Algérie

El-Mouled, entre hier et aujourd'hui




Dans l'histoire de notre nation, El-Mouled Ennabaoui Echarif s'est imposé comme la fête populaire la plus importante du calendrier musulman. Incontestablement, ce fut sous le règne de la dynastie des Béni Abdelwad (1236-1555) que les cérémonies marquant l'anniversaire de la naissance du Prophète de l'Islam connurent une ère de grandeur; les festivités, préparées d'avance, tendaient à offrir aux citoyens des moments d'apparat où chacun s'ingéniait à faire honneur à ces journées solennelles. La magnificence s'ajoutait à l'éclat du luxe et la somptuosité se mêlait à la splendeur.Le mérite en revient au célèbre roi Abou Hammou Moussa Il d'avoir fait du Méchouar un palais royal majestueux. Les chroniqueurs attestent qu'à chaque fête du Mouled, les portes de cette citadelle demeuraient ouvertes afin de permettre à la famille princière d'accueillir ses invités: les dignitaires du royaume, les hommes de sciences, de savoir et de religion, les personnalités venues de tout le pays, les représentants des Grandes Maisons ainsi que les gens du peuple.A vrai dire, tout ce beau monde venait contempler les merveilles de la grande salle d'honneur et prendre part aux réjouissances de cette commémoration bénie. On y admirait des hommes et des femmes qui offraient un visage radieux, et partout on voyait passer des habits brillants, des broderies éblouissantes, pendant que les lumières reflétaient dans les miroirs aux dorures vénitiennes l'image des élégants aux gestes raffinés... De riches tapis couvraient le sol, les seddaris et les divans s'alignaient en rangées ou le long des murs, des candélabres étincelants et des lustres rutilants se dressaient de place en place.Finement apprêtés dans les offices royaux, des mets savoureux étaient servis en abondance, avec foison de gâteaux et de fruits, à la grande joie des convives.Au milieu de la cour, trônait l'horloge mécanique monumentale El-Mengana, oeuvre du grand savant Abou El-Hassan Ali, plus connu sous le pseudonyme d'Ibn El-Faham. Physicien, astronome, mathématicien, versé en mécanique et en automatisme, son nom figure dans toutes les encyclopédies du monde.Ensuite arrivait le moment tant attendu: celui des fameuses joutes poétiques auxquelles prenait part le Sultan Abou Hammou II en personne. Sans contexte, il rivalisait avec les chantres épiques ou lyriques autrement célèbres tels El-Toghri ou le chirurgien Et-Talsi, issus de familles tlemcéniennes de noble lignée. La nuit se poursuivait sous l'air des mélodies envoûtantes et subtiles: les orchestres se succédaient, chacun son tour - ou sa nouba -jusqu'au septième jour des festivités.Le lendemain, un immense défilé de nos forces militaires se déroulait. Le départ des troupes commençait à partir de la plaine située entre El-Eubbad Essefli et Ghars El-Bey. On longeait Sour El-Hammam au sud de l'antique Agadir, à l'ouest de Sidi El-Haloui, évitant Aïn El-Qsour, puis passant par Bab Sidi El Brad?î, les troupes abordaient Diar Essaboun, pour finir de passer en revue devant la cour réunie autour du roi, aux pieds des fières murailles, sur le vaste parvis de Bab El-Qarmadine.Le peuple, émerveillé et ravi, applaudissait de fierté. Des familles entières, vieux et jeunes en habits de fête, ne cessaient d'admirer les fantassins et leurs aides, les cavaliers remarquables par leur aisance et le prestige de leur uniforme, les goums, les archers et les lanciers, ainsi que les austères et vertueux Chevaliers de la Foi couverts de gloire dans les guerres qui les opposaient aux armées chrétiennes d'Espagne.A l'évidence, c'était l'occasion pour la plupart des badauds de contempler de près des armes redoutables comme les catapultes, les arbalètes géantes ou ces tours mobiles en bois, montées sur des roues imposantes, terriblement efficaces, assure-t-on, pour prendre d'assaut les remparts des places fortifiées.Le cortège, semblant interminable, s'étirait jusqu'à Bordj Ech-Qaf, contournait les îlots des châteaux de princes ou d'émirs parsemant Imama, pour finir de boucler son circuit à Qsar Echaâra...Ainsi donc, les gens de nos régions ont continué, dans le respect des traditions du temps passé, de fêter El-Mouled Ennaboui Echarif avec, parfois dans l?