Algérie - Savants

Biographie de Chems Ed-Din El Khatib



MOHAMMED BEN AHMED BEN MOHAMMED BEN MOHAMMED BEN MERZOUQ EL-KHATIB (1)
Il portait le surnom de Chems-ed-Din, mais on le désignait plus communément sous ceux d'El-Djedd (l'Aïeul) et d'El-Khatib (le Prédicateur).
C'est le commentateur du Chafa et de l'Omda, livres qui trai¬tent des traditions. Ibn Ferhoun, qui le cite dans son Dibadj (2), en fait un grand éloge et donne la liste de ses professeurs. Qu'il nous soit permis d'ajouter ici les renseignements biographiques qu'lbn Ferhoun a-omis dans la notice qu'il lui a consacrée. Nous disons donc.
« Voici en quels termes s'exprime Ibn Khaldoun en parlant de notre personnage: « C'est notre ami, le Prédicateur Abou Abdallah le Tlemcénien. Ses ancêtres étaient gardiens du tombeau du cheikh sidi- Abou Médien, à El-Eubbed, et se transmettaient de père en fils cette dignité depuis l'un de leurs ancêtres qui avait servi le cheikh pendant sa vie (3). L'un de ses aïeux, le cinquième ou le sixième de ses ascendants, du nom d'Abou Bekr ben Merzouq, s'était distingué entre tous par sa sainteté.
« Mohammed, qui fait l'objet de cette notice, fut élevé à Tlemcen où il était né vers la fin de l'année 710 (inc. 31 mai 1310). Étant parti avec sou père pour l'Orient, en 728 (inc. 17 novembre 1327), il s'arrêta en route dans la ville de Bougie où il suivit les leçons du cheikh Nacir-ed-Din. Son père resta dans l'Orient où il habita .alternativement les deux villes sacrées. Quant à lui, il retourna au Caire, où il demeura quelque temps et se mit sous la direction de Borhan-ed-Din Es-Sefaqsy (de Sfax) El-Aqfahsy et de son frère, en sorte qu'il se rendit très habile dans le droit et dans les traditions et qu'il excellait dans les deux sortes d'écriture (la maghrébine et l'orientale).
« Eu 733 (inc. 22 septembre 1332), il revint eu Occident où il trouva Tlemcen assiégée par le sultan Abou'I-Hacèn. Ce prince avait bâti à El-Eubbed une magnifique mosquée, où Mohammed ben Merzouq, oncle paternel d'Abou Abdallah, remplissait les fonctions de prédicateur, d'après l'usage de sa famille. Après la mort de celui-ci, le sultan investit de ces mêmes fonctions, et dans la nouvelle mosquée, Abou Abdallah à la place de son oncle. Il aimait à l'entendre, quand il montait en chaire, car le prédica¬teur ne manquait pas, dans ses discours, de louer hautement le sultan, de lui adresser de pompeux éloges, si bien qu'il y gagna la faveur d'Abou'l-Hacèn, lequel finit par l'admettre dans sa familiarité. Cela ne l'empêcha pas de suivre les leçons des deux fils de l'Imam, de fréquenter les hommes de mérite et les personnages considérables de la ville pour s'instruire auprès d'eux. Abou Abdallah ben Merzouq se trouva avec le sultan'à la bataille de Tarifa(741=1340). Il fut envoyé en ambassade auprès du roi de Castille (Don Alphonse XI), pour obtenir la paix et délivrer le fils du sultan (le prince Abou Omar Tachefin), qui avait été fait prisonnier le jour de la bataille de Tarifa. Après le désastre de Kai¬rouan (749 =1348), il se sauva en compagnie des capitaines des troupes chrétiennes et partit avec eux pour l'Occident. Puis il se rendit à Fez, auprès du prince Abou Inan, avec la mère de celui-ci, qui était la femme favorite du sultan Abou'l-Hacén. De là, il retourna à Tlemcen et s'installa à El-Eubbed. A cette époque, Tlemcen avait pour rois Abou Said Othman et son frère Abou Thabit, tous deux fils d'Abderrahrnan. Abou'1-Hacên se trouvait alors à Alger, où il avait réuni ses forces et ses partisans.
