Algérie - Revue de Presse



Le malaise artistique et culturel (II) curieusement ceux qui aujourd?hui accentuent le malaise font le plus de bruit et alimentent le plus la polémique, à ce sujet, criant à la censure et à la dilapidation des deniers de l?Etat, ont été eux-mêmes et de longue date des censeurs (voire pour certains grassement rétribués par le FLN de l?époque des contrôleurs !) et des pilleurs des caisses de l?Etat. Exerçant dans les différentes associations ou syndicats artistiques (les deux termes sont tellement antinomiques !), le rôle de roitelets féodaux, cruels, cupides et tyranniques, entourés de jeunes et éphémères zélateurs qui tournent autour de ces axes de la bêtise et de l?inculture, soit par opportunisme, soit par naïveté, soit par masochisme... Curieusement aussi, l?arrivée d?une nouvelle génération de créateurs très jeunes qui ont connu les années les plus noires et les plus sanglantes de l?Algérie dévastée par le terrorisme islamiste, n?a pas toujours été bénéfique pour assainir le climat artistique et culturel. Si certains d?entre eux ont prouvé leur talent et leur capacité à appréhender les techniques les plus modernes, d?autres ont fait de la vanité et de l?arrogance leur faire-valoir. Ceux-là se croient déjà arrivés à maturité et pensent qu?ils sont des génies méconnus. Ils ne tolèrent aucune critique et souffrent d?un ego démesuré et d?une certaine avidité mercantile. En réalité, ils font du Fast Art et se faufilent dans les médias qu?ils essayent d?accaparer pour en faire un tremplin vers la notoriété, les fauteuils ministériels ou l?enrichissement rapide. Comme ont fait certains de leurs aînés. Tapis derrière les médias lourds et les meilleurs journaux indépendants (parfois !), ils utilisent leurs tranchées médiatiques pour régler des comptes, insulter ceux qu?ils considèrent comme des parvenus qui obstruent leur avenir. Cette attitude malsaine est due, encore une fois, à l?inexistence d?une vraie critique professionnelle dans le domaine de l?art (combien y a-t-il de Azzedine Mabrouki ou de Hadj Tahar ?), d?un environnement esthétique formateur et de tant d?autres choses. Ce genre de situation peut mener au bord du désespoir culturel et intellectuel et au nihilisme maraudeur ; mais aussi à un sursaut qualitatif où la modestie, l?honnêteté intellectuelle et l?exigence créative deviendront la règle générale avec ses critères, ses valeurs et ses bornages. En 1968, à une question de journaliste, Jean Thibaudeau répondait : « L?artiste n?a pas de savoir qui parle. C?est au contraire le doute qui oriente sa création. » Mais ce malaise n?est pas typiquement algérien, il est en fait universel, car il ne faudrait pas oublier que les pays les plus culturellement avancés vivent aussi ce malaise qui peut être propice à l?émergence de grands talents. En Occident, de très grands artistes sont ignorés par les médias, ridiculisés par leurs pairs, haïs par leurs adversaires. Les grands créateurs occidentaux sont écrasés par la mainmise d?un certain nombre de faux-monnayeurs, comme aurait dit Gide, de faux prophètes et - surtout - de stars aussi efficaces qu?impitoyables pour tout ce qui a de la vraie valeur. L?exemple de la mise à l?écart de Bourdieu en France est très significatif. Il faisait de la contre-sociologie de qualité, et cela lui avait valu la mise en quarantaine que l?on sait. Le pire, c?est qu?à sa mort il a été encensé d?une façon hypocrite et éhontée par ceux-là mêmes qui ont participé à sa mise à mort intellectuelle de son vivant. Qui connaît, en France, Simon (romancier), Boulez (musicien), Mathieu (peintre) et tant d?autres ? Qui connaissait Arthur Miller aux Etats-Unis qui écrivait Les Sorcières de Salem pour le théâtre et le prodigieux The Misfits pour le cinéma ? Personne ! Sinon comme l?un des nombreux maris de Marilyn Monroe... Et maintenant qu?il est décédé, toute l?Amérique pleure à chaudes larmes, non pas le génial dramaturge qui a osé affronter le maccartysme à visage découvert au moment où plusieurs autres artistes se sont mis à genoux et sont devenus des délateurs zélés devant ce tribunal de l?inquisition américaine dont le seul but était d?écraser le mouvement communiste qui était à son apogée à cette époque. En Belgique, Deluaux, l?un des maîtres du cinéma d?auteur d?aujourd?hui, est un parfait inconnu. Et la liste est longue à ce sujet. Dans un livre de Gilles Lipovetsky, l?Ere du vide, paru à Paris en 1983, nous retrouvons l?idée de ce malaise. Ce texte offre l?une des analyses les plus éclairantes sur cette ère de « l?individualisme occidental forcené où règnent la subjectivité, l?égoïsme, le narcissisme, le starisme, le désenchantement politique et historique et l?argent devenu l?étalon-art... ». Le besoin de référent réel existe dans notre pays d?une façon pathétique et désespérée, mais il subsiste encore dans les pays riches où « écrire des livres qui se veulent tranche de vie comme on dit tranche de viande, récit d?expérience, de vécu, ou confondre alors le réel avec le réalisme, c?est courir le risque du populisme qui rapporte gros ou avoir recours massivement au reality show et fabriquer ainsi l?illusionisme bourgeois dont parlait Jean Thibaudeau qui trouve ici un regain de sens », écrit au sujet du cas français Michel Besnier. En plus de la modestie et du relativisme qui nous font cruellement défaut, en ces temps où une poignée de main entre chefs d?Etat est qualifiée d?« historique », au même titre qu?un exploit sportif, ce type de malaise profond qui nous ronge peut aussi générer d?abord, puis mettre en pratique la distanciation telle que la préconise Bertolt Brecht. L?espoir, alors, serait d?impliquer le consommateur d?art dans l?expérience et d?en faire un cobaye et un témoin essentiels. Enfin, la sérénité ne peut s?installer que le jour où l?artiste ne se conçoit plus et ne doit plus être perçu comme un prophète qui montre le chemin. Le grand chantier du projet historique à construire ne peut être qu?une ?uvre collective. L?apport de l?art doit être comparable à celui du travail scientifique. Il résultera alors d?une somme de recherches séparées et éloignées, très différentes à la fois et complémentaires, s?exerçant dans tous les domaines de l?art. C?est la multiplicité des regards, des techniques, des contradictions, des doublons, des réfractions et des diffractions qui modifieront les rapports à la création. Modeste et indispensable, la fonction de l?artiste est de rechercher des prises sur lui-même et sur les autres pour se raccrocher à quelque chose et ne pas se jeter dans le vide. Pour rester vivant et vivace.
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