Algérie

DECODAGES Les grandes entreprises délocalisent, l'Algérie n'en profite pas



Par Abdelmadjid Bouzidi
abdelmadjidbouzidi@yahoo.fr
Les délocalisations sont des décisions internes des firmes qui choisissent de transférer des productions ou d'autres activités du pays d'origine ou du pays où elles sont installées vers un autre pays. Pour J. Arthuis, lors d'une délocalisation, le gestionnaire cherche à fabriquer là où c'est le moins cher et à vendre là où il y a du pouvoir d'achat. Les firmes transnationales sont le vecteur essentiel de la délocalisation.
Ces firmes sortent de leur pays d'origine à la recherche d'une meilleure rentabilité et d'une plus grande compétitivité : elles externalisent des segments entiers de leurs activités pour les faire exécuter dans d'autres pays. Deux facteurs sont essentiels dans la prise de décision d'une firme de délocaliser sa production.
1/ Les coûts de production et notamment les coûts de main-d'œuvre. Dans les pays en développement, on sait que le coût horaire de la main-d'œuvre est beaucoup moins élevé que dans les pays développés (niveau du salaire, durée du travail, charges sociales). Les industries incorporant beaucoup de main-d'œuvre sont donc particulièrement concernées par les délocalisations (textiles et habillement, industries de montage...). A titre d'exemple, les coûts de main-d'œuvre comparés pour la branche «textiles et habillement » sont les suivants :
Coûts horaires
Japon 26,1
UE 14,0
France 13,8
Portugal 4,3
Turquie 2,6
Europe centrale 1,9
Maghreb 1,7
Chine 0,6
Inde 0,5
Pakistan 0,3
Année 2005
2/ Le second facteur qui détermine la décision de délocaliser est celui de l'importance du marché. Les 2/3 des investissements directs étrangers (IDE) ont pour destinataires les pays développés. Ici, c'est moins le coût de la main-d'œuvre qui dicte la décision que l'importance du marché. C'est donc l'attrait du marché qui pousse les firmes à choisir de s'installer plutôt dans les pays développés. Il y a aussi un troisième facteur qui joue dans la prise de décision de délocaliser et celle du choix du site d'accueil : les aides offertes par les pouvoirs publics du pays d'accueil : subventions, dégrèvements fiscaux, aides au financement d'infrastructures, à la formation de main-d'œuvre. Une récente étude de la Cnuced montre que les facteurs qui favorisent le plus les délocalisations sont par ordre décroissant :
- 1/ Les salaires
- 2/ Les charges fiscales qui pèsent sur les entreprises
- 3/ Les services offerts (transports et télécommunications en priorité). Pour affiner l'analyse, on peut distinguer les délocalisations industrielles et la délocalisation des services. Elles obéissent généralement chacune à des motivations différentes. Dans les délocalisations industrielles, on peut distinguer celles qui ont lieu dans les pays développés et celles dans les pays en voie de développement. Pour les premières, elles concernent des activités industrielles très variées (biens de consommation mais aussi biens d'équipements et biens informatiques). Les délocalisations dans les pays en développement sont motivées par des questions de coût salarial et concernent en premier les activités intégrant beaucoup de main-d'œuvre (textiles, habillement, électronique grand public). Les premiers pays à accueillir ces délocalisations ont été les pays asiatiques.
La délocalisation des services
Les progrès considérables des TIC ont permis aux entreprises d'externaliser un nombre croissant de tâches dites tertiaires (services à forte intensité de main-d'œuvre et jugées peu stratégiques du point de vue du «plan de bataille» de l'entreprise. L'étude de la Cnuced que nous avons déjà citée et qui a concerné 100 grands groupes européens nous apprend que «39 d'entre eux on déjà délocalisé une partie de leurs activités de services et 44 ont l'intention de le faire dans les années à venir». Après les tâches simples comme la comptabilité ou le développement de logiciels, les activités à plus fortes valeurs comme l'établissement de comptes, l'analyse financière, la gestion des achats... commencent à être externalisées à leur tour. Les destinations des délocalisations de ces activités concernent les pays où les salaires sont plus faibles, les horaires plus flexibles, les salariés plus motivés. A titre d'exemple, un directeur de la recherche/développement est payé 42 000 euros en moyenne au Maroc, contre 160 000 euros en France (en moyenne). Depuis le début des années 2000, le traitement des factures, des feuilles de paie ou des bons de commande revient 3 fois moins cher à Prague, en Inde ou à l'île Maurice qu'en France. Mais, c'est surtout l'Inde et la Chine, deux pays où la main-d'œuvre n'est pas chère, qui ont facilité — grâce aux TIC — l'éclatement des processus de production aux «quatre coins du monde». La délocalisation de la matière grise est en train de devenir une menace pour l'emploi dans les pays du Nord. L'Inde captait déjà en 2002, 55 % du chiffre d'affaires des entreprises délocalisées dans les activités de services, dans les TIC et le processus de traitement informatique des entreprises. Il y aurait moins d'ingénieurs dans la Silicon Valley qu'à Bangalore. L'externalisation ou «out sourcing» devient de plus en plus une solution «nécessaire» pour de nombreuses entreprises des pays du Nord. «L'Inde ne demande rien. Depuis deux ou trois ans, des activités de plus en plus sophistiquées, à fort contenu intellectuel, sont traitées sur le sous-continent. L'avenir, c'est la recherche-développement, les études d'ingénierie, l'analyse financière, les études de marché... » (Association of Software Service Companies) — et voilà la nouvelle économie — l'économie de services aux entreprises, l'économie fondée sur la connaissance qui prend place et qui offre des occasions historiques aux pays du Sud d'intégrer «par le haut» le processus de mondialisation de l'économie en se préparant à accueillir chez eux la délocalisation de tous ces services. Mais alors que font les Etats des pays du Nord face à ces mouvements de délocalisation qui leur laissent sur les bras, chaque année, des milliers de salariés licenciés, des pans entiers des territoires dévitalisés. Rappelez-vous cette résurgence forte du concept de «patriotisme économique» mis en avant par les hommes politiques de l'Europe par exemple pour dissuader leurs entreprises de délocaliser et d'externaliser. Mais la firme internationale ne livre bataille que pour son drapeau et ne respecte que «l'évangile de la compétitivité». Il se trouve aussi cependant des défenseurs de la mondialisation qui ne voient dans ces délocalisations que des aspects positifs puisque, disent-ils, «la fabrication à l'étranger d'ordinateurs, de logiciels ou de composants électroniques a débouché sur une baisse des prix de 10 à 30 %, ce qui a permis à plus d'entreprises de s'équiper. Des secteurs entiers ont vu ainsi leur productivité augmenter et le niveau de leurs salariés s'élever ». Et de poursuivre : «Des milliers d'emplois vont être perdus dans les pays riches au profit des travailleurs des pays émergents mais une nouvelle vague de productivité va déferler. La demande dans les pays en développement va augmenter. Leurs besoins seront énormes. Voilà des gisements de croissance qui créeront chez nous (dans les pays du Nord) de nombreux emplois dans les secteurs high tech.» (Catherine Manu, économiste américaine)... Firmes et Etats dans les pays du Nord : dialogue de sourds 'En tout cas, les délocalisations annoncent la grande bataille des firmes contre les Etats.



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