« Abou Said envoya secrètement Ibn Merzouq auprès d'Abou'l-Hacén afin de négocier un traité de paix. Abou l'habit, ayant eu connaissance de cette démarche, désapprouva son frère, et il envoya à la poursuite de l'ambassadeur quelqu'un qui l'arrêta en route. Puis on lui fit passer la mer et on le déporta en Espagne. Ibn Merzouq se rendit à Grenade auprès du sultan Abou'l¬ Hadjjadj (4) qui régnait dans ce pays. Ce prince l'admit dans sa familiarité et le nomma prédicateur de la mosquée de l'Alham bra. Il remplit ses fonctions jusqu'à l'année 751 (inc.6 février 1353), époque où il fut invité par Abou Inan à se rendre à sa cour. Ce prince, qui venait alors de perdre son père, s'était rendu maitre de Tlemcen et de toutes les dépendances de ce royaume.
« Arrivé à la cour du nouveau souverain, Ibn Merzouq fut accueilli avec tous les égards dus à son mérite et admis au nombre des familiers et des conseillers du sultan les plus considérés et les plus influents.
« En 758 (inc. 25 décembre 1356), lorsque Tunis tomba au pouvoir d'Abou Inan, celui-ci l'envoya dans cette ville pour deman¬der en son nom la main de la fille du sultan Abou Yahia (5). Malheureusement, cette princesse, qui ne voulait pas entendre parler de ce mariage, parvint à se cacher dans la ville, et l'am¬bassadeur fut accusé devant le sultan Abou Inan d'avoir eu connaissance de l'endroit où la fille du roi s'était réfugiée. Le sultan, irrité, fit jeter en prison Ibn Merzouq, qui ne fut relâché que peu de temps avant la mort de son maitre. Lorsqu'Abou Salim, successeur d'Abou Inan (6), se trouva investi du souve¬rain pouvoir, il mit entre les mains d'Ibn Merzouq les rênes de l'empire. Le monde courut alors en foule après lui pour avoir sa protection ; les grands du royaume encombrèrent sa porte, et tous les visages se tournèrent vers lui (7). Quand Omar ben Abdallah (fils du vizir Abdallah ben Ali) leva l'étendard de la révolte contre le sultan, à la fin de l'année 762 (inc. 11 nov. 1360) (8), il mit au cachot Ibn Merzouq, puis il le relâcha ; plusieurs grands personnages de la cour avaient même formé le dessein de lui ôter la vie, mais le sultan s'y opposa et le délivra de leurs mains.
« Ibn Merzouq se sauva à Tunis en 766 (inc. 28 sept. 1361) (9) et se rendit à la cour du sultan Abou Ishaq (10) et auprès du chancelier de l'empire, Abou Mohammed ben Tafraguine (11), qui l'accueillirent avec la plus grande distinction et le chargèrent de la prédication dans la mosquée dite des Almohades, fonctions dont il s'acquitta jusqu'à la mort (subite) du sultan Abou Ishaq, l'an 770 (inc. 16 aoùt 1368), et à l'élévation sur le trône de son fils (Abou'l-Baqa) Khalid. Lorsque le sultan Abou'l-Abbès (12) eut fait périr Khalid et qu'il se fut emparé du pouvoir suprême, le sultan, dis-je, qui était en froid avec Ibn Merzouq à cause de la prédilection que celui-ci avait pour son cousin germain, seigneur de Bougie, dépouilla le prédicateur de ses fonctions. De dépit, Ibn Merzouq résolut de se rendre en Orient. Le sultan l'ayant autorisé à partir, il s'embarqua et mit pied à terre à Alexandrie. De là, il se dirigea vers le Caire, où il se mit en rapport avec les savants de la ville et les princes du royaume, en sorte qu'il retira lés plus grands avantages de ces relations avec tous ces person nages. Ceux-ci, en effet, le recommandèrent au sultan El•Achref (13), qui lui assigna des fonctions dans l'enseignement des sciences. II ne cessa de remplir ces fonctions, jouissant d'un rang très élevé, renommé pour son mérite, se montrant très apte à rendre les décisions selon le rite malékite, jusqu'à sa mort qui arriva en l’année 781 (inc. 19 avril 1379). »
Tels sont, résumés, les renseignements biographiques fournis par Ibn Khaldoun.
