Mostaganem - Adda Bentounes


cheikh sidi Adda Bentounès
C'est à Mostaganem, en octobre 1898, que naquit Adda Bentounès, dans une famille de vielle source mostaganémoise modeste par son rang social, le père, boucher de son état, exerçait les charges de mûqaddam au sein de la confrérie Slimaniya dirigée par le Cheikh Qaddûr ibn-Slimân.

La famille Bentounès n'était certes pas riche, mais le père, de par ses fonctions spirituelles, essaya de donner une éducation toute religieuse à ses six fils, dont le benjamin était Adda.

Celui-ci, comme ses frères, fut envoyé à l'école qoranique et y apprit le Qoran jusqu'à la sourate "Âmma", en somme, il apprit par cœur deux chapitres du livre.

Mûnawwar, le plus instruit des fils Bentounès, était affilié à la confrérie Darqawiya Chadhiliya, il jugea utile d'y conduire son frère benjamin, ayant remarqué chez lui des prédispositions foncières à capter les enseignements qui se dispensaient chez le Cheikh Mohammed al-Bûzaydi et son mûqaddam Ahmed al-Alawi.

l'enfant se faisait remarquer , en effet, dès sa tendre enfance par une spiritualité ardente et toute précoce, il priait des heures entières au pied d'un arbre toutes les fois que son travail d'apprenti cordonnier était terminé.

Une fois, par une fin d'après-midi d'été, alors qu'il été absorbé dans une longue et profonde méditation, un français, qui avait probablement remarqué la présence régulière de l'enfant au même endroit, aux même heures, lui demanda à brûle-pourpoint:

-Tu crois en Dieu, petit musulman?

-Avec toute la force de mon cœur, sidi!

-Mais tu ne l'as pas vu!

-Fait-il du vent sidi?

-Non, et c'est bien dommage. S'exclama le Français, en s'épongeant le front.

-Regardez donc, mon frère, en haut de l'arbre, cette petite feuille qui bouge. Elle bouge au vent, parce qu'elle est légère, si nous somme légers comme elle, nous saurons nous aussi vibrer au vent.

A dix ans, le petit Adda commença à fréquenter la zawiya de sidi Hammû al-Cheikh al-Bûzaydi. Quand le Cheikh al-Alawi prit les destinées de la confrérie en main, qu'il en devint le maître incontesté, il posa un jour à ses disciples la question de savoir ce qu'ils avaient gagné à le fréquenter, le jeune Adda, qui n'avait que treize ans, répondit à peu prés en ces termes:

- "Sidi, avant avant que je ne fréquente la zawiya, tout le monde m'appelait Adda, mais maintenant , je suis appelé par tous les frères "sidi Adda", j'ai gagné l'estime de mes frères et la votre".

Cette réponse fut appréciée par le Cheikh qui le rapprocha d'avantage de lui, c'était lui qu'il envoyait à sa maison demander telle ou telle chose à sa mère, et celle-ci, trouva à son tour l'enfant éveillé pour son âge, plein de dévouement.

Parallèlement à son métier de cordonnier, il suivait des cours de fiqh (jurisprudence), de grammaire, de syntaxe en compagnie de son frère aîné dans la tariqa, Mohammed al-Madani, et ne ratait aucune mûdakara du Cheikh al-Alawi.

Grâce à sa belle voix, il devint le meilleur mûssammi' (chanteur d'odes, de poèmes à la gloire de Dieu et son Prophète) de la zawiya Alawiya, il était en réalité, alors qu'il n'avait pas encore vingt ans, l'un des plus sincères disciples du Cheikh al-Alawi.

Le disciple favoris (1918 / 1934)

appelé avec la classe 18 indigène, il avait servi aux 20e Régiment des tirailleurs Algériens, exerçant les soldats algériens au tir à Mostaganem, il leur apprenait, au retour de chaque manœuvre, à marcher en scandant le nom Suprême, ces marches militaires par le Dikhr lui valurent, de la part du capitaine de la garnison de Mostaganem, une mutation disciplinaire à Bedault, prés de sidi Bel-Abbès.

Quand il fut démobilisé en 1921, il avait le grade de sergent, il retourna naturellement à la zawiya et sa mère désespérait de le marier, Jean Biés rapporte ce dialogue entre la mère et le fils:

-Voici le coffret de mes bijoux, je les gardé pour toi, afin que tu fonde un foyer.

-Que ferais-je de tout cet or?

-Cesse de suivre le Cheikh al-Alawi, élève une famille, ces bijoux sont à toi, je te les donne.

