Le rituel du sacrifice du mouton lors de l’Aïd Al-Adha est une tradition profondément ancrée dans la foi musulmane, symbolisant à la fois la dévotion et la solidarité. En 2025, alors que le Maroc a suspendu ce rituel en raison d’une sécheresse dévastatrice affectant son cheptel, l’Algérie a pris une direction opposée en décidant d’importer un million de têtes ovines pour répondre à la demande intérieure. L’Espagne, déstabilisée par la fermeture du marché marocain, s’est rapidement positionnée comme un fournisseur potentiel. Mais cette ambition soulève une question cruciale : les deux pays disposent-ils des capacités réelles pour concrétiser une telle opération en seulement deux mois ? Cet article explore les défis logistiques, économiques et pratiques de cette entreprise.
Contexte et Enjeux
En Algérie, la demande annuelle pour l’Aïd Al-Adha est estimée à environ 3 millions de têtes ovines. La sécheresse persistante, combinée à la hausse des coûts des fourrages, a réduit le cheptel local et poussé les prix à des niveaux prohibitifs (parfois plus de 60 000 DA par tête en 2024). Face à cette crise, le président Abdelmadjid Tebboune a ordonné en mars 2025 l’importation d’un million de moutons, exonérés de taxes, pour stabiliser l’offre et rendre le rituel accessible aux 9 millions de foyers algériens. L’Espagne, traditionnellement exportatrice vers le Maroc (10 000 à 15 000 têtes annuelles), voit dans cette demande une opportunité de compenser ses pertes après la décision marocaine.
Cependant, organiser l’exportation et la réception d’un million de têtes en huit semaines – entre avril et juin 2025, date probable de l’Aïd – représente un défi logistique colossal pour les deux pays.
Capacités de Production et d’Exportation de l’Espagne
L’Espagne est un leader européen dans l’élevage ovin, avec un cheptel d’environ 15 millions de têtes (selon les données de 2023). Les régions comme l’Extremadure et la Castille-La Manche, où opère l’organisation Asaja Extremadura, concentrent une grande partie de cette production. En théorie, fournir un million de moutons représente moins de 7 % de ce cheptel, une quantité que le pays peut mobiliser sans compromettre sa propre consommation intérieure.
Production et Disponibilité
- Stock disponible : Les éleveurs espagnols préparent traditionnellement leurs troupeaux pour l’Aïd et le Ramadan, périodes de forte demande dans les pays musulmans. Avec la fermeture du marché marocain, une partie de ce stock (estimée à 300 000 têtes en 2024) reste disponible pour redirection.
- Engraissement : Les moutons destinés à l’exportation doivent être engraissés pour répondre aux préférences algériennes (poids moyen de 40-50 kg). En deux mois, cela est réalisable avec une alimentation intensive, bien que coûteuse en raison des prix élevés des céréales.
Logistique d’Exportation
- Transport maritime : L’Espagne dispose de ports bien équipés comme Algesiras et Valence, à seulement 12-15 heures de navigation des ports algériens (Oran, Alger). Un navire bétailler standard transporte entre 5 000 et 10 000 têtes, nécessitant ainsi 100 à 200 traversées en deux mois, soit 12 à 25 par semaine. Les infrastructures portuaires espagnoles peuvent supporter ce rythme, mais la disponibilité de navires spécialisés reste une contrainte.
- Santé animale : Les ovins doivent être vaccinés et certifiés conformes aux normes sanitaires algériennes (absence de fièvre aphteuse, par exemple). Cela exige une coordination rapide entre vétérinaires espagnols et autorités algériennes, un processus qui peut être ralenti par la bureaucratie.
Capacités de Réception et de Distribution en Algérie
L’Algérie, avec un cheptel local de 19 millions de têtes (selon des estimations récentes), dépend traditionnellement de sa production steppique. L’importation massive est une nouveauté, et ses infrastructures doivent s’adapter à ce défi.
