Algérie

Bouira-Le fleuve détourné



Une transposition scénique de haute facture Le succès de cette pièce, qui a duré près d?une heure et demie, a été tel que non seulement elle a été applaudie vivement de bout en bout, mais que la fin a failli être gâchée par un incident : des jeunes en délire voulaient parler à leurs idoles et leur demander des autographes. Il a fallu créer un cordon de sécurité autour de Lotfi Double Kanon, dans le rôle d?Idir, et Mourad Khan dans celui d?un ancien maquisard, victime d?une longue amnésie et qui recouvre par miracle la mémoire, pour leur faire quitter la salle. Le décor lui-même est une énigme, pour ne pas dire un casse-tête, proposé à l?entendement du spectateur : si celui-ci a deviné que cet élément du décor long de près de 3 m est une stèle, qu?en est-il des deux autres que des acteurs déplacent pendant le jeu et auxquels d?autres grimpent parfois comme à de vulgaires arbres ? L?un a l?air d?un fusil armé d?une baïonnette, mais le 3e ne ressemble à rien. Enfin, le spectateur se débrouillera comme il voudra avec cette forêt de symboles ; « qui l?observe avec des regards familiers » (Baudelaire). Le rideau se lève enfin et un homme aux yeux hagards fait son entrée sur scène. Dans son village où il revient vivre après 25 ans d?absence, tout le monde le croit mort. Son nom n?est-il pas gravé sur le monument élevé aux martyrs ? Il lui faudra lutter encore longtemps pour imposer sa présence parmi les siens. Renié par son cousin, maire du village, par son oncle et tous ceux qui l?ont connu par le passé, accusé d?être un traître, un espion et d?imposteur, il n?a d?autre soutien que l?autre grand maquisard, Ali. Mais que peut ce dernier ? Taxé de fou, il erre à travers les rues, une mandole sur le dos. Un instrument dont il ne se sépare jamais et à qui il confie de temps en temps sa peine quand le besoin se fait sentir. La mandole a remplacé ainsi le fusil, et c?est aussi bien. Alors, que vaut le témoignage d?un fou ? Son témoignage est nul et est récusé d?office. Cependant, c?est Ali qui n?a jamais été aussi sain d?esprit qu?en ces moments difficiles qui aide le « revenant » à retrouver son fils Idir, après des péripéties. Un fils qui mettra longtemps à reconnaître en lui le père qu?il n?a pas connu réellement. Et quand il finit par admettre le fait, les reproches fusent : il les a abandonnés face à la misère et au terrorisme. La mère est morte déshonorée par un groupe de terroristes avant d?être tuée, et lui n?a échappé à leurs griffes que par miracle. C?est encore Ali qui intervient pour réconcilier le père avec le fils. Des moments poignants comme celui-là sont nombreux dans la pièce. Celui où l?on voit par exemple une jeune femme invoquer à la lueur des bougies les saints pour l?aider à retrouver sa petite fille enlevée est d?une intensité émotive insoutenable. « J?ai pleuré », nous confie simplement un confrère à la fin de ce spectacle où l?émotion atteint son paroxysme. Satire dirigée contre la société assez oublieuse à l?égard des grands hommes qui n?ont pas hésité à donner leur vie pour libérer le pays du joug colonial ? Condamnation sans équivoque du fanatisme et du terrorisme qui ont plongé le pays dans l?horreur et la barbarie ? Assurément. Mais la pièce est tellement chargée de sens et de symboles qu?il est impossible de les décrypter tous à la fois. Il faudrait plusieurs thèses. Quoi qu?il en soit, Hamida Aït El Hadj a montré par l?ampleur de son génie qu?en matière d?adaptation et de mise en scène, elle est l?égale de l?auteur du Fleuve détourné qu?elle vient de transposer sur scène.



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