-Et moi, je te les donne, afin que tu me laisse suivre le Cheikh.

Ayant demandé l'autorisation du Cheikh al-Alawi d'aller suivre les cours à la Zaytûna, il partit, en effet, pour Tunis, mais n'y resta que deux ans (1921 / 1923), il fut alors rappelé à Mostaganem auprès du Maître, le neveu de celui-ci, Mohammed Benbernû, mûqaddam de la zawiya, étant tombé gravement malade, le Cheikh al-Alawi pensa alors à son disciple dévoué, Adda Bentounès. L'année suivante, 1924, il le maria à sa nièce "Khayra" qu'il avait adoptée et élevée au rang de sa fille.

Du même coup, il lui témoignait, de façon patente, son affection particulière. Adda Bentounès, jouissant désormais de la confiance totale de son Cheikh, cumulait les charges d'intendant de la zawiya (wakîl), de rédacteur d'al-balagh al-Jazaïri, et, privilège convoité par beaucoup, de chauffeur du Cheikh, ce qui lui permettait d'être le plus longtemps possible en contact avec son maître et surtout de profiter de ses mûdakarât paraboliques. Il puisa ainsi assurément plus que tout autre, depuis le début des années vingt jusqu'à la mort du Cheikh, directement à la source de la sagesse Alawi. Ce fut avec lui que le Cheikh entreprit son seul pèlerinage (1930) à la suite duquel, l'élevant au rang de fils, par un acte passé devant le Qâdi du prétoire (mahkamah) de Mostaganem le 25 juillet 1931, il fit de lui son exécuteur testamentaire et l'établit administrateur des biens de la confrérie comme le stipule l’extrait de l’acte testamentaire référencé KK838, n° 594 du prétoire de la Mâhakma :

Article quatrième, « Les biens de toutes natures présentement constitués habûs seront gérés par l’honorable Sidi Bentounès Adda ould Ben 'Awda, demeurant à Mostaganem, institué au rang de fils du fondateur. Cet administrateur exercera sa gérance selon les prescriptions édictées sans que nul puisse s’y opposer, à moins qu’il ne contrevienne excessivement à la volonté du fondateur quant à la destination du habûs. Il administrera ainsi tous les biens sus-indiqués, sa vie durant ; à sa mort, la gérance sera confiée au plus vertueux de ses fils et s’il n’a pas de postérité habile à cette fonction, l’administrateur sera choisi parmi les adeptes de la Confrérie dont la conduite sera bonne et l’esprit de sagesse sera certain. ».

Le Maître (1934 / 1952)

Mais cela fut loin d'être agrée par certains grands mûqaddams. Toujours est-il qu'après la mort du Cheikh al-Alawi, un congrès réunissant tous les adeptes, présents au lendemain des obsèques, reconnut Adda Bentounès comme nouveau maître spirituel de la confrérie. Ces "légitimistes", s'étaient fondés, dans leur choix, sur les liens de parenté que le Cheikh avait tissés avec le disciple, sur l'affection continue que le maître n'avait cessé de lui témoigner, sur sa volonté posthume de l'ériger gérant en chef des biens meubles et immeubles de toute la confrérie (charge pour laquelle le Cheikh, fin psychologue, grand manieur d'homme, désigna son disciple le plus intègre) et enfin, pour ses qualités spirituelles qui lui permirent de gravir toutes les stations de la ma'rifa, ce qui le prédisposait à prendre en main les destinées de la confrérie Alawiya.

Des difficultés de toutes natures allaient joncher la voie Alawiya du Cheikh Adda. Il dut non seulement affronter le vaste mouvement de dissidence qui se déclenche après 1934, mais aussi faire face à un véritable tollé de contestation élevé par les héritiers théoriques du Cheikh al-Alawi, que les dispositions de ce dernier avaient frustrés, puisque tous les biens de la confrérie étaient déclarés inaliénables (habûs) au profit de Ahl an-Nisba (les gens relevant de la chaîne spirituelle). D'interminables procès furent donc intentés à l'encontre du Cheikh Adda, dans le but avoué d'amener l'annulation du habûs.

La dissidence ayant pris des proportions inquiétantes, le Cheikh Adda dut faire reparaître (Lissân ad-Dîn), d'abord à Alger, ensuite à Mostaganem. Ce fut surtout à partir de 1937 que le journal connut des éditions régulières. En vérité al-balagh al-Jazaïri paraissait non moins régulièrement, mais il était, sous la coupe des adversaires du Cheikh Adda, il était dirigé, par conséquent, contre "les légitimistes" et le nouveau maître spirituel.