Ibn El-KhatibEs Selmany, dans son ouvrage intitulé : El-Ihata, dit en parlant de Mohammed ben Merzouq : « C'était une des curiosités de son siècle sous le rapport de l'intelligence, de la distinction et de la bienveillance ; il était d'un accès 'très facile et obligeant, d'un naturel très gai, très affectueux, propre dans tout son extérieur, très doux, d'une conduite excellente, doué d'une physionomie ouverte, d'un langage doux, d'une conversation agréable, aimant à assister ses compagnons. Ayant de l'en¬tregent, capable de se conduire dans la société des rois et des nobles, il savait allier la plaisanterie avec le sérieux, la vie d'apparat et de luxe avec la piété, la gravité avec la jovialité ; il était plein d'affection pour ses amis, très dévoué pour ses frères, familier avec ceux qu'il fréquentait ; il comptait un grand nom¬bre de partisans; sa maison était bondée d'étudiants; il se ren¬dait, sans se faire prier, aux invitations qu'on lui adressait ; il avait une écriture admirable et superbe ; sa manière de lire était douce et agréable. Il était d'une vaste érudition, possédant les principes fondamentaux et secondaires des diverses sciences, et Très habile dans l'explication du Coran. Il passait son temps à écrire en prose et en vers, à prendre des notes et à composer des livres, habitude qu'il conserva toujours. Bon prédicateur, c'était sans crainte ni embarras qu'il montait en chaire.
« S'étant mis en route pour l'Orient sous l'égide de son père, il accomplit avec lui le devoir du pèlerinage et séjourna quelque temps à l'ombre des lieux "saints, ce qui lui procura l'occasion de faire la connaissance de plusieurs grands personnages; puis il se sépara de son père, en laissant, dans l'Orient une haute idée de son mérite.
« De retour dans le Maghrib, il se rendit à la cour du sultan Abou'l Hacèn qui l'accueillit avec bienveillance, le fit confident de ses secrets, le nomma imam de sa mosquée, prédicateur de la cour et le chargea de missions dans les pays étrangers.
« Cependant, vers le milieu de l'année 752 (inc. 26 février 1351 il émigra en Espagne, où le sultan de ce pays l'investit des fonctions de prédicateur dans la grande mosquée de la Cour et lui confia une chaire d'enseignement dans un établissement d'instruction publique. Mais, ayant des visées plus élevées dans la carrière de l'enseignement, il profita de la première occasion qui se présenta pour quitter le pays. Il partit entouré d'honneurs et envié dans son sort, en Châban de l'année 751 (septem¬bre 1353). Il se rendit auprès du sultan Abou Inan, qui l'installa dans le lieu de sa grandeur et sur le tapis de sa puissance, en sorte qu'il partagea les honneurs de l'empire et rendit; par son intercession auprès du prince, d'éminents services à ses semblables. »
Tels' sont, résumés, les renseignements fournis par lbn El-Khatib Es Selmany.
Voici maintenant ce que raconte le hafidh Ibn Hadjar à propos de Mohamed ben Merzouq :
« Quand il arriva à Tunis, dit cet écrivain, Ibn Merzouq fut reçu avec les plus grands honneurs. On le chargea de la prédication dans la mosquée du sultan et de l'enseignement dans la plupart des collèges de cette cité. Puis il quitta cette ville et se rendit au Caire. Le sultan El-Achref l'accueillit avec distinction, et le nomma professeur à la Cheikhouniya, à la Dar'ataimchiya (14) et à la Nedjmiya (15), trois établissements d'instruction très renommés.