âme, un peu de mélancolie, mais surtout beaucoup de coeur, de conviction et de recueillement, et le plus souvent dans le bonheur et la gaieté.Depuis le premier jour, appelé Ziadet Ennebi - la naissance du Prophète - jusqu'au septième jour du Sabaâ Ennebi, chacun veille à suivre scrupuleusement le déroulement des festivités. D'abord, les femmes disposent de singuliers plateaux contenant des bonbons et des sucreries, des parfums ou des fleurs de saison qu'on offre aux visiteurs. Ensuite, elles préparent le repas traditionnel, lequel comporte invariablement un bon rôti de volailles, accompagné de «trid», ainsi que la fameuse «tsa-netsa» à nulle autre pareille. Entre-temps, le père s'en va au marché acheter de l'encens, «el-bkhour», ainsi que les «triyâtes» - sortes de petit appareillage fait de baguettes en bois, entrecroisées autour d'un axe reposant sur un socle léger, au bout desquelles on fixe des bougies multicolores décorées de papier argenté ou doré.A partir de la prière du Maghreb, commencent les veillées religieuses. Très vite, les mosquées et les zaouïas se remplissent. Parfois même, les grandes maisons regroupent leur famille: plusieurs générations se retrouvent assemblées. Dès lors, les plus âgés saisissent ces instants déférents pour transmettre à leurs cadets les secrets d'une culture que la patine du temps a jalousement protégée et embellie. Jusqu'aux premières lueurs du Sobh, on lit le Coran et, dans une profonde communion des coeurs et des âmes, on psalmodie les oraisons célèbres, les dikrs, appelés «el-mouloudiyates».La journée suivante est consacrée aux enfants: garçons et filles jouent aux élégants: les premiers portent leurs costumes neufs avec, semble-t-il, un soupçon de fierté, pendant que les secondes - en robe blanche ou en caftan tlemçani- ingénues et candides, illuminent de leur beauté et de leur grâce souveraines les derbs, les ruelles, les placettes et tahtahates de la médina.Le troisième jour, on se rend à pied - de notre temps, vous en souvient-il, nous y allions en fiacre - à Aïn Wazouta: ce quartier fut et demeure encore le jardin secret et féerique de notre enfance. Situé sur la route qui mène au sanctuaire de Sidi Boumediène, cet espace - ou plutôt ce haut lieu de mémoire, hébergeait la Grande Kermesse. Il y avait là des jeux de toutes sortes, des baladins et des clowns, des bateleurs et des montreurs de singes, des charmeurs de serpents, des marchands de gâteaux et des vendeurs de confiseries traditionnelles. Ça et là, les halqates se formaient: des spectateurs attentifs écoutaient les gouals inspirés clamer, comme en extase, la saga de l'aube de l'Islam, les qacidas en l'honneur du Prophète et de ses Compagnons...Dans une atmosphère de chants, de dikrs, de qarqabous et de tambourins assourdissants, passait de temps à autre une troupe: c'était telle ou telle zaouïa ou tariqa: Derqaouas, Issaouas, Hamdaouas, Khouane Sidi Blel, qui défilaient, chaque confrérie portant haut dans le ciel son étendard déployé au vent...Ceux qui le pouvaient se rendaient le quatrième jour à Aïn El-Houts, la patrie des Chorfas. Tout le long du chemin, c'était une interminable suite de pèlerins: prières, chants et dikrs se succédaient...Durant les cinquième et sixième jours, les enfants devenaient les maîtres de la ville: aux éclats de pétards répondaient les youyous des femmes, les cris de liesse des garçons, le son rythmé des derboukas, la cacophonie des jouets bon marché, les rires en cascades... Le bonheur était partout dans les gestes comme sur les visages des grands et des petits.Enfin, le septième jour arrive, et chacun de montrer la couleur et le dessin du henné sur ses mains. C'est à celle ou à celui qui possède la teinte la plus remarquable: les deux mains pour les filles et les femmes, et pour les hommes et les garçons un cercle parfait sur la paume de la main droite ! Oui, la main droite qui symbolise la grandeur d?âme, la pureté du coeur et la fidélité intangible à notre prophète Mohammed, Amin !Vous qui passez par chez nous, partout dans le Tlemcénois, à travers nos faubourgs et nos villages, un jour d'El-Mouled, prenez le temps d'écouter, s'il vous plaît, cette ineffable comptine:Ô Mouled, Mouled EnnabiCe refrain, nos grands-parents nous l'ont appris. Nous aussi nous l'avons fredonné. Et pour autant que nous puissions le dire, aujourd'hui ce sont les enfants de nos campagnes et de nos villes qui le chantent pour les filles et les garçons de notre pays.
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