Pour contrebalancer aussi les influence grandissantes de ses nombreux adversaires, le Cheikh Adda créa en avril 1939, l'Association Alawie de prédication (al-Jam'iya al-Alawiya lil wa'dh wal tadhkîr). Au mois de janvier de la même année, il entreprit son deuxième pèlerinage aux lieux saints accompagné d'un groupe d'adeptes et de son fils aîné Mohammed al-Mahdi, qui, âgé à peine de onze ans, venait d'apprendre par cœur les soixante chapitres du Qoran.

Auparavant, le Cheikh Adda décidait de renouveler l'investiture de tous les mûqaddams qui tenaient leur fonction du Cheikh al-Alawi, cela lui permit d'avoir une vision claire de ses partisans sincères et des contestataires.

En 1939, il n'y avait donc plus de flottement, la situation, malgré ses violents remous, s'était clarifié pour tous, d'un côté, les "légitimistes", de l'autre, les adversaires de tous horizons. Malgré toutes les difficultés éprouvées, le Cheikh Adda harcelait le Gouvernement de l'Algérie pour obtenir de s'occuper de la formation de certains délinquants mineurs, lissân ad-Dîn, offrait largement ses colonnes aux plumes de ses journalistes bénévoles pour réclamer aux autorités françaises l'attribution de cette charge délicate.

Bref, en 1938, les revendications du Cheikh Adda furent satisfaites, effectivement, par fournées successives, des dizaines de délinquants mineurs affluèrent à la zawiya de Mostaganem, de là, ils étaient aiguillés selon leur choix, soit vers les travaux de ferme, soit ceux de l'imprimerie ou vers les ateliers de mécanique générale montés spécialement à cet effet, soit, enfin vers les travaux de boulangerie. Ils travaillaient le jour et préparaient ainsi leur réintégration dans la société, le soir ils apprenaient le Oran à la zawiya.

Si au milieu des années 30, le mouvement Alawi reprit avec quelques difficultés, après le décès du Cheikh, grâce aux tournées inlassables du Cheikh Adda dans la Kabylie, le Rif Marocain, l'Oranais, l'Algérois etc... (il effectua plusieurs (siyaha) au Maroc en 1928, à la Mecque en 1930, à Alger 1931, en Kabylie en 1937, un second pèlerinage à la Mecque en 1939-1940, au Maroc en 1949). Si la confrérie Alawi de Mostaganem ne s'était pas désagrégée, comme s'y attendaient beaucoup de gens, en revanche, son influence se ralentit de 1940 à 1945, en raison de l'état de guerre dans lequel l'Algérie se trouvait engagée, les indigènes ne pouvaient circuler que munis d'un sauf-conduit, cette mesure administrative entrava sérieusement les grandes tournées (siyâha) du nouveau Cheikh à travers le territoire algérien.

Après l'armistice, par contre, la situation politique retourna à la normale, et le Cheikh Adda, de nouveau, reprit son chapelet de pèlerin. La confrérie "légitimiste" connut à partir du milieu des années 40 et jusqu'à la mort du Cheikh Adda, un regain de prospérité tel qu'elle éclipsa toutes ses rivales qui se réclamaient du Cheikh al-Alawi.

Ce fut le 14 juillet 1946 que se tint le premier grand congrès post-Alawi revêtu du style du grand maître défunt, en effet, pour combattre les tendances anthropolâtres qui commençaient à se manifester à travers le catafalque du Cheikh al-Alawi, le Cheikh Adda décida de procéder à l'exhumation et à la ré-inhumation des cendres du Cheikh, et pour raison, certains adeptes faisaient le pèlerinage à la zawiya de Mostaganem et s'adonnaient franchement à des pratiques circumambulatoires autour du sépulcre saint.

Tous les fûqaras, disciples du Cheikh Adda, ceux du moins avec qui nous avons eu la chance de nous entretenir, affirment que ce fut à la suite d'un rêve que cette décision fut prise, le Cheikh al-Alawi, étant apparu à son successeur en état onirique, lui avait demandé d'endiguer ce courant maraboutique qui grandissait autour de sa dépouille. Il faut dire que le sépulcre se trouvant au milieu d'une pièce, favorisant la circumambulation et dévoyait plus d'un disciple.