« Ibn Merzouq était remarquable par la beauté de son corps et par l'excellence de son mérite. Sa mort arriva dans le courant du mois de Rabi' Premier de l'année 781• ("juin-juillet 1379). »
Les renseignements suivants sont empruntés à Ibn El-Khatib le Constantinois (16) : « Ibn Merzouq, écrit cet auteur, le juris¬consulte illustre, le prédicateur qui a été notre maître, est mort au Caire, où il a été enseveli entre les deux docteurs Ibn EI¬Qacim et Achheb. Il avait une méthode claire pour enseigner les hadiths. Il rencontra dans ses voyages d'illustres savants. Je lui ai entendu expliquer dans diverses conférences El-Bokhary et d'autres ouvrages. Son auditoire était composé de personnes élégantes et distinguées. On lui doit un grand commentaire sur le Omda fi forou' ech-Chafi'ya (Le soutien de la jurisprudence chafi'ite), ouvrage qui traite des traditions. »
Ahmed Baba dit : « Voici ce que j'ai lu dans un papier écrit de la main du savant cheikh Abou Abdallah Mohammed ben El¬Abbès, le Tlemcénien :
« J'ai copié ce qui suit dans une lettre adressée par un certain personnage, à l'imam, le chef des savants, EI-Hafidh Ibn Merzouq : « Je vous informe, dit ce personnage, que j'ai trouvé une lettre écrite par votre grand-père El-khatib Ibn Merzouq, au vizir Omar ben Abdallah, à l'époque où celui ci le fit arrêter par le cheikh Abou Yacoub. Dans cette lettre, votre grand-père dit ceci : « Louange à Dieu en toute circonstance ! La tradition suivante a été rapportée par Et-Tabarany (17) dans son ouvrage intitulé El-Monsek (Rituel du pèlerinage) (18) et par Abou Hafs El-Melaïy dans sa Vie du Prophôte (19), et cela sur l'autorité d'Abdallah ben Omar ben E1-Khattab (20) et d'Abdallah ben Amr ben El -'As (21), qui ont dit : L'Apôtre de Dieu se trouvait sur la colline qui domine la Mecque, où personne n'avait été encore enseveli, quand il s'écria : Dieu fera sortir d'ici soixante-dix mille personnes qui entreront au Paradis sans compte, et chacune d'elles intercédera en faveur de soixante-dix mille autres qui entreront également en Paradis sans compte ni châtiment. Leurs visages seront resplendissants comme la pleine lune quand elle brille dans la nuit. Abou Bekr lui dit : Qui seront ces hommes fortunés ? — Ce seront, répondit l'Apôtre de Dieu, des gens étrangers à mon peuple et tous ceux qui seront ensevelis ici. » Or, ajoute Ibn Merzouq, c'est dans cet endroit même que feu mon père a reçu la sépulture, et cela sept jours seulement après avoir entendu citer celte tradition. Pensez-vous qu'il ne voudra pas intercéder en faveur de ceux qui auront relevé les affaires de son fils? Cette intercession est inestimable, car on ne peut l'obtenir au prix des biens de la terre. Pensez-vous qu'il ne me sera pas tenu compte de ce fait, qu'il serait impossible de trouver, à partir d'Alexandrie jusqu'en Berbérie et en Espagne, quelqu'un qui, comme moi, pourrait rapporter les traditions authentiques pour en avoir entendu l'explication, et cela de la bouche d'environ deux cent cinquante professeurs différents ? Non, je ne connais personne qui puisse se flatter de jouir de cet avantage. Mais Dieu m'a privé de sa grâce. J'ai renoncé à la vie religieuse et préféré les plaisirs du monde; j'ai suivi mes passions et me suis perdu. Grand Dieu, je souhaite que vous me pardonniez ! Est-ce donc qu'il ne me sera pas tenu compte des douze ans que j'ai passés à l'ombre des temples sacrés des villes saintes ; de la lecture du Coran que j'ai achevée dans l'enceinte de la Caaba, des nuits que j'ai passées en prières dans le sanctuaire du Prophète, des leçons que j'ai faites à La Mecque ? J'ignore s'il y a quelqu'un au monde qui puisse en dire autant. Est-ce qu'il ne me sera pas tenu compte des vingt-six ans que j'ai fait la prière à La Mecque, de mon séjour• au milieu de vous, de mon amour pour mon pays et des services que je vous ai rendus? Qui est celui des hommes qui vous a jamais servi en se conduisant de cette manière? Je demande pardon à Dieu; oui, je demande pardon à Dieu pour mes péchés qui sont très grands ; Dieu est très miséricordieux. Salut. »
« Ce langage est une preuve non équivoque du mérite de ce personnage, de sa haute piété et du rang éminent qu'il a occupé dans les affaires de ce monde.
« Dans l'une de ses notes, le savant qui est l'objet de cette notice, ajoute Ahmed Baba, nous fournit les renseignements suivants : Parmi les professeurs de mon père, dit-il, il faut compter le docteur El-Morchidy (22), qu'il rencontra dans notre voyage en Orient. A l'époque où il me présenta à ce savant, j'avais atteint ma dix-neuvième année. Nous descendîmes chez lui et la prière solennelle du vendredi tomba pendant notre séjour auprès de lui. Il avait l'habitude de se passer d'imam pour sa mosquée Ce jour-là, il y avait autour de lui des hommes notables et des jurisconsultes, tels qu'il serait impossible d'en trouver de pareils dans une autre assemblée. Le moment de la prière étant approché, les prédicateurs et les jurisconsultes présents se montrèrent très désireux d'obtenir la présidence. Sur ces entrefaites, le cheikh sortit et regarda à droite et à gauche, tandis que j'étais derrière mon père. M'ayant alors aperçu, il me dit : « Viens, Mohammed! » Je me levai et le suivis jusque dans sa cellule où il se mit à m'interroger sur les obligations légales, leurs conditions et les usages prescrits. Puis je fis mes ablutions et purifiai mon intention. La manière dont j'avais fait mes ablutions lui ayant plu, il me fit entrer avec lui dans la mosquée et me conduisit au pied de la chaire en me disant : « Mohammed, tu vas monter en chaire. — Sidi, lui répondis-je, je ne sais, en vérité, quoi dire ni sur quoi prêcher. — Monte en chaire, te dis-je, répliqua-t-il, et il me mit dans la main le sabre sur lequel s'appuie le prédicateur, selon la coutume usitée dans ce pays.
