Algérie - Cinéma, Ciné-clubs, Cinémathèques

En Algérie, l’impossible réhabilitation des salles de cinéma



En Algérie, l’impossible réhabilitation des salles de cinéma
Photo : FAROUK BATICHE - Crédits : AFP

Cinémas d’Afrique (7). En 1962, le pays comptait un peu plus de 450 salles, dont une cinquantaine à Alger. Aujourd’hui, il en reste une dizaine dans la capitale.

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Dans les ruelles et impasses du centre d’Alger, seul un œil averti arrive à en dénicher les dernières traces. Des dizaines de salles de cinéma, témoins de la période faste des années post-indépendance pour le cinéma algérien, ne sont plus qu’un souvenir. Certaines gardent portes closes, d’autres ont été transformées en salles de projections de matchs de football, magasins de prêt-à-porter ou pizzerias.
Episode 1

En trois décennies, le septième art s’est écroulé, confronté à de nombreux problèmes structurels, à commencer par la désuétude dans laquelle sont tombées les salles obscures.

A l’indépendance, en 1962, on en dénombrait un peu plus de 450 à travers le pays, dont une cinquantaine dans la capitale Alger et une trentaine à Oran, dans l’ouest. « Désormais, il en reste une dizaine à Alger. Mais les salles ne sont pas exploitées de manière continue », regrette Nourreddine Louhal, journaliste et auteur de Sauvons nos salles de cinéma. Acte II (éd. Aframed, 2019), dans lequel il recense ces lieux chargés d’histoire.
Episode 2

De la nationalisation des salles par le président Ahmed Ben Bella en 1964 à la privatisation et la vente de certains lieux, l’auteur retrace le parcours de ce patrimoine. Il raconte l’âge d’or de la production cinématographique algérienne des années 1970 et 1980, marquée par de nombreuses comédies et films historiques, dont Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina, Palme d’or à Cannes en 1975, puis son déclin. En 1999, on ne compte plus qu’un ou deux films par an. Le pays vit alors les dernières années de la guerre civile, période durant laquelle les Algériens ont délaissé les salles.
« Lieux de débauche »

« Mes parents ont toujours été perplexes à l’idée de nous emmener voir un film en famille », confie Abdelraouf Meraga, 26 ans. Depuis quelques mois, ce passionné de culture coédite Cilimastation (« Station de cinéma »), une série de vidéos et podcasts en arabe pour présenter des films algériens et étrangers.

Dans sa ville de Blida, à cinquante kilomètres à l’ouest d’Alger, « il n’y avait pas de salle ou plutôt une seule », corrige rapidement le jeune homme. « Elle était située en plein centre mais avait une très mauvaise réputation. Des gens s’y droguaient », raconte Abdelraouf Meraga qui cite aussi les nombreuses salles algéroises qui traînent encore l’image de « lieux de débauche ».
Episode 3

Certaines salles transformées pendant plusieurs années en locaux commerciaux sont pratiquement irrécupérables, souligne Ammar Kessab, chercheur en politique culturelle. « Elles ont non seulement perdu leurs configurations originelles, à cause des travaux anarchiques entrepris par les commerçants, mais elles sont pour la plupart délabrées, voire détruites, à cause du manque d’entretien », poursuit le chercheur qui appelle à « tirer un trait sur le passé et développer de nouvelles salles de cinéma en libérant l’initiative privée et indépendante ».

En Algérie, la majorité des salles sont passées sous le giron des collectivités territoriales, notamment les communes. « Absence de sens artistique et culturel chez les “élus” locaux », manque de vision et clientélisme : la disparition des cinémas s’explique aussi par « la déliquescence de la scène politique nationale », estime Ammar Kessab.
« Héliopolis », l’exception

Autre facteur et pas des moindres : le coût des rénovations qui pèse lourd sur les budgets des communes, précise un observateur de la vie culturelle algérienne qui souhaite conserver l’anonymat. « Même s’il ne le montre pas directement, l’Etat veut déléguer la gestion de la culture au privé mais il ne fait pas confiance. Les autorités ne veulent surtout pas qu’il y ait des salles qui projettent des films allant à l’encontre de la vision officielle », poursuit ce dernier.