Réunissant donc quelques 1500 disciples, le Cheikh Adda veilla à ce que les cendres du maître fussent pieusement ré-inhumées dans la chambre même ou le Cheikh al-Alawi écrivait ses traités et méditait dans l'isolement, pour peu qu'il eût quelques heures de libres. Mais le sépulcre, cette fois-ci, fut tellement proche du mur de la pièce qu'il fut désormais impossible de s'adonner à la circumambulation. De surcroît, la raison de la ré-inhumation étant abondamment expliquée par le Cheikh Adda, aucun disciple ne fut tenté de revenir à de pareilles pratiques pagano-islamiques violemment combattues et par le Cheikh al-Alawi et par le Cheikh Adda.

Des psalmodies du Qoran, du samâ', des discours ponctuèrent la cérémonie, certains orateurs insistèrent sur la vanité du monde, "le monde actuel est une poussière, il faut travailler pour le changer, seul la religion nous conduit vers le droit chemin...".

Au mois d'août 1946, le Cheikh Adda faisait paraître une revue mensuelle bilingue, al-Mûrchid (le guide), qui devint l'organe de presse officiel de la confrérie Alawie "légitimiste", elle continua de paraître assez régulièrement jusqu'en janvier 1952.

La confrérie Alawie, ayant ainsi retrouvé son équilibre, son audience s'étant de nouveau élargie, de nouveau adeptes y ayant fait leur entrée, le Cheikh Adda put penser à marier son fils aîné, Mohammed al-mahdi. Le 26 septembre 1947 il le maria avec une Rifaine de la zone espagnole, nièce d'un commerçant de Mellilia, grâce à ce mariage, presque la totalité des anciens adeptes Alawis du Riff se rallièrent aux "légitimistes"...La cérémonie du mariage, coïncida avec le 2e grand congrès post-Alawi et dura du 26 au 29 septembre 1947. Non seulement la confrérie Alawie "légitimiste" retrouvait définitivement sa splendeur du temps du Cheikh al-Alawi, mais encore elle commençait à connaître un essor sans précédent, et cela malgré les obstructions judiciaires auxquelles se heurtait le Cheikh Adda en raison des héritiers présomptifs qui cherchaient à obtenir l'annulation du habûs, vainement du reste, la cour d'appel classa, en effet, l'acte de substitution et rendit un jugement favorable au Cheikh Adda, entérinant l'inaliénabilité de la succession, reconnaissant ainsi la validité des dispositions du Cheikh al-Alawi, quant au mode et à la nature de la gestion des biens de la confrérie.

Fort de ce jugement, le Cheikh Adda put continuer sa marche triomphale dans la voie Alawie. Le 17 janvier 1948, il fonda une Association spirituelle d'étude islamique dont il fut président avec, pour président d'honneur le Docteur Marcel Carret, et pour vice président, Haj Salah Bendimred, baptisée "les Amis de l'Islam", cette association fit paraître d'abord un bulletin intérieur dans la revue al-Mûrchid, jusqu'à la disparition de celle-ci (janvier 1952), elle publia ensuite (novembre 1952) une revue mensuelle, les Amis de l'islam et ce jusqu'en juin 1961.

Mais depuis longtemps le Cheikh Adda était miné par le diabète, les difficultés de toutes natures, les longues tournées achevèrent de l'épuiser, alors qu'il était gravement malade, en mars 1952, il n'hésita pas à entreprendre une autre de ces tournées (siyâha) chez ses adeptes, implantés dans les fiefs de ses adversaires de Annâba et d'Alger, c'était trois mois avant de mourir, si l'un de ses disciples le priait de se ménager un peu, il répondait, le sourire aux lèvres: "laissons la maladie faire son travail et moi faire le mien.".

Le vendredi 4 juillet 1952 décédait, à la zawiya de Mostaganem, le Cheikh Adda Bentounès, à peine âgé de 54 ans. Quand les obsèques furent termines, le 5 juillet, les grands mûqaddams de la confrérie Alawie "légitimistes", venus du Maroc, l'Algérie, de France, de Grande Bretagne etc...jurèrent fidélité au fils aîné du Cheikh défunt, Mohammed al-mahdi âgé seulement de 24 ans, était trop jeune pour conduire tout seul les affaires temporelles et spirituelles de la confrérie.

L'assemblée générale des grands mûqaddams, dans le but de lui faciliter la tâche, lui adjoignit un conseil provisoire formé de Mûnawwar Bentounès, imâm et frère du Cheikh défunt, du Haj Hamida Benguedda, Haj Mohammed ben Thûriya, Habib Ben Isma'il, tous grands mûqaddam de la zawiya Alawiya de Mostaganem.