« M'étant assis, je me mis à réfléchir sur ce que j'avais à dire. Quand le muezzin eut fini son invitation à la prière, le cheikh m'appela à haute voix et me dit : «Lève-toi et prononce la formule initiale : Au nom de Dieu. J'obéis et ma langue, se trou¬vant tout à coup déliée, se mit à prononcer un discours que je ne compris pas. Tout ce que je sais, c'est que je tenais les yeux fixés sur l'assemblée et que tout le monde me regardait et éprouvait un vif sentiment d'humilité en entendant ma prédication. enfin, je terminai la khotba (23), et quand je descendis de la chaire, le cheikh me dit : « Mohammed, ton sermon a été réussi ; tu ferais bien de fixer ton séjour chez nous; nous te chargerions de l'office de prédicateur, et alors nul autre que toi ne prononcerait plus de sermon dans cette mosquée tant que j'aurai le droit d'investiture et que je vivrai. »
« Après cela, nous continuâmes notre voyage et nous fimes le pèlerinage, mais mon père voulut stationner dans les villes saintes et m'ordonna de retourner à Tlemcen pour tenir compagnie à mon oncle et à mes autres parents. II me recommanda aussi de m'arrêter auprès de Sidi El-Morchidy, ce que je fis. Celui ci me demanda des nouvelles de mon père et je lui dis: il vous baise les mains et vous salue. Il me dit : « Approche, Mohammed, et appuie-toi contre ce palmier, car Choaïb Abou Medien a servi Dieu à l'ombre de cet arbre pendant trois ans. » Après ces paroles, il entra dans sa cellule où il resta quelque temps; quand il sortit, il me fit asseoir devant lui et me dit: «O Moham¬med, ton père était de nos amis et de nos frères, mais toi, Mohammed… », Faisant allusion par ses paroles aux épreuves que j'ai subies depuis en me mêlant aux gens du monde et en m'occupant de leurs affaires. Puis il ajouta : « Mohammed, tu es inquiet au sujet de ton père, et tu crains qu'il ne soit malade ; tu penses aussi à ton pays. Quant. à ton père, il est heureux et se porte bien. Dans ce moment, il se trouve placé à droite de la chaire de l'Apôtre de Dieu, ayant à sa droite Khalil El-Mekky et à sa gauche Ahmed (24), cadi de La Mecque. Pour ce qui est de ton pays, au nom de Dieu !... Ayant prononcé ces mots, il traça un cercle sur la terre, puis, se levant, il plaça les mains derrière le dos en en tenant une avec l'autre, et se mit à faire le tour du cercle en s'écriant: Tlemcen! Tlemcen! Après avoir fait plusieurs fois le tour du cercle, il me dit : «Mohammed, Dieu a accompli sa volonté touchant cette ville. — Comment'? sidi, lui dis-je. — Dieu, me répondit-il, a accordé sa protection aux femmes et aux enfants qui se trouvent dans cette ville, mais
elle tombera au pouvoir de celui qui l'assiège, lequel vaudra mieux pour ses habitants.
