De quoi réveiller Platon et Aristote

Il est à se demander parfois si les gens de chez nous comprennent ce qu'opposition veut dire, ce que pouvoir veut dire.Lors de la réunion du RND tenue à Bouhnifia (Mascara), s'adressant aux cadres élus de son parti, M.Bensalah a jugé, à propos de l'initiative du FFS pour un consensus national, qu'«aucune initiative ne peut réussir sans le parrainage des institutions légitimes de l'Etat et leur supervision directe».Autrement dit, si on met de côté les interprétations politiques possibles de cette phrase, le SG du RND a dit que pour faire quoi que ce soit dans ce pays, si vous voulez que cela réussisse, faites-le sous la coupe du pouvoir. Des propos qui étonnent et qui ne manqueront certainement pas d'appeler des remarques et des commentaires de la part des observateurs.Une telle affirmation ne se contente pas de nous renvoyer à l'ère de la préhistoire. Elle va plus loin en piétinant tout ce qui a été fait dans le domaine de la démocratie et des libertés. Certes, nous n'avons pas fait beaucoup de choses de ce côté-ci mais il y a des balbutiements quand même, des signes, des bourgeons qu'il ne faut pas écraser comme ça, sans même une grimace.Cette affirmation signifie que l'opposition ne peut rien faire sans l'aval du pouvoir. Même pas essayer d'aider le pays, même pas si le pouvoir le traîne là où il ne faut pas!En fait, cela nous donne une idée des mentalités en cours sur notre scène politique et qui, dans les conditions actuelles que traverse notre pays, sont de trois sortes. Il y a ceux qui appellent au dialogue, il y a ceux qui sont contre le dialogue, mais il y a aussi ceux qui ne savent pas ce qu'est le dialogue.Est-ce dû au fait que certains, qui n'ont connu que le confort du pouvoir durant toute leur carrière, ne croient pas qu'en dehors du pouvoir on puisse prendre une tasse de thé' Est-ce dû au fait que, à force de défendre des idées, on finit par y croire soi-même quitte à ce qu'elles soient saugrenues et que nous le sachions' Ou bien est-ce, simplement, dû au fait que les gens ne parlent pas tous de la même façon ni ne réfléchissent de la même manière' Ne serait donc raisonnable que ce qui est sous la coupe du pouvoir, le reste, tout le reste, n'est que gesticulation et est bon à jeter! Difficile de mieux faire!Il est à se demander parfois si les gens de chez nous comprennent ce qu'opposition veut dire, ce que pouvoir veut dire et, poussons plus loin, ce que gouverner un pays veut dire! On aurait entendu cela dans les années soixante que cela nous aurait paru biscornu. On l'aurait entendu dans les années soixante-dix que cela nous aurait semblé anormal. On l'aurait dit devant nous dans les années quatre-vingt qu'on aurait crié au scandale mais aujourd'hui, dire cela aujourd'hui nous semble relever de l'improbable, de l'extraordinaire, de «l'i'jaz (miraculeux)» tout simplement parce que, au moment où, du pôle Nord au pôle Sud et de la ligne de Greenwich à la ligne de Greenwich, l'accord est total et non ambigu quant à l'utilité, la nécessité et à l'obligation de laisser l'opposition exercer en toute liberté, chez nous on la rappelle à l'ordre en lui montrant le lieu où elle doit faire sa sieste!Même l'initiative d'un parti comme le FFS doit donc passer par l'accord du pouvoir. Pourquoi ne pas imposer cet accord pour le recrutement des militants' Pourquoi ne pas l'imposer pour la détermination de l'ordre du jour des réunions des partis' A-t-on idée seulement de ce qu'on dit là'Ces discours nous donnent l'occasion de comprendre pourquoi le changement ne vient pas chez nous. Il nous renseigne aussi pourquoi y croire serait une aberration. Le confort et le luxe finissent toujours par avoir raison des hommes, lorsqu'il s'agit du confort qu'offre le pouvoir, les dégâts ne peuvent être que plus grands. La preuve, on vient de demander à l'opposition de ne rien faire sans l'accord du pouvoir... De quoi réécrire les sciences politiques et les fondements des sciences politiques. De réveiller Platon, Aristote, Cicéron, Rousseau et même tous les morts, histoire de leur dire ce que nous faisons dans ce monde.