Portrait

Jean Biès, alors âgé de 19 ans, eut le privilège de le rencontrer en 1952 à la Zaouïa de Mostaganem. Il dit :

"Je le reverrai toujours dans son ample djellaba blanche, coiffé du turban qui serait son suaire et portant autour du coup le chapelet aux 99 noyaux de dattes, symboles des 99 Noms de Dieu, désignant les perfections et les activités Divines, les Essences Universelles contenues dans l'Essence immanente au monde...Dans le soir monte sa voix, les larmes mouillant les yeux, scintillent sur les barbes.

Il avait pour lui une natte, une brique pour oreiller, il se nourrissait de pain d'orge...il est de ces êtres dont on ne peut rien dire et qu'on diminue à mesurer qu'on en parle...En lui respiraient l'humilité, l'amour, la patience, la bonté, la simplicité. Il avait des mots exquis ou sublimes.

"Pourquoi la mer est-elle plus grande que les montagne et les continents? Parce qu'elle est plus basse...et parce qu'on se faisant plus basse, elle accepte en elle tout ce qui se présente à elle. Le grand fleuve, elle le reçoit et l'assagit, les égouts de la ville, elle en fait de l'azur...Nous avons dans notre alphabet Arabe, une lettre toute tordue, le chine Ô. En plus d'être tordue, chine signifie "vilain", si l'on veut écrire noblesse "charaf", il faut faire appel à la lettre chine, si nous avions rejeté le chine, nous n'avions jamais pu écrire noblesse."

A l'enseignement écrit, il préférerait l'oralité. Comme tout homme de tradition, pour lui, plus que les écrits, demeureront les paroles, plus sûrement gardées dans la mémoire que dans le marbre. Il s'exprimait en phrases courtes, ponctuées de longs silences, modelées de gestes vagues, paroles concrètes et imaginées, gracieuses paraboles d'une apparente naïveté.

" Mes fils, je vous ai donné tout ce qui rapproche de Dieu, tous les secrets, sauf le plus grand, celui qui plaît à Dieu et qui amène à Lui. C'est la générosité de donner sans cesse, non pas faire l'aumône, mais donner, donner toujours aux créatures de Dieu, pour Dieu...Aimez vos frères, aimez le guide que Dieu vous a envoyé, aimez les pauvres, aimez toutes les créatures de Dieu, aimez Dieu...Je vous ai fait voir mon chemin, je vous ai livré mon secret, mais s'il vous arrive de découvrir un être plus vrai que moi, je vous demande de ne pas aller à lui tout seuls, mais de me prévenir et de me donner la main, nous irons le voir ensemble...".

Un autre témoignage de Catherine Delorme, venue à l’occasion de « l’ihtifal » rencontrer le Cheikh:

"Le Cheikh Adda Ben Tounes se tenait devant la porte pour accueillir les pèlerins qui affluaient de toutes les régions du Maroc et de l’Algérie. Il semblait attendre mon arrivée et me reçut comme un membre de sa famille spirituelle, me témoignant même une estime particulière. Etonnée par ces marques de considérations, à la fois gênée et rassurée par cet accueil, j’étais aussi inquiète d’arriver ainsi en pleine fête parmi la multitude des foqaras"

"Lorsque je montais rejoindre les fûqaras dans la salle ou nous prenions nos repas...j'aperçus quelqu'un assis sur un tapis de prière rajustant son turban déroulé, je reconnus le Cheikh sans son son bûrnûs, il était délivré des exigences contraignantes du degret spirituel, comme un homme de peine ayant soulagé ses épaules d'une charge accablante. Il ne subsistait qu'une dépouille corporelle, exemple vivant du dénuement absolu, du parfait serviteur de Dieu...J'écoutais ce qu'il me disait, mais je ne l'entendais qu'à peine, le visage du Cheikh absorbait mon attention. Je découvrais dans son visage, comme dans un livre ouvert, un trésor de vertu, de sincérité, qui, par sa réserve pudique, imprégnait ses traits d'une douceur plus impressionnantes qu'une fière assurance.".

" Interrogez le Cheikh, très humble, très simple, comme c'est la vraie valeur authentique. Il vous répondra qu'il ne veut pas qu'on le divinise mais qu'il indique sa voie, il dit que ce n'est que la sienne et accepte que les autres aient la leur." J.G Brosset.

