Dansquelques jours, on fêtera la mort de l'Emir. Lequel ? Pas celui tôlier desannées 90, mangeur d'enfants et de policiers, mais celui de l'histoire : l'EmirAbd El-Kader. Dans unemauvaise synchronisation entre son histoire et sa géographie, l'Algérie a eu unprésident légitime (l'Emir) avant d'avoir un pays, et possède, aujourd'hui, unpays qui n'arrive pas à produire un Président légitime. L'autre détail est quel'Emir n'est pas mort il y a 125 ans, mais des décennies avant. Auteur du pluspur geste d'ascétisme que l'on puisse imaginer, celui de renoncer à un Royaumepour une illumination, le bonhomme est mort une première fois le jour où il adéposé les armes et choisi de finir une histoire qui n'arrivait pas à commencer.Mort deux fois, le jour de son choix majeur et le jour de sa mort physique, ilsera donc enterré deux fois : d'abord, là où il voulait, puis, là où il s'yattendait le moins.Contrairementà ceux qui l'ont hérité donc, l'Emir a fabriqué la monnaie algérienne et ne l'apas volé. Il a aimé les livres au lieu de les surveiller. Il avait des chefsmilitaires sous la main et pas sur le dos. Il aimait les chevaux, pas les ânes.Ilavait été élu, pas désigné. Il avait été déçu et trahi, pas démis et renvoyé. Celaarrive souvent lorsqu'un homme naît avant son peuple. La balle reçue parBoudiaf dans le dos, l'Emir semble l'avoir reçu des années durant, par sestribus, la Franceet le reste. Rien n'a été aussi douloureux pour le chroniqueur, lors de sespériples de lecteur désordonné, que ces lettres et récits d'un Emir lâché detoute part, par ses tribus comme par son étoile, cerné par des générauxfrançais nobles massacreurs, trahi par les voisins et inquiété par ses proches.Des lettres qu'il échangeait presque avec lui-même, faute d'un interlocuteur àsa hauteur céleste. C'est même le moment le plus fascinant et le plusbouleversant dans l'histoire de cet homme, que ce jour où il pensa aux femmeset aux enfants de smala, pour signifier à ses adversaires qu'il était fatiguéen choisissant l'exil au Royaume. Cela laissa dans l'esprit de l'histoirenationale quelques réflexes et réflexions : l'Emir n'avait pas suffi autrefoiscomme le pétrole aujourd'hui, pour transformer la fatalité en destin. L'Algérieest un ensemble de tribus qui peuvent trahir ou s'unir. Il faut un Saint pour sauver l'Algérie, mais dès que le Saint réalise sasainteté, il songe d'abord à sa peau et à son âme. Les meilleurs et les plushonnêtes sont ceux qui renoncent et creusent la terre pour contempler lesracines des choses. Question opportune : qu'aurait fait aujourd'hui l'Emir s'ilétait encore vivant ? Il ne se serait pas présenté pour un 3ème mandat, nicontre la France. Ilaurait simplement accompli ce geste qui a accompli son humanité : comme en 1860à Damas, lors des émeutes anti-chrétiennes, il se serait rendu à Tiaret, pourassister au procès d'intention d'une jeune Algérienne, du nom de Habiba, selon les journaux, et qui a été jugée pourpossession de six bibles et pour conversion inexplicable dans un pays devenutrès prompt aux intolérances faute d'une industrie valable. Là, l'Emir n'auraitpas craint d'être traité de soldat de l'Occident, de laïc, de chrétien oud'athée.Ilaurait fait son devoir, en expliquant qu'il agissait « par devoir de religionet d'humanité », comme autrefois. Mort deux fois et enterré deux fois, ilaurait ajouté qu'il n'avait pas peur d'une nouvelle inhumation. Même sous terre,il y a des gens qui ne meurent jamais.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 22/05/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com