Algérie - Revue de Presse

Bonne gouvernance, responsabilité sociale et comptabilité des entreprises (2e partie et fin)


D?évidence, la BGE et la RSE ont besoin d?être légitimées pour entraîner l?adhésion. La légitimité peut être assise sur le principe de propriété publique ou privée, mais alors cela revient à adopter le seul point de vue du capital dont l?intérêt ne va pas au-delà des profits, à court terme généralement, puisque l?Etat algérien aussi réclame seulement des bénéfices depuis l?adoption du contrat de management intégré dans le code civil depuis 1989. Il nous semble que le projet de nouveau plan comptable est soutenu par de purs arguments capitalistes, exclusivement. Parmi les entreprises qui ont adopté une politique de RSE sur la base de la Déclaration universelle des droits de l?homme, certaines ont dû faire face à des dilemmes douloureux. Citons pour exemple cette question posée aux associés de Novo Nordisk : quelle priorité entre les droits, celui de la propriété intellectuelle ou celui à la vie et la santé de malades qui n?ont pas le moyen de payer le prix fixe ?(11) Mais pour la majorité des multinationales et des entreprises qui ont adopté une démarche responsable, ce fut après un scandale, un procès ou une catastrophe qui leur ont coûté des centaines de millions de dollars. Souvent, le législateur est contraint d?intervenir pour imposer certains contrôles ou modifier les règles d?un contrôle déjà existant, comme aux USA celui des commissaires aux comptes dont le métier a été bouleversé après le scandale Enron qu?ils ont indirectement caché. Cette légitimité de propriétaire est normale, mais son exclusivité est donc discutable, non seulement en ce qui concerne les EPE qui, comme leur nom l?indique, sont la propriété de la nation, mais pour toutes les entreprises opérant sur le territoire national aussi pour celles qui exportent ou ont des intérêts à l?étranger, ou encore qui veulent gagner des marchés à l?extérieur ou attirer des investisseurs ou des partenaires. Une éthique transparente pour nos entreprises Il ne peut alors s?agir que d?une légitimité consacrée par le politique et liée à un projet social lisible par la société en général et par toutes les parties prenantes des entreprises, y compris les propriétaires nationaux ou étrangers. Il y a deux possibilités qui ne sont d?ailleurs pas exclusives l?une de l?autre. Nous avions pu développer, déjà en avril 1991, comment une entreprise économique islamique pourrait faire la différence sur le marché(12). Il s?agissait de se distinguer à la fois de la définition de l?entreprise capitaliste de profit financier à court terme et de celle de l?investissement éthique promu par l?église méthodiste américaine, qui, sans chercher le profit, dressait une liste d?interdits d?investissement dans les actions du péché (sin stock) comme l?alcool, le tabac... Nous préconisions une démarche sélective offensive, car outre éviter l?interdit, il s?agissait surtout de prendre des responsabilités vis-à-vis tant de la communauté proche et lointaine au moment où les banques islamiques se développaient que de la création (environnement, eau, air, énergie, faune et flore). Cette légitimité n?exclut pas de soutenir la comparaison avec ce qui se fait actuellement à l?étranger ; de nombreux projets existent en ce sens, notamment celui qui vise à conquérir la société locale puis le monde islamique qui dispose de plus de 300 institutions financières qui gèrent 350 milliards de dollars environ et enfin le reste du monde. La seconde possibilité est de fonder cette légitimité sur le droit international. L?Algérie a ratifié un nombre considérable de conventions internationales portant tant sur la protection des droits de l?homme, aussi en tant que travailleur, que sur la protection de l?environnement. Dans cette optique, chaque entreprise aura à définir son « identité » particulière et un esprit qui lui serait propre par une stratégie proactive. Les adversaires de cette démarche ont soutenu que les dépenses induites ne rapportaient pas. La littérature anglo-saxonne met en avant trois dimensions renforçant le lien entre un engagement social durable et le profit :  la RSE peut créer un effet positif de différenciation des produits de l?entreprise dont elle peut tirer avantage sur son marché ;  c?est une forme de prévention des risques environnementaux ou sociaux qui peuvent gravement porter atteinte à la réputation d?une marque et à ses bénéfices ;  c?est un facteur