Epilogue

Ce témoignage irrécusable du service des liaisons Nord-Africaines prouve plus clairement que le Cheikh Adda s'était effectivement préoccupé des affaires temporelles et spirituelles de la confrérie, quand vers 1946, " trois militaires anglais prirent contact avec lui, en lui promettant une aide matérielle efficace, s'il prenait en considération la politique anglaise, le Cheikh refusa. Du reste , le mûqaddam de la confrérie Alawie de Cardiff, Abdûllah Ali al-Hakîmi, entièrement dévoué à la Grande Bretagne, suspecté d'avoir trempé dans le meurtre de l'Imam Yahiya du Yemen, ne jouissant plus de la confiance du Cheikh Adda, qui avait désigné pour le remplacer, al-Haj Hassan Ismail et Mohammed Ali 'Awdi al-Mûrâdi.".

Le Cheikh Adda exclura, sa vie durant tout fanatisme, tout engagement politique ou temporel. Par ses méthodes d'enseignement qui ouvrirent la voie à la liberté de discussion, par son irénisme foncier, il fit de la zâwiya de Mostaganem un forum ou les esprits, plus ouverts que dans les autres zâwiyas, étaient portés vers les progrès modernes.

Le Cheikh Adda ne fit dans la zâwiya que le gérant de la maison de Dieu, la porte en était ouverte à tous, rien ne lui avait vraiment appartenu. Il a marqué de son empreinte indélébile l'immédiat après guerre, par ses participations effectives à de nombreux courants spiritualistes mondiaux, par l'Association spirituelle d'étude islamique, par les flux massifs, réguliers et ininterrompus de pèlerins de toutes races, de toutes religions, de toutes tendances idéologiques, il contribua à hausser la zâwiya de Mostaganem au niveau de l'un des plus grands centres spirituels du monde, Mostaganem, devint, en tout cas, sous ses auspices, la 3éme cité musulmane fréquentée par les pèlerins. seuls la Mecque et Médine la surpassaient dans ce domaine.

Le Cheikh Adda incarna, de la façon la plus spontanée, l'irénisme vivant au milieu d'une communauté internationale qui sombra, en moins d'un quart de siècle, dans deux déflagrations mondiales qui menacèrent sérieusement l'espèce humaine. Conscient de la gravité d'un conflit mondial éventuel, il s'employa au risque de sa santé, à rapprocher les hommes. Cet Etre d'élite, serviteur de Dieu, s'était fait le serviteur de tous les hommes, il portait en lui le miroir magique de l'éternité et montrait généreusement à ses disciples, à ses visiteurs, à tous ceux qui le lui demandaient, l'angle sous lequel il fallait placer ce miroir magique pour leur apprendre à effacer la poussière des illusions et à se diriger vers la source de Lumière.



Auteur: Salah Khelifa, Alawisme et Madanisme, des origines immédiates aux années 50.

Thèse pour l'obtention du Doctorat d'état en études Arabes & Islamiques.

Université Jean Moulin Lyon III. Avec quelques rajouts de notre part.



Ses oeuvres

-Plusieurs zâwiyas en Algérie (Mostaghanem ; Alger, Rélizane, Oran,..), au Maroc (Tétouan, Tanger, Laraïche,Ceuta, Hûsayma,..), en Anglettere ( une dizaine de zaouias notamment celle de Cardiff).

-Constitution de l’association de Jeunesse Alawiya 1936.

-Publication de la revue «Lissan ad-Din» mensuel qui a paru de 1937 jusqu'à la veille de la deuxième guerre mondiale en 1939.

-Fondation d'une école de réhabilitation pour les jeunes délinquants (1938), qui comprennait 4 ateliers d'apprentissage: mécanique, menuiserie, imprimerie, boulangerie.

-Constitution de l'Association Alawie de prédication (al-Jam'iya al-Alawiya lil wa'dh wal tadhkîr) en avril 1939.

-Publication de la revue « al-Mûrchid » depuis 1946.

-Publication du livre « Dogme de l’Islam » en 1947 destiné au public européen et francophone avec l’aide du fâqir Sidi Abdallah Rédha IZARD.

-Constitution de l’association at-Tanwîr 1948.

-Constitution de l’association "Les Amis de l’Islam" en 1948.

-Publications de plusieurs livres sur l’Islam et le soufisme:

-" ar-Rawdha as-Saniyya " relatant la vie du Cheikh al-Alawi.

-" Tanbîh al-Qûrâ ".

-" Wiqâyat ad-Dhâkirîn ".

-" ad-Dûrra al-Bahiyya ".

-" Majâlis at-Tadhkîr ".

-" Fakkû al-'ûqâl ".

-Un recueil de poèmes.