« Après ces quelques mots, il s'assit et je me plaçai devant lui. Puis il me dit: «O prédicateur! — Seigneur, lui répondis-je, je suis votre serviteur et votre humble esclave. — Il ajouta : « Sois prédicateur, car tu as toutes les qualités nécessaires pour faire un prédicateur. » Puis il me fit connaître mon avenir. « Tu prêcheras, me dit-il, au Djanib El-Gharby, voulant ainsi désigner la grande mosquée d'Alexandrie. Cela dit, il me fit cadeau de quelques petits biscuits pour ma provision de voyage (25), et il m’ordonna de partir. Pour ce qui est de la ville de Tlemcen, elle fut occupée par le sultan mérinide, comme il a été dit plus haut; Dieu protégea les femmes et les enfants qu'elle renfermait. Quant au cheikh El-Morchidy dont il vient d'étre question, c'était un homme qui menait la même vie de sainteté que le cheikh Abou'1-Abbès Es-Sebty (de Ceuta) (26). Que Dieu nous fasse profiler des gràces qu'il leur a accordées ! »
Celui qui fait l'objet de cette notice est l'auteur de plusieurs ouvrages, tels que :

1- Un grand commentaire, en cinq volumes, sur le Omda fi forou' ech-chafi'ya (Le soutien de la jurisprudence chafi'yte) qui traite des traditions (806). Il a réuni dans ce commentaire Ibn
Daqiq El-'Id (807) et EI-Fakihany (808), avec des notes et des additions;
2° Un autre commentaire très estimé sur le Chafa du docteur
Aïyadh, lequel n'est pas achevé ;
3° Un autre commentaire sur les Petites maximes du docteur
Abd El-Haqq ;
4° Un commentaire sur le Précis de jurisprudence d'Ibn El-Hadjib, qu'il a intitulé Chute du voile qui cachait la jurisprudence d'Ibn El-Hadjib; je ne sais s'il l'a achevé ou non. On lui doit aussi d'autres ouvrages.
La famille qui lui a donné naissance a toujours été une famille
de savoir, de sainteté et de vertu. On peut citer parmi ses membres les plus distingués : l'oncle paternel de notre Mohammed ben Merzouq, son père, son aïeul et l'aïeul 'de son père, ainsi que ses deux fils, Mohammed et Ahmed, et le petit-fils de son petit-fils, qui est connu sous le nom d'El-Khatib (Le prédica¬teur), et qui est le dernier, à ma connaissance. On lira plus loin les biographies d'un certain nombre de personnes issues de cette sainte famille (809).

Notes

1 Voyez sa biographie dans Complément de l'histoire des Beni-Zeïyan, p. 99 et suiv. et p. 117 et suiv.
On lit clans d'Herbelot (Bibliothèque orientale, articles : Mer¬zouq et Ibn Merzouq) :
« Merzouq est le surnom de Mohammed ben Ahmed Et-Tlemcèny el-Maleky. C'est l'auteur du livre intitulé : Achref et-thoraf li'l-malik Et-Achref. Cet ouvrage est un recueil de bons mots et de contes, dédié à Malek El-Achref, sultan des Mamelues, de la race des Turcomans, qui était petit-fils de Calaoun, et qui fut étranglé l'an 771 de l'hégire (inc. 5 aorlt 1369). Ibn Merzouq mourut l'an 781 de l'hégire. »
2 Voyez Dibadj, p. 270.
3 Voyez El-Maqqary, manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris, tome Il, fol. 108 v°.
4 « En l'an 755 (inc. 26 janvier 1351) Abou'l-Haddjadj mourut 'assassiné. Il était allé à la mosquée le jour de la rupture du jeune, pour assister à la prière et, au moment où il faisait ses prosternements, un homme de la basse classe se précipita sur lui et le tua d'un coup de poignard. » (Ibn Khaldoun, histoire des Berbères, traduction de Slane, tome IV, p. 392.)
5 Pour cet événement, cf. Ez Zerkéchy, Chronique des Almohades et des Hafcides, p. 155 de la traduction de M. Fagnan.
Abou Yahia Abou Bekr ben Abou Zakariya, né à Constantine, en Cha'ban 692, fut proclamé le jeudi 7 Rebi' II 718 et mourut la nuit du mardi au mercredi 2 Redjeb 747 (18 octobre 1346), à l'âge de 55 ans. Cf. Chronique des Almohades et des Hafcides, p. 119, 120 et 275 de la traduction de M. Fagnan.
6 Abou Salim Ibrahim, fils d'Abou 'Inan, ne fut pas le successeur immédiat de son père. Il fut précédé sur le trône par son frère Saïd qui régna du 3 novembre 1358 au 12 juillet 1359. Abou Salim fut proclamé le vendredi 15 Chir'ban 760 (12 juillet 1359) et mou-fut assassiné le jeudi, 21 Dhou't-qa'da 762 (22 septembre 1361). Son règne ne dura que deux ans et trois mois. Voyez sa biogra¬phie dans Djedhouat et iqtibas, p. 83. Cf. Chronique des Almoha¬des et des Hafcides, p. 159 et suiv. de la traduction.