positif pour attirer et conserver une main-d??uvre sensible à la dimension éthique et davantage prête à s?investir dans une entreprise dont elle partage les engagements socialement responsables. Dans un article publié par El Watan, nous avions avancé neuf avantages financiers, outre celui d?avoir la conscience du travail bien fait et du salaire mérité. La littérature scandinave engagée plus tôt dans l?environnement et le social ajoute de nombreux autres avantages (attrait de capitaux comme ceux des fonds d?investissement éthique entre autres). En tout état de cause, la réussite des entreprises engagées apporte la démonstration de l?efficacité économique de la RSE. Huit transnationales ont pris dernièrement une initiative mondiale volontariste en matière sociale, parmi lesquelles deux avec lesquelles nous avions travaillé. La Commission des droits de l?homme des Nations unies est actuellement saisie d?un projet de normalisation qu?elle doit finaliser au printemps 2005. Or parmi les effets les plus importants de la définition d?un esprit propre, l?entreprise doit le faire savoir, le comptabiliser périodiquement et le rapporter publiquement. Actuellement, les experts algériens ne pensent qu?au bilan comptable version IAS. Or ce sont trois bilans qu?il faudra à l?entreprise « algérienne », « engagée », « citoyenne » ou « patriote » communiquer. Et parce qu?elle doit être « unique », son identification a besoin de plus que d?être seulement « algérienne », « engagée », « citoyenne » ou « patriote ». Ces qualificatifs sont très répandus. Toute entreprise peut les garder tous, avec ou sans mérite, mais une entreprise ne fera la différence que l?orsqu?elle révélera son « esprit propre », en s?imposant par une politique qui n?appartient qu?à elle seule, avec protection de droit intellectuel s?il le faut. Les produits que nous consommons aujourd?hui portent toujours la mention « made in... ». Mais c?est devenu sans importance ni signification, sauf pour boycotter un pays, devant le nom de l?entreprise socialement responsable. A ce titre, les experts-comptables et commissaires aux comptes algériens, qui sont peu nombreux par rapport au marché en expansion qui est le leur, ont du pain sur la planche s?ils ne veulent pas seulement s?en tenir « à ce qui est obligatoire »(13). Jusqu?à ce jour leur majorité a adopté une démarche de bureaucrate ; ils doivent innover et proposer comment faire un bilan « environnemental » et un bilan « social » ou sociétal de l?entreprise qu?ils surveillent pour le compte de la seule administration fiscale. D?autres administrations ont aussi des choses à dire et à exiger des entreprises. Mais les investisseurs, les créanciers, la population de consommateurs, les citoyens ont aussi des exigences qu?il faudra devancer et servir. Certes, le comptable et le commissaire aux comptes doivent mettre en ?uvre les diligences édictées par le Code de commerce et par le ministère des Finances(14). Mais ils doivent aussi lire les autres textes. Selon la loi n°93-03 du 5 février 1983, le facteur protection de l?environnement est une exigence fondamentale de la politique nationale de développement économique et social, lequel implique l?équilibre nécessaire entre les impératifs de la croissance économique et ceux de la protection de l?environnement et de la préservation du cadre de vie de la population (articles 2 et 3). Son article 3 ajoute que toute personne physique ou morale qui produit ou détient des déchets, dans les conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l?air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d?une façon générale, à porter atteinte à la santé de l?homme et à l?environnement, est tenue d?en assurer ou d?en faire assurer l?élimination dans des conditions propres à éviter lesdits effets(15). C?est tout un programme ! Les entreprises qui produisent, importent, transportent ou éliminent des déchets (qui devaient être définis par décret) pouvant soit en l?état, soit lors de leur élimination causer des nuisances telles que celles qui sont mentionnées à l?article 90 de la loi sont tenues « de fournir au ministre chargé de l?environnement toutes les informations concernant l?origine, la nature, les caractéristiques, les quantités, la destination et les modalités d?élimination des déchets qu?elles produisent, remettant à un tiers ou prennent en charge » (article 97). Est-ce que le commissaire aux comptes n?est pas tenu de vérifier que l?entreprise respecte la législation ? Et d?en faire rapport aux associés ? Dans leur appréciation des crédits d?investissement, les banques doivent porter attention à « l?