Quelques Sagesses du Cheikh Adda Bentounès

La prière c'est le miroir inéffaçable où se mire le Dieu suprême. Chacun peut le voir selon la clarté de son propre coeur, ainsi, lorsque la lune apparaît à son premier jour de Ramadan ceux qui ont la vue claire, la distinguent nettement, tandis que les autres restent dans le doute. AH! la tristesse du doute; Celui qui n'a pas vu ne peut même pas dire qu'elle n'existe pas.

Chaque fleur a son parfum, et chacun a sa force d'odorer. Celui qui nie que la fleur exhale une odeur serait plus sage de reconnaître que c'est lui qui n'a pas d'odorat.

La prière c'est la porte de Dieu et nul ne peut avoir la clef s'il oublie Dieu dans sa prière. C'est aussi sa main haute que l'on ne peut même baiser si l'on ne se soumet avec tout son coeur à Sa Volonté : le Puissant, le Sage, le Miséricordieux.



Un article du Cheikh Adda Bentounès paru dans El Morchid n°22/Septembre 1948



Les Trois Piliers de la Religion

La religion musulmane se repose sur trois parties: l'Islam, l'Iman, l'Ihsane. Chacune d'elle a son sens en elle-même. L'Islam : c'est la soumission à Dieu de tout notre être, de tous nos sens, de tous nos organes: les mains, les pieds, les yeux, la langue, l'estomac et les organes sexuels. C'est la soumission de la vie intérieure de chacun de nous. L'Islam , c'est l'homme esclave de son Créateur, acceptant son esclavage. " Si les hommes y étaient entrés, ils n'en seraient jamais sortis, l'obéissance n'est dure que lorsqu'il s'agit du bien" Mais l'Islam est doux pour celui qui aime le bien, il n'apporte que joie et satisfaction, en se soumettant à Dieu on devient fort de la force de Dieu.

L' Islam comporte cinq obligations qui en sont les bases fondamentales. Elles se déterminent ainsi: Les deux attestations, la prière, la dîme, le jeûne et le pèlerinage à la Mecque.

L'Imane c'est le sentiment qui vient du cœur et réside en lui , c'est la Foi. C'est la certitude de la grandeur et de la puissance de Dieu. L'Imane : c'est la croyance en Dieu Seul , Unique et sans associé. Le cœur doit croire à Son existence, à Lui toutes les perfections. Il existe en nous et autour de nous. Il est en toute chose. Il est en tout être. Il est Vrai, Il est le créateur. Il n'est le père de personne. Et personne n'est son fils. Il entend . Il voit tout. Rien ne Lui est comparable. L'Imane: c'est la croyance aux anges, aux Livres révélés : depuis la Thora jusqu'au Coran en passant par les Psaumes et L'Evangile; aux Prophètes depuis Adam jusqu'à Mohammed ; au jugement dernier ; enfin à la Prédestination.

Lorsqu'on pratique bien L'Islam et L'Imane on reçoit le résultat de ce travail qui se révèle par L'Ihsane. Pour être plus explicite nous allons prendre en exemple une action primordiale dans la vie matérielle: " Le repas".

Ainsi on prépare un repas, on le mange, et le résultat c'est la force du sang. Certaines gens croient que puisque la force du sang est ce qui résulte du travail de préparation et de manger du repas, il est plus simple de boire directement le sang afin d'éviter tous les ennuis et les obligations qui s'imposent. Seuls les gens raisonnables savent bien que le sang lui-même n'est pas nourrissant, mais que c'est vraiment le repas qui l'est.

Ainsi font ceux qui vont à L'Ihsane sans pratiquer L'Islam et L'Imane. Ces gens sont tombés dans l'erreur parce qu'ils ont voulu être à la spiritualité de Jésus, le suivre en sa connaissance ésotérique sans pratiquer ni les enseignements de la Thora ou du Coran.

Sidna Issa ( que le salut soit sur lui) est le Prophète foncièrement spirituel qui eut l'Evangile-Spiritualité elle-même. C'est la raison pour laquelle dans ses enseignements aux apôtres, Jésus demande de suivre la Thora , parce qu'elle est la Loi de Dieu. Il ne demandait pas de suivre sa Loi, il n'en apportait pas, parce qu'il était tout l'esprit spirituel de la Loi Céleste.

Celui qui veut atteindre la Connaissance dans la voie de Jésus et qui ne suit pas la règle de la Thora ou du Coran est semblable à celui qui veut tout-à-coup nager dans la grande mer sans ceinture de sauvetage ou sans bateau à côté de lui. Nous n'avons pas besoin d'insister sur les dangers d'une telle expérience.

