, d'après lui, est utilisé d'une manière abusive. Le fonctionnaire est tenu par une obligation de réserve.A chaque fois qu'un fonctionnaire dénonce des pratiques malveillantes, il voit son supérieur sortir cette note de secret professionnel pour mieux le museler. «C'est une notion opaque utilisée contre les fonctionnaires intègres», fait-il remarquer. Au sujet des promotions et le déroulement des échelons, selon M. Hadjadj, avec l'ancienneté cela se fait automatiquement «mais cet article est souvent violé».«Les partis islamistes hégémonistes»Concernant l'allégeance aux partis politiques, M. Hadjadj attire l'attention quant aux pratiques des partis islamistes une fois au pouvoir. «Une fois arrivés à la tête d'un ministère, les leaders des partis islamistes font des recrutements massifs des gens de leur obédience pour installer leur hégémonie.» Ajoutant : «On ramène une personne qui n'est pas qualifiée, lorsque la Fonction publique refuse de lui accorder le poste, elle est maintenue sous titre de l'intérim, on la fait payer par un établissement sous tutelle». C'est ainsi que des carrières sont brisées et des compétences ont été sacrifiées.
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