Algérie

Des lendemains qui ne chantent plus pour certains


En ce vendredi d'une mi-novembre humide et pluvieuse, un ou deux coups discrets à la porte, on ouvre : une femme relativement jeune, la quarantaine à peine était là en retrait : port citadin, veste longue, robe sombre, foulard enserrant la tête. D'une voix chuchotante, elle dit avoir laissé son foyer sans gaz, ses enfants n'auraient rien pris depuis la veille. On imagine toute l'énergie nécessaire pour expectorer cette désespérance, enfouie dans le poitrail. Au moment même, des candidats de partis en lice électorale, passaient à la télé. La candidate du « vénérable » parlait de, on ne sait plus quoi, et celui du parti de la « Société pour... », annonçait que le programme de travail pour sa wilaya était ficelé, en terminant par un : « Elisez-nous et demandez-nous des comptes ! ». Des comptes ? Quand, comment et où ? Dans cinq ans peut-être, mais il sera déjà trop tard ! L'imam du coin faisait son sermon à l'adresse des « Dhouyouf Errahman », les futurs hadji. Les discours des uns et des autres, dérisoires coquilles vides, ne répondront assurément pas à la détresse de cette mère de famille, dont la dignité était mise à mal par la faim, qui tenaillait le ventre de sa progéniture. Cette femme, rongée par la précarité ne pouvait être que translucide. Elle se fait violence encore et encore, pour demeurer le rempart entre ses enfants et la déchéance humaine. Veuve ou répudiée, elle fera seule son chemin de croix. Qui a dit que « Demain, il fera jour » ? Cette note d'espoir n'estompera peut-être pas, l'incertitude de ses lendemains qui ne chanteront probablement plus. Faut-il encore compter sur un seul département ministériel pour dénicher les gîtes de la précarité sociale, qui semble s'installer durablement ? Quant à l'entraide interindividuelle, celle-ci a depuis longtemps déserté nos cercles. Le pauvre est comme le noyé, on ne tente pas beaucoup de le sauver, de peur d'être entraîné dans l'abîme. Après tout, il n'y a que l'Etat qui puisse assurer la prise en charge des démunis ! Cette sentence ne peut participer, que d'un sentiment de culpabilité mal assumé. Là aussi, on a eu tort de penser que seules, les institutions pouvaient réguler la précarité, comme elles n'ont pas su ou pu le faire ailleurs, pour d'autres segments de la vie nationale. Le voisin de palier est le plus proche maillon de cette interminable chaîne solidaire que devrait être la société, l'école est son meilleur étalage et le maître, son meilleur observatoire. Le travailleur social est ce technicien ou technicienne, doté d'un savoir-faire, confiné dans des tâches bureaucratiques qui évaluent la réponse aux appels de détresse, par le nombre de « cas » traités. Le mirage dans ce cas, fera perdre les pistes de prospection et comme en perdition, l'hallucination génèrera la divagation. Ailleurs, sous d'autres cieux, on parraine des orphelins, le plus souvent de confession musulmane, venus de loin. Leurs médecins et infirmières abandonnent tous les attraits d'une vie feutrée, pour aller s'accomplir humainement dans de lointaines contrées, où ils entendront, le muezzin appeler cinq fois par jour à la prière. Ils sont parfois pris à partie, ou carrément trucidés. Ils ne désarment pas, leur foi en Dieu est inébranlable. Ce même Dieu, ne dit-il pas dans le Saint Coran « Nous t'avons élevé, au rang de substitut à Nous même sur Terre » ? Leur paroisse est toujours accueillante par la chaleur du gîte et du couvert. Combien de nos mosquées sont-elles dotées de dépendances sociales ? Exception faite des zaouïas, peu de nos lieux du culte sont dotés de telles commodités. Les associations religieuses qui se surpassent dans une compétition surréaliste, pour acquérir la lustrerie la plus somptueuse et la tapisserie la plus riche, devraient regarder un peu mieux leur environnement social immédiat. Les attributs de confort et de l'ornementation peuvent largement couvrir les besoins matériels