Algérie - Revue de Presse

Denis Sieffert (Directeur de la rédaction de l?hebdomadaire Politis)



« Sharon pousse à la guerre civile » Dans son dernier livre, Israël-Palestine : une passion française (La Découverte), Denis Sieffert scrute le monde politique et la société française à travers le prisme de ce conflit. Israël-Palestine, en quoi est-ce une passion française ? C?est une passion française pour de multiples raisons. Sociologiques d?abord : il y a en France la plus importante communauté juive d?Europe et la plus importante communauté issue du Maghreb post-colonial. Les uns comme les autres, pour des raisons différentes, et avec des intensités différentes, entretiennent un rapport passionnel ou à tout le moins symbolique avec Israël et la Palestine. Les autres raisons nous renvoient à l?histoire. Il y a la culpabilité française après le génocide des juifs. C?est ce qui explique en partie le rapport fusionnel entretenu entre les deux pays dans les années 1950, jusqu?à la guerre de Six jours et au tournant gaulliste de 1967. Et il y a la question coloniale omniprésente. Quand on regarde les positions de la diplomatie française par rapport au sionisme et à Israël, depuis le début du XXe siècle, on se rend compte que le Maghreb a joué un grand rôle. Un temps, on redoutait qu?un soutien trop appuyé au sionisme n?agite le Maghreb. C?était la troisième république. A partir de la guerre d?indépendance algérienne, en 1954, l?effet a été inverse. La France a cru percevoir un vaste complot arabe d?Oran à Jaffa, en passant par le Caire. Les discours étaient proches de ceux de Bush et de Rumsfeld aujourd?hui. C?était la quatrième république. Tout cela fait que l?on a du mal à identifier le conflit actuel pour ce qu?il est : un conflit colonial. La première visite de Nicolas Sarkozy a été pour Israël. Faut-il en voir là aussi une passion française ? C?est une manifestation, en effet, de la « passion française ». Et la passion n?est pas bonne conseillère. Les déclarations de Sarkozy marquent une allégeance à la politique de Sharon qui nous éloigne de la position affirmée par la France depuis 1967. Mais à y bien réfléchir, c?est peut-être plutôt une manifestation de la « passion américaine » d?un homme qui admire beaucoup George W. Bush, et entraîne le système politique français vers un modèle proche du parti républicain américain. La fausse agression du RER D a été vécue comme un traumatisme par tout le monde. Est-ce un débordement de cette passion justement ? C?est la passion au sens pathologique du terme. Cette femme, qui voulait attirer sur elle l?attention, a renvoyé à la société française quelques-unes de ses grandes peurs fantasmatiques. Avec des Arabes antisémites empruntant la symbolique nazie. Ce n?était absolument pas crédible. Or, le plus grave, c?est que la France médiatique et politique a suivi et qu?elle ne s?est pas excusée auprès de la communauté injustement stigmatisée, quand le subterfuge a été démontré. Il s?est même trouvé un ancien ministre socialiste pour dire que si cela n?avait pas eu lieu, cela aurait pu avoir lieu. La passion dans ce cas nous éloigne dangereusement de la démocratie. Imaginez une justice qui condamnerait des innocents parce qu?ils auraient pu commettre un crime... Pourquoi est-il devenu si difficile de critiquer Ariel Sharon ou Israël sans être taxé d?antisémite ? A cette question, il y a deux niveaux de réponse. La critique est difficile dans certains médias qui ont peur eux-mêmes d?être stigmatisés. C?est « courage, fuyons ». Mais la France médiatique n?est pas la France. Tous les sondages d?opinion témoignent que les Français ne sont pas dupes de ce qui se passe au Proche-Orient. Dans leur majorité, ils témoignent de la sympathie à l?égard des Palestiniens. Et même dans les médias, le petit groupe d?intellectuels qui ont tenté d?imposer une sorte de censure de fait est en perte de vitesse. Ils en ont trop fait. Et je les crois plutôt isolés. Vous êtes sceptique sur le pouvoir de Mahmoud Abbas de ramener la paix. Dans votre dernier éditorial, vous dites que les mâchoires d?un piège déjà connu se mettent en place. Est-ce que la situation est si désespérante ? Les déterminismes historiques sont heureusement très complexes. Si l?on en reste aux intentions de Sharon, il n?y a rien à espérer. L?évacuation de Ghaza, abandonné au chaos, est une man?uvre pour solde de tout compte. Tous les compliments faits à Mahmoud Abbas visent à le piéger en suggérant que la paix dépend de lui, que c?est lui qui doit encore faire les concessions, que les Palestiniens ont encore quelque chose à donner. De ce point de vue, la situation est désespérante. D?autant plus que Sharon tente de pousser le nouveau président de l?Autorité palestinienne à une guerre civile interpalestinienne. Mais il y a d?autres facteurs, comme la crise politique en Israël et la lassitude de l?opinion israélienne très marquée aussi par ces quatre années de crise économique et sociale. Et puis il y a des facteurs internationaux. L?impasse irakienne, notamment, peut amener Bush à infléchir sa politique. Mais c?est surtout le premier facteur qui est important. Sans oublier que l?opinion internationale est de moins en moins dupe de la politique de Sharon. Il est de plus en plus évident que son but n?est pas la paix, mais la création d?un Etat palestinien réduit à quelques agglomérations séparées les unes des autres sans véritable pouvoir central.



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