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«Crever l'abcès qui pourrit la vie de la nation»



«Crever l'abcès qui pourrit la vie de la nation»
Saïd Sadi, qui a animé hier un café littéraire à Béjaïa, trouve «graves» les réactions de certains universitaires qui ont pris part à la polémique qu'a suscitée son livre Amirouche, une vie, deux morts et un testament. «On peut comprendre que la pression du pouvoir sur les témoins de la guerre de Libération puisse malheureusement conduire à une censure.»Mais les universitaires, dont certains sont des historiens, sont entrés dans ce procès en sorcellerie qui, à mon avis, doit être absolument mis à plat calmement, sereinement, sans surenchère mais sans tabou.» Sadi souligne la position «claire» des universitaires que sont, entre autres, Kamel Daoud, Boualem Sansal et Anouar Benmalek, qui ont soutenu que «toute forme de censure opposée à un témoignage équivaut à une chape supplémentaire qui empêchera la construction de la nation».«En quoi la connaissance de notre histoire, avec ses phases lumineuses, ses incertitudes et ses zones sombres, va-t-elle nous empêcher d'appréhender une fois pour toutes notre passé avec sérénité '» s'est interrogé Sadi qui ne trouve pas en l'existence de «problèmes urgents» un motif pour ignorer les problèmes fondamentaux de la nation. Pour lui, ce n'est pas son livre qui suscite polémique, c'est plutôt son auteur. Sadi dit que «l'irruption citoyenne a provoqué un climat» qui a réorienté le sujet de l'heure sur le climat du livre.«C'est dans les moments de confusion, d'incertitude, d'instabilité qu'il faut redonner à la nation ses propres fondamentaux pour reconstruire sur du solide», estime-t-il, considérant les polémiques «sans intérêt (?) qui nous enferment dans l'invective», un moyen de parasitage du débat essentiel.Mieux, il y voit un «couloir de la polémique où le régime a évidemment toujours le dernier mot». Sadi invite à un débat serein et libre et réfute le discours qui diabolise la liberté d'expression comme étant source de désordre et de chaos. Un discours qui «justifie la censure et l'étouffement de l'expression citoyenne». «L'histoire reste utile à connaître parce qu'elle témoigne des handicaps qu'oppose le pouvoir à la réflexion libre et autonome», dit-il.La série d'obstacles que son livre, interdit du Salon du livre d'Alger, a connus «signe la réalité de la politique culturelle du régime algérien», selon Saïd Sadi. Edité à compte d'auteur, malgré tout, à 60 000 exemplaires, «c'est le livre le plus vendu de l'Algérie indépendante» et c'est là pour Sadi une preuve suffisante de «l'échec du pouvoir algérien».De la responsabilité universitairesIl estime que «lorsqu'une vérité est dite, elle est importante parce qu'elle apporte un éclairage sur une partie plus ou moins importante de la nation». Et une vérité en appelle d'autres ; parmi celles-ci, Saïd Sadi rappelle des témoignages qui lui ont été faits.«A la deuxième édition, des intervenants se sont exprimés, notamment celui même que Boumediène avait chargé de déterrer Amirouche pour l'enterrer sous un numéro et non pas sous son nom, en décembre 1962. Le responsable des communications du MALG, qui est le beau-frère de Ben M'hidi, qui avait hésité à témoigner, a finalement parlé. Celui qui a témoigné avoir reçu l'ordre d'exécuter Lotfi est encore vivant.» Les réactions suscitées par la première édition reviennent à la faveur de la quatrième édition du même livre.Des vérités qui en appellent d'autresL'auteur n'y voit rien de moins qu'un «séisme», lui à qui on a reproché d'avoir écrit que «Boussouf a ordonné la mort de Lotfi». «Ce n'est pas à moi qu'il faut s'adresser. J'ai dit qui l'a dit, où ça été dit et je donne les clés de la conférence où ça a été publié», répond-il. «J'aurais tout à fait compris si les universitaires qui sont en train de m'attaquer aillent voir ces témoins vivants pour vérifier l'authenticité des documents.» «Malheureusement, je le déplore sincèrement, le débat auquel j'ai appelé n'a à ce jour pas eu lieu», regrette-t-il après avoir expliqué les «origines et implications» de la polémique.Il reconnaît parmi ses premiers détracteurs «les agents les plus orthodoxes du MALG». La polémique, explique-t-il, a servi à faire comprendre «pourquoi le MALG a été conçu». Sadi trouve «pernicieux» l'argument qui s'est greffé à la polémique autour de son livre, à savoir celui qui consiste à dire que «l'histoire de la guerre de Libération est définitivement codifiée dans son enchaînement, les référents qui doivent la structurer définis et tout ce qui vient remettre en cause cette doxa équivaut à une trahison nationale».En arrière-plan, le conférencier voit «un discours toxique». «Evacuer les tabous» dans les débats, c'est ce à quoi il invite. «Il faut qu'on en parle, c'est un abcès qui est en train de pourrir la vie de la nation», dit-il, mettant le doigt sur les «séquelles dans la mentalité des citoyens» le fait «que l'on déterre clandestinement des ossements de deux officiers de l'armée que le pouvoir officiel ordonne de les enterrer sous des numéros et que, par la suite, on les déterre pour les séquestrer dans la cave de la Gendarmerie nationale».«Je n'ai pas le souvenir d'un régime qui ait commis des horreurs, des forfaitures aussi graves», déplore Saïd Sadi, convaincu qu'«on ne peut pas construire une conscience nationale tant qu'on n'a pas définitivement parlé et évacué ce genre de crimes moraux. Je n'ai pas de compte à régler avec qui que ce soit. Mais on ne peut pas taire des forfaitures, sauf à vouloir les greffer pour l'avenir». Par ailleurs, Sadi avait été attaqué sévèrement sur ses déclarations sur Messali Hadj.Hier, il a clarifié les choses : «Nul ne peut nier à Messali d'avoir été à l'origine de la création de l'Etoile nord-africaine, d'avoir conduit le PPA/MTLD avec le courage et une constance en faveur de l'indépendance? Mais lorsque le pouvoir personnel et l'éloignement du terrain viennent à croiser le parcours, on peut aller vers des dérives.» Et de soutenir que ces dérives peuvent se manifester par des conduites «y compris la trahison». Sadi conclut enfin qu'«il est temps que les universitaires disent que l'université n'est inféodée ni au Caire, ni à Moscou, ni à Paris».


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