Le résultat est sans appel. En 1978, on enregistrait 40 millions d’entrées pour une population de quelque 20 millions de personnes, rappelle Nourreddine Louhal dans son livre. Aujourd’hui, malgré la réhabilitation de plusieurs lieux de diffusion, il reste difficile de réconcilier le public algérien avec la diffusion en salles. Le faible éventail des offres proposées par les lieux en activité n’aide pas : productions américaines des années 2000, films d’action et dessins animés n’attirent pas vraiment les spectateurs.
Episode 4

Depuis quelques semaines, une éclaircie est apparue dans ce sombre tableau. Le film Héliopolis, une production 100 % algérienne réalisée en 2019 par Djaffar Gacem et sortie en salles en mai 2021, rencontre un franc succès avec 13 000 entrées enregistrées en quelques jours. Le long-métrage, déjà projeté dans treize régions du pays, retrace la vie d’une famille de l’est algérien dont le fils promis à un grand avenir s’engage finalement dans le mouvement indépendantiste peu de temps avant les massacres du 8 mai 1945.

Porté par une tournée marathon de son équipe, le film qui veut représenter l’Algérie aux Oscars a aussi bénéficié d’une très forte campagne de communication sur les réseaux sociaux et d’une diffusion de sa bande-annonce sur les chaînes de la télévision publique.
Dans les festivals étrangers

« Le CADC [Centre algérien de développement du cinéma, également producteur d’Héliopolis] est dans la dynamique de sortir les films qui sont dans les tiroirs. Certains datent de 2007 et n’ont jamais été montrés au public », explique Abdelraouf Meraga, qui évoque un changement de vision apportée par Nabila Rezaïg, directrice de cet organisme chargé de la promotion du cinéma, qui serait davantage tournée vers la jeunesse et la création.
Episode 5

Dans le sillage d’Héliopolis, d’autres films algériens sont proposés à l’affiche mais peinent à rencontrer le même succès. Certains font les frais du non-respect des programmations – changements d’horaires ou annulations intempestives – par les salles que dénoncent régulièrement les spectateurs. Dimanche 27 juin, deux séances du film Abou Leila, réalisé en 2019 par le Franco-Algérien Amin Sidi-Boumédiène et dont la sortie nationale a eu lieu trois jours auparavant, ont été annulées à la dernière minute.

Avec l’aggravation de la crise économique sous l’effet de la pandémie de Covid-19, les professionnels du secteur craignent de voir s’étioler le peu de financement public qui existe. Le Fdatic, un fond national créé en 1967 pour développer la production de films, est d’ailleurs menacé de disparition. Dans une lettre adressée en mars au gouvernement, plusieurs réalisateurs, scénaristes et acteurs ont dénoncé une décision arbitraire synonyme de « mise à mort du cinéma algérien ».
Episode 6

S’ils peinent encore à se faire entendre et à diffuser leur film dans leur propre pays, de jeunes réalisateurs algériens marquent de leur présence les festivals étrangers, à l’image de Mounia Meddour dont le film Papicha a décroché deux Césars en 2020 et le Fifog d’or en juin lors de la 16e édition du Festival international du film oriental de Genève.

Le long-métrage, déjà disponible sur la plate-forme de streaming Netflix, n’a jamais été diffusé en Algérie. L’avant-première, annoncée pour septembre 2019 et annulée sans explications, devait avoir lieu en juillet, sous réserve que la situation sanitaire le permette.

Cinémas d’Afrique

Le Monde Afrique et ses correspondants sont allés à la rencontre des cinémas d’Afrique. Ceux d’un âge d’or perdu comme en Côte d’Ivoire ou en Algérie où, il y a quelques décennies, on se pressait dans les salles obscures pour découvrir les derniers films d’action ou redécouvrir les classiques de la création nationale.

« Les cinémas n’ont pas survécu au passage de l’analogique au numérique » du début des années 2000, regrette le critique de cinéma ivoirien Yacouba Sangaré. Là comme ailleurs, le septième art a dû prendre des chemins de traverse pour continuer à atteindre son public. Les vidéoclubs – des cassettes VHS aux DVD – ont nourri une génération de cinéphiles.

Certains aujourd’hui tentent de faire revivre des salles mythiques et leur programmation exigeante, comme au Maroc ou au Burkina Faso. D’autres voient dans les séries un nouveau mode de création fertile. Des passionnés de la cinémathèque de Tanger au cinéma conservateur de Kannywood, dans le nord du Nigeria, ils font le cinéma africain d’aujourd’hui.


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