7 Cf. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, tome IV, p. 317 de la traduction de Slane; Ez-Zerkéclry, Chronique des Almohades et des Ha/'ides, p. 159, lignes 4, 5 et 6 de la traduction, et Mer-cier, Histoire de l'A Trique septentrionale, tome II, p. 328.
8 Cf. Ez-Zerkéchy, Chronique des Almohades et des Hafcides, p. 160, ligne 20, où ce vizir est appelé Omar ben Abdallah ben Ali. Voyez Mercier, Histoire de l'Afrique septentrionale, tome II, p. 329 et 330.
9 Le Neïl et ibtihadj porte : 764.
10 Abou Ishaq Ibrahim II régna de 1357 à 1369.
11 L'historien Mohammed ben Abou Raïny El-Qairouany dit que lorsque le sultan hafside Abou Ishaq Ibrahim épousa la fille de son vizir Tafraguin, le contrat de mariage fut rédigé par Ibn Merzouq (766).
D'après le récit d'El-Maqqary, Ibn Merzouq arriva à Tunis en Ramadhan 785 (ce mois a commencé le 2 juin 1364), et chargé, concurremment avec la charge de prédicateur, de l'enseignement dans la principale des écoles de l'Etat, c'est -à dire au collège des Chandeleurs (Ech-Chemma'ïn, jusqu'à la mort du roi Abou Ishaq qui eut lieu en 771 [inc. 5 août 1369]). Il fut maintenu dans ces fonctions sous le règne d'Abou'I-Abbès Ahmed. Après cela, il s'embarqua pour l'Orient au commencement de l'année 773 (inc. 15 juillet 1371), et s'arrêta en Egypte, où il fut accueilli par le sultan El-Malik El-Achref Nacir eddin, qui lui assigna des pensions, le chargea de l'enseignement du droit et l'admit dans ses conseils.
12 Abou'I-Abbès régna de 1370 à 1391.
13 Le sultan mameluk El-Malik Cha'ban El-Achref fut étranglé au Caire en 778 (inc. 21 mai 1376), à l'âge de 21 ans.
14 Le Neïl el-ibtihadj donne : Dar'atachiya
15 Tous les manuscrits du Bostan, et même le Neïl et ibtihadj, portent ce nom plus ou moins distinctement écrit ; mais je crois qu’il faut lire Qamhiya ; la médersa En-Nedjmiya était en effet un collège de Damas et non du Caire. Voyez Ibn Batouta, tome I, p. 221.
« Le collège appelé El-Medersa el-Qamhiya (le collège à blé) fut fondé en l'an 566 (inc. 14 septembre 1170), par le sultan Sala¬din, pour l'enseignement du système de droit suivi par les sectateurs de l'imam Malik. Il établit quatre professeurs dans ce collège, qui devint le principal établissement malékite. Le nom d'El-Qamhiya lui fut donné parce qu'il possédait une terre dans le feiyoum dont les récoltes en blé (qamh) tinrent régulièrement distribuées aux élèves. En l'an 825 (inc. 26 décembre 1421), le sultan El- Malik El-Achref Bersebaï s'empara d'une partie des biens (ouqouf) de ce collège pour les concéder à deux de ses mameluks. » (El-Maqrizi, dans son Khitat).
16 Abou'l-Abbès Ahmed ben Hocein ben Ali ben El-Khatib ben Qonfoud El-Qocentiny, plus connu sous les nom d'lbn EI¬Khatib et d'Ibn Qonfoud, naquit à Constantine en 740 de l'hégire (inc. 9 juillet 1339) et mourut dans cette ville en 810 (inc. 8 juin 1407). Il a écrit une monographie de sa patrie sous la dynastie berbère des Hafsides, et l'a intitulée : El-Fariciya, la Farésiade. (Voyez les extraits qu'en a publiés Cherbonneau dans le Journal asiatique, n° de mars 1849, septembre 1852, etc.).
La liste complète de ses ouvrages se trouve à la fin de cette traduction du Bostan.
Voyez sa biographie dans Neïl el-ibtihadj, p. 57, et dans Djedhouat el-iqtibas, p. 79. Ez-'Zerkéchy, dans sa Chronique des Almohades et des Hafcides (p 198-199 de la traduction de M. FA-gnan), prétend qu'il mourut dans la nuit du jeudi au vendredi 12 Rebi' ler 809 (nuit du 26 au 27 août 1406).