Infrastructure Portuaire
- Ports d’entrée : Les ports d’Oran, Alger et Bejaïa sont les principaux points d’arrivée. Leur capacité cumulée peut absorber 10 000 à 20 000 têtes par jour, mais les quais et les zones de quarantaine ne sont pas tous adaptés aux volumes envisagés. Une rotation intensive des navires pourrait saturer ces installations sans une planification rigoureuse.
- Quarantaine : Chaque lot importé doit être mis en quarantaine pour éviter la propagation de maladies. Avec un million de têtes, cela nécessite des dizaines de milliers d’hectares temporairement mobilisés, une ressource rare dans un pays où les terres arables sont limitées.
Transport Intérieur
- Réseau routier : Une fois débarqués, les moutons doivent être acheminés vers les marchés urbains et ruraux. Avec une moyenne de 500 têtes par camion, 2 000 camions seraient nécessaires. Le réseau routier algérien, bien développé dans le nord, est moins fiable dans les zones steppiques, où les éleveurs traditionnels opèrent. Les embouteillages et l’état des routes secondaires pourraient compliquer cette étape.
- Main-d’œuvre : Charger, décharger et surveiller un million de moutons exige des milliers de travailleurs temporaires, une mobilisation qui pourrait être entravée par le manque de formation spécifique.
Distribution et Commercialisation
- Marchés locaux : L’Algérienne des Viandes Rouges (Alviar), chargée de l’opération, doit coordonner la vente à des prix plafonnés (45 000-50 000 DA). Avec 3 millions de têtes demandées au total, l’importation ne couvre qu’un tiers des besoins, laissant les éleveurs locaux en concurrence. Cela pourrait créer des tensions sur les prix et la disponibilité.
- Stockage temporaire : En attendant leur vente, les moutons nécessitent des enclos et de l’alimentation. Le déficit chronique en fourrage, exacerbé par la sécheresse, risque de rendre cette étape coûteuse et complexe.
Défis Communs et Coordination
Délais et Synchronisation
Un délai de deux mois impose une cadence soutenue : 500 000 têtes par mois, soit environ 17 000 par jour. Cela exige une synchronisation parfaite entre l’Espagne (production, embarquement) et l’Algérie (débarquement, distribution), un exploit rare dans des opérations de cette ampleur.
Coûts et Financement
- Côté espagnol : Le coût d’un mouton exporté (engraissement, transport, certification) est estimé à 100-150 euros. Pour un million de têtes, cela représente 100 à 150 millions d’euros, que l’Algérie devra financer malgré l’exonération fiscale.
- Côté algérien : Les frais de réception (quarantaine, transport intérieur, subventions) pourraient atteindre plusieurs milliards de dinars, une charge lourde dans un contexte économique dépendant des hydrocarbures.
Facteurs Externes
- Conditions météo : Les tempêtes en Méditerranée pourraient retarder les traversées.
- Concurrence : D’autres pays exportateurs (Roumanie, Australie avant 2028) pourraient compliquer l’approvisionnement si l’Espagne ne répond pas seule à la demande.
Conclusion : Une Opération Faisable mais Risquée
L’Espagne a la capacité théorique de fournir un million de têtes ovines en deux mois, grâce à son cheptel abondant et ses infrastructures portuaires. L’Algérie, malgré des limites logistiques, peut absorber cette importation avec une mobilisation exceptionnelle de ses ressources. Cependant, le succès dépendra d’une coordination sans faille, d’investissements massifs et d’une anticipation des goulets d’étranglement (ports, quarantaine, distribution). Si cette opération réussit, elle renforcera les liens économiques algéro-espagnols et offrira une bouffée d’oxygène aux éleveurs ibériques. Mais un échec logistique pourrait compromettre l’accès des Algériens au rituel de l’Aïd, transformant une ambition louable en crise économique et sociale. Dans ce scénario inédit, le temps et la planification seront les véritables juges.
Posté par : frankfurter
Ecrit par : Hichem BEKHTI