Si un instant il résiste, sa situation est très mauvaise par le fait que la mer est changeante, parfois très mauvaise, compromettant en plus l'expérience. Il est si naturel de suivre les voies normales de la vie d'apprentissage, d'apprendre à nager sur les bords peu profonds ou de ne s'aventurer que suivi d'une barque.

Jésus est un amiral dans l'océan spirituel, et malgré cela il se tient en haute mer sur son bateau. Il vit sans cesse par les plus hauts fonds. Il mange de la mer. Il dort de mer. Il parle de mer. Il boit de la mer. Il s'enivre de la mer. Il est amoureux de la mer.

Comme à un navigateur si vous lui demandiez ce qu'il est ; il vous répondrait : je suis la mer, parce qu'il ne peut jamais se passer de son parfum, de ses caresses. Même à terre le vrai marin se sent épris de la mer, il ne peut passer un instant sans la voir. Que de vieux loups de mer sont morts de nostalgie dans le pays breton, parce qu'ils ne naviguaient plus.

Jésus nageait dans les flots immenses de l'infini. Il est fou d'amour pour ces immensités, puis au fond ce n'est pas exactement cela, il n'est pas fou de Dieu, car il est lui-même l'amour de Dieu, il se grise de son propre amour, la mer se grise de son parfum, tout comme si vous prenez une algue marine, vous la sentez et vous dites: " elle a le parfum de la mer" ensuite la bise vous amène un parfum identique et vous dites " la mer a l'odeur de l'algue".

Jésus vivait, sentait, aimait, empreint d'elle jusqu'à être elle. Il était la mer Divine. C'est ainsi qu'on lui demandait: où vas-tu? je vais à Dieu répondait-il; d'où viens-tu? je viens de Dieu. De quoi te nourris-tu? je me nourris de Dieu, je bois de Dieu, je dors de Dieu, et, dans son ivresse spirituelle: Je suis Dieu.

Il est plein de mer, tout suinte la mer divine. C'est son état particulier et nul ne peut s'aventurer dans ces parages. C'est une chose de Dieu. Nous disons donc que celui qui veut nager dans la pleine connaissance, il lui faut aussi son bateau, sa ceinture de sauvetage, s'il ne veut pas couler. Le bateau de Jésus, c'était l'Evangile, mais le bateau de l'école nautique c'était la Thora.

Nier cela, c'est être dans l'erreur toute pure, hélas nous voyons beaucoup de personnes, bien instruites, bien élevées, enfin une élite qui malgré toute son instruction est prise par cette erreur. Elle tente de vivre en haute mer sans passer par le bateau école. Elle cherche les plus hauts degrés spirituels sans ceinture de sauvetage. Se croyant de grands nageurs ces gens se lancent dans l'océan infini, pour nous, nous craignons qu'un jour ils coulent à pic perdant pied en n'ayant aucun secours, aucun appui.

Voila pourquoi la religion musulmane se repose sur trois parties. Les deux premières de ces parties ; c'est le bord , le rivage ou bien le bateau école: Islam-Iman . La troisième c'est le savoir, le résultat, la navigation c'est être marin: L'Ihsane . La spiritualité c'est comme la lumière électrique, on ne peut la voir que dans l'ampoule, dans se qui reçoit la lumière. Nous savons très bien qu'elle est dans les fils. Qu'elle marche en eux, mais on ne la voit pas. Il n'y a que l'ampoule qui nous la révèle. Mais encore faut-il que cette ampoule ne soit pas grillée ni cassée, et il reste malgré tout à la placer sur le courant qui lui convient. On risque de la griller soi-même si on la place sur la force tandis qu'elle doit être branchée sur la lumière.

Voyez-vous en tout cela, il est plus simple et plus garanti de faire exécuter l'installation par l'électricien de métier. Malgré qu'il existe des livres où tous les métiers sont expliqués jusqu'aux plus petits faits, malgré que nous en soyons bien instruits nous ne pouvons prétendre réaliser un travail aussi parfait, aussi vrai que celui de l'ouvrier de métier, votre travail laissera toujours à désirer.

Certes nous pouvons arriver à faire l'installation, mais cela est très dangereux, très dangereux, nous sommes plus près de la catastrophe. Oui les livres peuvent donner toutes les explications, mais quant à la pratique c'est à l'ouvrier qu'il faut en référer. Même si on arrive à connaître le Livre par coeur, le réciter sans à coups, il manque la direction technique.

... Il n'y a pas de science sans Maître.


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