17 Le Neïl el-ibtihadj porte Et-Tabary.
Abou'l-Qacim Soléiman ben Ahmed El-Lakhmy Et-Tabarany naquit à Tibériade en 260 de l'hégire (inc. 27 octobre 873) et mourut à Ispahan l'an 360 (inc. -4 novembre 970).
Ibn Khallilkan s'exprime ainsi en parlant de ce personnage :
u C'était le plus grand hafidh de son siècle. Il voyagea 33 ans à la recherche des hadith et parcourut la Syrie, l'Iraq, le Hidjaz, l'Yémen, l'Egypte et la Mésopotamie. Ses professeurs furent au nombre de mille. On lui doit des livres utiles, entre autres trois dictionnaires (mo'djem) qui sont les plus importants de ses ouvrages. »
Voyez sa biographie dans lhn Khallikan, tome I, p. 383.
18 Hadji Khalfa ne fait nulle mention de cet ouvrage.
19 Abou Hafs El-Melaïv nous est tout a fait inconnu. Nous croyons que cette leçon est fautive et qu'il faut lire Abou Bekr El-Motalliby. Voyez supra, note 467.
20 Abdallah ben Omar ben El-Khattab mourut l'an 73 de l'hégire (inc. 23 mai 692). Voyez sa biographie dans Ibn Khallikan, tome I., p. 441.
21 Ce Compagnon du Prophôte mourut l'au 65 de l'hégire (inc. 18 août 684).
22 Voyez, pour ce personnage, Voyages d'Ibn Batouta, tome I, p. 47 et suiv., et tome IV, p. 21.
23 La khotba est le prêche qui précède la prière solennelle du vendredi et qui comporte des vœux pour le souverain. Elle se fait à la mosquée, entre midi et le coucher du soleil.
Mahomet institua lui-même la khotba. Il la faisait tous les vendredis et aux deux grandes fêtes de l'année. Les khalifes suivirent l'exemple du Prophète; mais, plus tard, ils s'en dispensèrent et la confièrent aux soins des imams des mosquées.
Le prêche et la prière du vendredi sont d'obligation divine. Tous les musulmans doivent quitter leurs travaux, leurs négoces, leurs occupations, etc., pour assister à cette cérémonie.
Les mosquées dans lesquelles on fait la prière publique du vendredi, ont un minbar, ou chaire à escalier droit terminé en haut par un espace carré, surmonté d'un ciel en bois ornementé de ciselures et de dessins en relief ou à jour. C'est là que se tient debout le khatib ou prédicateur, ayant à la main droite un long sabre de bois, dont la pointe est appuyée sur l'aire de l'espace où parle le prédicateur. La chaire et le sabre sont appelés el.'oudéïn (les deux pièces de bois). Dans le Maghrib, le khatibb prêche sans sabre.
24 C'est Chihab eddin Ahmed ben Nedjm eddin Mohammed ben Mohi eddin Et-Tabary. Voyez, pour ce personnage, Voyages d'Ibn Batouta, tome I, p. 318, 352, tome IV, p. 325.
25 II faut croire que c'était l'habitude d'El Murchidy d'offrir des biscuits à ceux qui prenaient congé de lui, car il fit le même présent à Ibn Batouta. Voyez Voyages d'Ibn Batouta, tome 1, p. 53.
26 Abou'l-Abbés Ahmed ben Dja'far El-Khazradjy Es-Sebty fut un saint de premier ordre. Il naquit à Ceuta en 524 de l'hégire (inc. 15 décembre 1129), mais il se fixa à Marrakech, où il mourut l'an 601 (inc. 29 août 1204). On l'inhuma dans le tombeau où avait séjourné le corps d'Ibn Rochd avant son transfert en Espagne. C'est lui qui a institué la coutume de réserver une part de la récolte aux thalebs et aux pauvres. Cette part s'appelle El-abbas¬siya et le verbe (abbes) signifie aller réclamer l’abbassiya.
Voyez sa biographie dans Neil el-ibtihadj, p. 31. Cf. El-Maqqary, Analecta, éd. Dozy, II, 68-69; Goldziher, Muh. Stud., II, p. 325; Nef' et-tib, éd. du Caire, 1309 hég., IV, p. 355-361; kitab el istiqsa, 1, 209 ; Stumme, Marchen der Schluh von Tazerwalt, 1r vol., Lepzig, p. 166-173; Erckmann, Maroc moderne, p. 108
110; Doutté, Les Marabouts, p. 61,62.


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