étude d?impact (...) (qui) vise à faire connaître et évaluer les incidences directes et/ou indirectes des projets sur l?équilibre écologique ainsi que sur le cadre et la qualité de la vie de la population » (article 130). Dans le financement du fonctionnement, elles doivent aussi intégrer dans le calcul des risques celui écologique et social. Les commissaires aux comptes des banques devront voir cela de plus près. Citons également l?article 2 du règlement n°02 du 20 janvier 2000 relatif à l?information à publier par les sociétés dont les valeurs sont cotées en Bourse (16) qui impose à ces sociétés d?informer le public, immédiatement, de tout fait important susceptible, s?il était connu, d?exercer une influence significative sur le cours des titres émis. Un fait social ou écologique peut conduire dans des conditions de marché à la faillite. Ils doivent aller au-delà des missions comptables de révision et certification des comptes classiques et faire des diligences extra-comptables, en proposant de le faire sur mandat des associés en assemblée générale, de produire des rapports sur les comptes sociaux, environnementaux à définir par, par exemple, la promotion des énergies renouvelables, de révéler tout fait délictueux (y compris la corruption) tant au procureur de la République qu?au fisc, de certifier, après contrôle, les comptes de l?entreprise. Il doivent vérifier si les conventions internationales ratifiées par l?Algérie en matière de droits de l?homme sont respectées, car leur violation porte atteinte aux intérêts à moyen et long termes de l?entreprise. Des fonds d?investissement de plus en plus nombreux vérifient aujourd?hui si dans le pays où ils voudraient investir, le droit de former librement un syndicat est respecté. Les commissaires aux comptes doivent également aider l?entreprise, sur mandat des associés, à signaler ce qui est profitable à sa pérennité, à sa durabilité dans le cadre du développement durable, lequel développement est réalisé, selon l?article 6 de la loi n°04-09 du 14 août 2004 dont l?article 2 favorise le recours aux sources d?énergie non polluantes, à travers un « programme national » et un « bilan annuel » (article 7) de l?usage des énergies renouvelables et des instruments de leur promotion. C?est principalement les entreprises qui alimenteront le bilan national par des informations de terrain. Mais tout dépendra, en ce qui concerne l?aspect législatif, de la volonté et du projet du législateur. Peut-on rêver qu?il introduira dans le nouveau plan comptable les exigences des valeurs auxquelles la société algérienne tient, ainsi que celles du développement durable ? La poule pondeuse est donc pas seulement un chiffre à inscrire ; c?est une créature dont l?homme profite certes, mais dont il est responsable devant Dieu au point de trouver d?autres techniques empêchant de la déformer en l?encassant dans un espace le plus « économiquement rentable (17) ». Le comptable trouvera comment comptabiliser le « plus » de vertu d?une entreprise qui a une âme, un nom qui n?évoque qu?elle seule et pas une autre de par le monde, un nom auquel s?identifieront volontiers les propriétaires, les travailleurs et toutes les relations ; le financier saura valoriser la qualité du produit et du procédé de sa fabrication éthique tout comme le chargé du marketing, qui trouvera meilleure inspiration pour la promotion ; les syndicats auront des projets sociaux à développer lorsque l?éthique sociale les concerne et les engage à améliorer la rentabilité, les investisseurs auront une autre cause qui s?ajoute à leur intérêt légitime de faire des profits à long terme, les ONG de défense des droits de l?homme et celles de la protection des animaux feront de la publicité et attireront de nouveaux investisseurs engagés, le consommateur exigeant ne sera pas contre un ?uf écologique ou une pâtisserie faite avec un ?uf ayant un esprit derrière, il la paiera même plus cher, l?Etat encaissera plus d?impôts et, s?il veut quand même privatiser, vendra plus cher pour réinvestir dans l?entreprise qui a une âme algérienne et un esprit qui l?identifie parmi d?autres, les actionnaires gagneront plus de dividendes. Le chef d?entreprise pourra se regarder dans la glace avec satisfaction et méritera sûrement un triple salaire.  [1]


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