d'une multitude d'enfants, dont les familles sont placées dans l'impasse temporaire ou durable, du besoin matériel. N'y aurait-il pas un boulanger ou un crémier pour mettre à disposition d'éventuels hères, une caissette de lait ou une corbeille de pain ? Ils n'auront pas à y pourvoir seuls, les clients y mettront aussi leur obole en nature. N'y a-t-il pas de riches négociants et hommes d'affaires, dont les dépendances inoccupées de leurs cossues demeures, peuvent rendre le sourire à des enfants transis par le froid ? Les démunis et pas tous, n'auront eu que les « restos de la raison » pour rompre le jeûne du Ramadan. Les débordements affectifs n'auront duré que le temps de la lunaison. Les déchets produits par les marchés de gros, par suite de pourrissement de légumes objets de rétention, équivalent à des millions de calories nutritives, dont une multitude de corps chétifs en est privée. Il est certes du devoir de l'Etat de parer au désarroi des couches sociales vulnérables, mais dans les situations d'exception, la mobilisation communautaire est plus que jamais requise. La misère, véritable sinistre, n'ayant pas le caractère cataclysmique pour faire l'événement, est silencieuse. Insidieuse, elle n'a pas de contours pour nos glauques regards de suralimentés. Son hideux visage est masqué par notre mépris souverain, à l'égard de la loque humaine. Cette femme qui a frappé à une porte un vendredi de ce mois de novembre, conservera-t-elle cette retenue qui fait d'elle un être encore digne ? Ou bien sera-t-elle vouée à une inexorable descente aux enfers, de l'opprobre de ses proches, dont ses propres collatéraux et de l'indifférence ambiante. Pourra-t-elle encore entretenir un foyer que tout a voué à la démolition ? Pourra-t-elle maintenir des relations avec son voisinage, quand celui-ci apprendra qu'elle pratique la mendicité, pour faire vivre ses enfants ? L'état d'apesanteur de l'aisance économique, ne résistera pas plus, à l'attraction gravitaire de la déchéance sociale. Les voûtes de Bab Azzoun et d'ailleurs seront l'ultime étape, pour ces fantomatiques silhouettes qui, à un moment ou un autre de leur vie, ont vu passer des ombres qui leur ressemblaient. Ces damnés du ruisseau se seraient peut-être même dits, un jour : ça n'arrive qu'aux autres, pas à nous ! Il n'y a rien de moins sûr ! Pour ne point clore sur une note qui semble cultiver la sinistrose, il reste à élucider une ou deux petites questions qui taraudent l'esprit. Il est connu que deux secteurs se partagent le poids ou la charge des affaires de solidarité. Il s'agit bien entendu des secteurs des Affaires religieuses et des Wakfs et de la Solidarité nationale. L'interférence de la bipolarité est dans ce cas bien objectivée par des empiètements d'essence assurément généreuse. Le Croissant-Rouge Algérien, fleuron de l'action humanitaire, qui a prouvé à plusieurs reprises son efficience, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de nos frontières, semble être réduit à une administration caritative résiduelle. Ces prolongements locaux jadis effervescents, se terrent derrière des portes immensément closes. Les deux secteurs précités devront s'appuyer sur cet organisme. Exonérée de la suspicion acquise que développe le citoyen vis-à-vis de l'Administration, cette ONG gagnerait à être réhabilitée et ce ne pourrait être, qu'un juste retour des choses. La logistique installée de cette institution praticienne de l'acte solidaire, dispose d'un réseau territorial facile d'accès, en mesure de débusquer les enclaves de la marginalisation économique. Ses éléments mus par le volontariat bénévole, ne peuvent être que prompts aux multiples sollicitations. La chose administrative est comme son nom l'indique, astreinte aux us définis par les canons réglementaires de la machine bureaucratique. L'impondérable ne fait pas cas d'horaires de service, ni de repos hebdomadaire ni de vacances.
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